Ce 4 octobre, deux films sont sortis en même temps. « Notre Corps » , un documentaire réalisé par la féministe Claire Simon, et « Je vous salue salope » de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist. L’un pose un regard poignant sur les corps des femmes en milieu hospitalier, l’autre dénonce le sort qui est réservé à ces dernières sur internet quand elles osent y exister. Que nous disent-ils de commun sur notre rapport aux femmes ? Réponses.
C’est un fait observable : le sexisme est encore prégnant dans nos sociétés modernes, toujours très violent et se renforce même à mesure que la parole des victimes se libère. Face à ce fléau, notre devoir est a minima d’écouter les témoignages des femmes concernées pour mieux comprendre la fabrique des injustices misogynes inscrites dans nos mœurs et s’en défaire un peu mieux chaque jour.
Trois femmes ont pris les devants pour nous faire entendre ces voix. Résultat ? Deux films d’utilité publique à découvrir en salle ce 4 octobre.
« Je vous salue Salope » : la misogynie au temps du numérique
« Sale pute », « Va te faire violer », « Violez-là, ça lui redonnera le sourire », « Retourne à la cuisine », « Féminazie », « Salope »,… Pendant 80 minutes, le documentaire de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist recueille les témoignages de quatre femmes victimes de cyberviolences massives : Marion Séclin, comédienne et youtubeuse française, Laura Boldrini, présidente du parlement italien, Kiah Morris, représentante démocrate américaine, et Laurence Gratton, jeune enseignante québécoise.
face à ce déferlement de haine décomplexé, chacune d’elles s’est retrouvée particulièrement seule.
Les vagues d’insultes et de menaces qui se sont abattues sur elles sont sans commune mesure et visent explicitement leur condition de femme. Or, face à ce déferlement de haine décomplexé, chacune d’elles s’est retrouvée particulièrement seule. Malgré le soutien des collectifs féministes et de leurs proches, forces de l’ordre, politiciens et géants du web sont aux abonnés absents.
De fait, la police manque cruellement de formation et de sensibilisation à la manifestation de la violence dans l’espace numérique et, plus généralement, à la violence sexiste. La classe politique se dédouane quant à elle de toute responsabilité pour des raisons généralement électorales. Et les réseaux sociaux, eux, tirent ouvertement des bénéfices financiers colossaux de cette haine en ligne, machine à clics très rentable.
Or, que reste-t-il pour briser le silence des institutions censées nous protéger sinon témoigner publiquement ? Aussi utile soit-elle, la démarche reste toutefois difficile, car ce qu’elles ont vécu est insoutenable. 7j/7, 24h/24, les injures pleuvent avec un acharnement terrifiant de la part de milliers d’anonymes derrière l’écran.
40 000 insultes qui visent Marion Séclin, le tweet d’un élu qui souhaiterait envoyer des violeurs chez la présidente du parlement italien Laura Boldrini, des menaces sur la carrière de Laurence Gratton, des attaques physiques devant le domicile de l’élue Kiah Morris…
Derrière les comptes : en grande majorité des hommes, parfois même un seul qui lance des « raids » sur des femmes grâce à ses abonnés. Tous s’y donnent alors à cœur joie, impunément. Dès lors, pour les victimes, c’est une chute sans fin : fatigue, anxiété, peur, emprise, vertiges, isolation sociale, dépression,… et culpabilisation.
Le cybersexisme touche en premier lieu les femmes
Plusieurs enquêtes ont permis de mettre exergue la tendance sexiste du cyber-harcèlement. Selon l’ONU, rien qu’en 2015, 73% des femmes ont déjà été victimes de violences en ligne. Les Féministes contre le Cyber-Harcèlement rappellent également qu’il s’agit d’une continuité des systèmes de domination sociétaux, touchant ainsi les personnes minorisées, les jeunes, les minorités de genre, et les personnes porteuses d’un handicap.
Une autre étude coordonnée par le Centre Hubertine Auclert et réalisée par l’OUIEP révélait qu’entre 2015 et 2016, sur 1200 individus de 12 à 16 ans, une adolescente sur cinq a déjà subi des insultes en ligne sur son poids, sa taille ou toute autre particularité physique, quand un garçon sur huit a reçu les mêmes remarques.
