Faire prendre conscience des conditions de vie terribles au sein du camp de Moria, le plus grand camp de migrants et réfugiés d’Europe, situé sur l’île de Lesbos en Grèce : c’est l’objectif du collectif Now You See Me Moria. Présentation.
Connaissez-vous le camp Moria ? Situé sur l’île de Lesbos en Grèce, c’est le plus grand camp de migrants et réfugiés d’Europe. Initialement, bien que précaire, le centre était ouvert et prévu pour accueillir les migrants dans leurs démarches de droit d’asile, géré par les services sociaux dédiés. Mais depuis l’accord UE-Turquie, qui autorise entre autres le renvoi en Turquie des arrivants sur le sol Grec, le lieu s’est transformé en véritable camp de détention contrôlé par les forces armées. A l’abri des regards et grâce à des procédures opaques, il a déjà simultanément détenu jusqu’à 22 000 migrants, comme c’était le cas en février 2020.
Le 9 novembre 2020, lorsqu’il a été entièrement détruit par un incendie, ils étaient 12 700, dont 4 000 enfants selon le HCR (Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés). Un événement qui a contribué à aggraver davantage la situation déjà précaire du lieu. En effet, ouvert depuis 2013 sur une ancienne base militaire, les conditions de vie du camp Moria ont été dénoncées à plusieurs reprises par le HCR et de nombreuses organisations non-gouvernementales. Mais les plaintes se sont surtout multipliées après 2016, date de signature des accords avec la Turquie, dont une autre des graves conséquences a été d’interdire le camp à la presse.
Mais ce n’est pas pour autant que les associations, collectifs et ONGs ont baissé les bras. Bien au contraire. En août 2020, le collectif Now You See Me Moria a notamment vu le jour. Son objectif ? Montrer la réalité du camp – peu accessible aux journalistes – par des photos prises par les membres qui y vivent, mais aussi des scènes de la vie quotidienne peu diffusées habituellement. Et, surtout, faire évoluer les politiques européennes pour obtenir la fermeture du camp en faveur d’une prise en charge digne. Son mode d’action ? L’art. Plus précisément, la photographie. Zoom sur une initiative artistique très engagée.
Aux origines du collectif :
Noemi, sa fondatrice, explique :
« Une nuit, incapable de dormir, je faisais défiler les pages de Facebook lorsqu’une photographie a attiré mon attention. Elle était partagée par un ami qui avait passé cinq mois à Lesbos pour couvrir la situation pendant l’épidémie de corona. Le photographe était Amir H.Z., un réfugié afghan vivant dans le camp Moria. J’ai senti à quel point il voulait partager ce qu’il se passait là-bas, à un moment où l’Europe ne se concentrait que sur elle-même. Je lui ai écrit et nous avons décidé de lancer @now_you_see_me_moria , un compte Instagram comme projet collaboratif en août 2020. À l’automne, Qutaiba de Syrie et Ali d’Afghanistan nous ont rejoints.
De nombreuses histoires ont été reprises par les médias internationaux et nous en sommes reconnaissants. Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là, nous devons sensibiliser les gens à la situation actuelle à Moria. Les droits de l’homme sont violés quotidiennement, les journalistes et les photographes ne sont pas autorisés à pénétrer dans le nouveau camp, les membres des ONG sont priés de ne pas prendre de photos. Moria n’est qu’un des nombreux points noirs d’une politique migratoire européenne défaillante. Nous avons besoin de changement.
Faisons en sorte qu’aucun d’entre nous ne puisse plus détourner le regard en rendant les histoires des réfugiés plus visibles. Et faisons-le nous-mêmes. Il s’agit d’une invitation aux designers européens à créer des affiches à partir des photos prises par les personnes présentes dans le camp. Et un appel à nous tous pour les afficher partout où nous le pouvons dans les 27 pays de l’Union européenne. À commencer par les fenêtres de nos maisons. »
Le collectif est composé de la manière suivante :
- Les photographes, c’est-à-dire les personnes vivant dans le camp de Moria (Amir, Qutaeba et Ali), qui se présentent tous trois ici ;
- Noemi, photo-éditrice aux Pays-Bas et Raoul, la designer ;
- ainsi que des étudiants en sciences politiques venant de divers endroits en Europe : Mina, Nora, Luisa, Noëlle, Eléa, Miriam, Kyra, entre autres.
Tous sont bénévoles. Les seules sommes reçues, à savoir les crédits des photos payés par les musées, vont aux photographes vivant dans le camp. Un appel aux dons a été lancé pour financer les « actions books » , mais aucun profit n’est visé.
Quelles actions ?
A partir des photos du camp prises par Amir, Ali et Qutaeba, des designers ont créé des affiches et de nombreuses personnes les ont placardées partout en Europe et à travers le monde. Ces photos vont aussi être diffusées très prochainement dans différents musées, notamment en Espagne et aux Pays-Bas.
Le collectif souhaite poursuivre son engagement en allant encore plus loin, et ce via la mise en oeuvre de deux projets durant le mois de mai 2021. Le premier consiste à envoyer des cartes postales à des enfants européens pour que ceux-ci écrivent ou dessinent ce qu’ils souhaitent, et que ces cartes soient ensuite envoyées aux décideurs politiques en charge de la politique migratoire européenne. Quant au second projet, il consiste à créer des « actions books ». Autrement dit, un livre rassemblant les centaines d’affiches créées, en papier journal pour renvoyer à l’invisibilisation des personnes exilées dans le débat public. Une campagne de financement participatif a été lancée pour financer ce livre.
Par ailleurs, un système d’ « ambassadeurs » (notamment des jeunes) du collectif est en train d’être créé. Le but ? Que ces ambassadeurs puissent former leurs classes, familles, et entourage aux problématiques importantes en matière d’exil.
Exemples d’affiches créées à partir des photos :
L’ensemble des affiches créées par les designers sur la base des photos prises par Ali, Amir et Qutaeba est disponible ici.
-Camille Bouko-levy