Au lendemain du cri d’alerte de novembre dernier de 15.000 scientifiques à propos de l’urgence climatique face à laquelle se trouve l’humanité, les « objectrices-objecteurs de croissance et décroissant-e-s » ont lancé un appel à convergence des forces écologiques et altermondialistes. Vincent Liegey, actif dans le milieu depuis 2007 est l’un des initiateurs de cet appel et animateur des réseaux décroissants en France et à l’international. Il nous explique pourquoi il a signé.

L’heure d’un mouvement national « décroissant » serait-elle venue ? C’est en tout cas avec l’envie de remettre le « mot obus » sur le devant de la scène que quelques proches du mouvement lançaient un « appel à convergence » en janvier dernier. Le texte « exig[e ] dès maintenant, la fin des Grands Projets Inutiles imposés (de l’aéroport NDDL à Europacity en passant par le Grand Prix de France de F1), une réduction drastique du temps de travail (travailler moins pour travailler tous mieux), la généralisation des communs et de la gratuité (des transports en commun, des cantines scolaires, des services culturels et funéraires), une réduction drastique des inégalités de revenus et de patrimoine, un élargissement de la démocratie pour aller vers plus d’autonomie et de responsabilisation des peuples ». Le document, signé par des personnalités diverses comme Martine Billard  (F.I., ex-députée de Paris), Yves Cochet (ancien ministre, président de l’institut Momentum) ou encore Serge Latouche, professeur d’économie émérite (directeur de la collection Les Précurseurs de la Décroissance), encourage les « écologistes, altermondialistes, anti-productivistes, décroissants, objecteurs de croissance amoureux du bien-vivre à se donner la main dans une lutte commune pour un autre modèle de société ».

Au tournant des années 2010, la décroissance faisait beaucoup parler d’elle. Mais la dynamique s’est épuisée, non seulement en raison de tensions internes au mouvement, mais aussi à cause de la manière méprisante dont la question écologique globale (et le projet d’écologie politique radicale) a été traité par les principaux médias, qui ne prenaient pas la question au sérieux. En effet, la Croissance est portée en dévotion autant par les autorités que les structures qui composent la société. Pas évident de tourner le dos à 200 ans (et plus) d’idéologie économique.

Leur message, lui, n’a pas pris une ride : au contraire, depuis 10 ans, la réalité du changement climatique et de la crise écologique globale se fait plus présente tous les jours : les études sont plus alarmantes les unes que les autres, non seulement en ce qui concerne la perte de biodiversité (dont les butineurs) mais aussi en ce qui concerne la montée moyenne des températures globales. Bien que tous ne s’accordent pas sur la méthode, difficile de le nier, la survie de nos sociétés dépend désormais de la réponse collective, donc politique, qui sera apportée à ces défis. « L’alerte des scientifiques de novembre nous rappelle qu’il y a urgence », souffle Vincent Liegey.

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« Nous avons besoin d’une pensée écologique et sociale transversale »

Pourtant, d’aucuns seraient tentés d’affirmer que l’écologie fait désormais partie des préoccupations des partis politiques et de leurs programmes. En effet, rares sont les représentants publics qui ne parlent pas d’environnement aujourd’hui. Il y a de quoi se réjouir, même pour un décroissant comme Vincent Liegey : « les idées de la décroissance ont même imprégné les débats politiques » estime-t-il. « Des idées moquées hier font consensus aujourd’hui », comme par exemple l’obligation de se passer des énergies fossiles ou de réduire de manière significative la quantité de déchets produits, la lutte contre l’obsolescence programmée etc. Mais cette approche de l’écologie, fondue dans le capitalisme, est-elle suffisante pour sortir de l’impasse ? Pour l’essentiel, les propositions restent « isolées » et s’intègrent dans le cadre de programmes politiques qui visent toujours la croissance économique. Au final, le but reste de produire toujours plus qu’hier, ce qui est contradictoire avec nos capacités à transformer les industries.

La décroissance reste donc une pensée politique à part entière qui ne peut pas être amputée du débat public. En effet, elle permet de faire le lien entre les problématiques que rencontre notre société, c’est-à-dire « l’ensemble de convergence des crises, de la crise environnementale à la crise énergétique, de la crise politique à la crise sociale, de la crise de l’emploi à la perte de sens », via une mise en perspective autour « d’une narration globale ». C’est une pensée multidimensionnelle ou holistique qui s’inscrit dans un projet d’évolution de toute la société. Il ne s’agit pas de sacrifier nos modes de vie, mais de vivre autrement, peut-être même mieux. Dès la fin des années 1970, André Gorz, qui est l’un des premiers penseurs à avoir articulé les problématiques environnementales autour des questions sociales, faisait d’ailleurs de la soutenabilité de nos sociétés une question politique (d’où l’expression « écologie politique »). Inédit à l’époque.

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« Occuper à nouveau l’espace médiatique »

Au lendemain de l’appel de 15.000 scientifiques, les décroissants souhaitent saisir la possibilité de faire à nouveau parler de leur projet de société. « À notre grande surprise ce texte a eu des retours très positifs » commente Vincent Liegey. Force est de constater que l’appel a été signé par des personnalités issues de tendances politiques très diverses, d’une gauche traditionnellement productiviste aux écologistes, ainsi que des membres de la société civile de tous les horizons.