Sans jamais minimiser les agressions faites sur les garçons, victimes d’un même virilisme toxique, les conclusions de ce rapport restent sans appel : « Le cybersexisme est un prolongement des violences sexistes et sexuelles qui touchent déjà davantage les filles dans la vie réelle. Le cybersexisme touche majoritairement les filles, mais aussi certains garçons qui ne correspondent pas aux normes masculines dominantes. Le cyberespace offre de nouvelles possibilités de diffusion des violences sexistes, mais aussi aux violences sexuelles, notamment en lien avec des photos et/ou vidéos »
Or, non seulement le cybersexisme est le fruit d’une extension du sexisme systémique présent dans le monde réel, mais l’inverse est aussi vrai : les insultes virtuelles peuvent donner lieu à des actes de violence ou de harcèlement dans l’espace public.
Pourtant, le code pénal reconnaît bel et bien le délit de harcèlement numérique, punissant les raids numériques d’une peine de deux à trois ans de prison et 30 000 à 45 000 euros d’amendes. La loi n’étant cependant pas suffisamment connue – ni du système judiciaire, ni de la population – et les géants du web ne coopérant pas toujours, elle est encore très peu sollicitée et appliquée.
« Notre Corps », le sexisme dans la chair
Changement de salle. « Notre Corps » aborde une autre dimension du parcours invisibilisé des femmes : celui de leurs corps en cadre hospitalier. Ou plutôt de notre vision de ces derniers dans toute leur diversité.
Avortements, transition de genre, problèmes de fertilité, endométriose, mastectomie, procréation assistée, accouchements par voie basse, césarienne, cancers, perte d’autonomie, douleurs et plaisirs, vie et mort… Les histoires de vie défilent dans le service gynécologique de l’hôpital Tenon, à Paris, et bouleversent le regard, de bout en bout.
Trop longtemps considérées comme dégradantes, taboues ou impudiques chez la femme, ces réalités médicales habituellement interdites à notre imaginaire collectif ne sont ici ni sublimées, ni idéalisées, mais simplement montrées, comme une vérité nécessaire.
De très près, la caméra filme ainsi librement le spéculum posé avec douleur, la perte des eaux, le placenta, les palpations, les ouvertures, les déchirures, les crispations, les craintes, les fins heureuses et les moins réjouissantes… et la consultation de Claire Simon elle-même qui bascule soudainement du côté des patientes, augmentant encore l’échelle de l’intimité.
Cette caméra, c’est un regard inspirant posé sur nos corps. C’est celui auquel nos sociétés doivent à tout prix aspirer. Nous ne sommes pas des corps performants et calibrés. Nous ne sommes pas un fantasme léger et malléable. Nous pesons notre poids de chair et d’os dans le monde réel. C’est ce que nous rappelle cette immersion sincère, y compris grâce au personnel soignant, majoritairement féminin lui aussi.
En effet, c’est le point de départ du film de Claire Simon : un service hospitalier dans lequel des femmes s’occupent quotidiennement de femmes. De fait, la France compte 44% de femmes médecins, mais précisément 94% en gynécologie. Inversement, en 2022, seulement 3 % des sages-femmes en France sont des hommes. Le phénomène est visible sans être surexposé par Claire Simon, mais interroge à la fois la distance des hommes aux corps des femmes en milieu médical, tout comme les conséquences de la méconnaissance béante qui découle de cette absence.
De fait, qu’il s’agisse de cybersexisme ou de tabou médical, le corps des femmes est encore victime de nombreuses inégalités et injustices qu’il nous faudra réparer les unes après les autres, le temps que dureront leurs effets. Et cette réparation ne saurait commencer autrement que par une écoute attentive des femmes elles-mêmes.
Aussi, pour continuer d’apprendre des concerné.es, rendez-vous en salles depuis ce 4 octobre pour découvrir Je Vous Salue Salope (La Ruelle Film) et/ou Notre Corps (Madison Films, FR2 Cinéma) tous deux accompagnés dans leur diffusion par La Grande Distribution.
– S.H.