L’appel se fait sans prétention politique électorale, mais avec la volonté d’animer le débat des idées. La décroissance c’est la « culture de la diversité et la communication non violente » commente notre interlocuteur, qui insiste sur le caractère « émancipateur du mouvement » mais aussi sur sa « radicalité » puisqu’il s’agit d’entrer en « rupture avec le système de pensée dominant ». Néanmoins, le mouvement s’oppose à toutes les formes de pensées sociales réactionnaires.

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Alors que la violence avec laquelle l’État français réprime depuis quelques années les résistances sociales, en particulier sous leurs formes les moins conformes à l’idéal économique dominant, est un aveux patent de sa faiblesse, mais aussi de sa perte de légitimité. Aujourd’hui, la colère sociale gronde au sein de presque toutes les tranches de la société et la question écologique ne peut plus être relayée au rang des détails. Il semble désormais urgent de faire le lien entre les revendications sociales (mieux vivre, égalité des chances,…) et la crise environnementale. Pour ces penseurs, pas de doute, l’objection de croissance sera l’un des instruments de cette convergence.

Découvrir l’appel : https://blogs.mediapart.fr/initiatives-decroissantes/blog/230118/appel-bientot-il-sera-trop-tard-que-faire-court-et-long-terme

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Retranscription de l’appel

Nous avons entendu l’appel de plus de 15000 scientifiques de 184 pays paru le 13 novembre 2017 dans lequel ils tirent la sonnette d’alarme sur l’état désastreux de notre planète. Nous avons compris qu’il s’agit de la dernière mise en garde, car si nous ne prenons pas les mesures adaptées « bientôt il sera trop tard ».

Nous, écologistes, altermondialistes, objecteurs de croissance, décroissants, souhaitons tirer les conséquences pratiques de cet appel,  puisqu’il est bientôt « trop tard », c’est maintenant qu’il faut agir. Personne n’a aujourd’hui de réponses toutes faites mais nous savons que nous devons changer de paradigme dominant. L’issue n’est pas du côté de l’austérité et de la croissance mais plutôt d’une rupture avec le productivisme, l’extractivisme, la foi béate dans la techno-science, l’autoritarisme, le capitalisme.

Nous devons changer nos modes de production et d’existence, car ils sont à l’origine de la situation actuelle, et l’effondrement des ressources pourrait nous conduire à la barbarie. Mais nous ne partons pas de rien, nous savons que des alternatives existent déjà à l’échelle mondiale, qu’il faut faire converger ; nous savons aussi que le rêve des 99 % n’est pas d’imiter les 1 % contrairement à ce que voudraient faire croire les dominants.

Nous devons changer nos modes de production et d’existence mais nous savons que demain devra être mieux qu’aujourd’hui tout en divisant immédiatement par trois nos émissions de CO2 et en préservant les écosystèmes. Nous ne croyons plus aux lendemains qui chantent parce que nous voulons chanter au présent. La planète est suffisamment riche pour permettre à dix milliards d’humains de vivre bien si nous en préservons la biodiversité et savons vivre en harmonie avec les autres espèces.

Nos combats d’aujourd’hui doivent nous rapprocher de la société de demain.

Si le réchauffement climatique n’est pas endigué drastiquement, cela va provoquer des sécheresses massives et des famines mondiales. Pour que l’humanité ne disparaisse pas comme une entreprise en faillite, nous vous invitons à signer et à faire signer cet appel afin de prendre date en disant que la solution à moyen et long terme est du côté d’une société de la gratuité, émancipée de la contrainte du « toujours plus » de richesses économiques et de pouvoir sur les autres humains, les autres vivants et la planète.

Pour que l’humanité ne disparaisse pas comme une entreprise en faillite, nous vous invitons à signer et à faire signer cet appel afin d’exiger, dès maintenant, la fin des Grands Projets Inutiles imposés (de l’aéroport NDDL à Europacity en passant par le Grand Prix de France de F1), une réduction drastique du temps de travail (travailler moins pour travailler tous mieux), la généralisation des communs et de la gratuité (des transports en commun, des cantines scolaires, des services culturels et funéraires), une réduction drastique des inégalités de revenus et de patrimoine, un élargissement de la démocratie pour aller vers plus d’autonomie et de responsabilisation des peuples.

Tout doit être repensé dans le cadre de la critique de la croissance car la décroissance que nous soutenons ce n’est pas faire la même chose en moins, ce n’est pas l’éloge du sacrifice, c’est déjà construire une écologie des revenus avec un minimum et un maximum décents et revenir à des taux de prélèvement sur la nature supportables, c’est offrir un avenir dans un monde qui n’en offre plus.

Nous, écologistes, altermondialistes, décroissants, objecteurs de croissance amoureux du bien-vivre, appelons à une démarche commune pour construire un projet de transition vers une société d’a-croissance, juste et démocratique. Nous devrons pour cela dire notre volonté de nous rapprocher, afin de créer un mouvement d’idées riche de sa diversité, de mettre en réseau nos compétences et alternatives, de prendre des initiatives, d’initier des résistances, et de préparer des convergences avec tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la barbarie qui vient.

Signez et faites signer cet appel !


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