Si la Papouasie-Nouvelle-Guinée est riche d’une économie florissante, d’une variété culturelle extraordinaire et d’une nature paradisiaque, elle est aussi indéniablement l’enfer des femmes. Les statistiques des organisations comme Human Rights Watch font froid dans le dos : plus de deux tiers des femmes sont victimes de violences domestiques et 80% des hommes admettent perpétrer des violences à l’égard de leur conjointe. Rencontre.
« On parle de violences physiques, psychologiques, violences sexuelles… toutes les formes de violences sont pratiquées ici en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dans notre région, les chiffres sont alarmants, c’est devenu une tendance et les femmes ont peur », nous alerte Sophie Mangai, responsable du « Council of Women » dans la région de Sepik au Nord-Est du pays. Nous avons rencontré par hasard – merci sérendipité – cette dame incroyable, au tempérament bien trempé et au charisme qui fait naturellement autorité, même face aux hommes.
Depuis des années maintenant, Sophie Mangai et ses amies du conseil se battent bénévolement pour aider les femmes et les jeunes filles. Des femmes qui n’osent plus sortir le soir de peur de croiser un homme alcoolisé ou drogué, des femmes victimes de violences au sein même de leur famille. Dans leur organisation qui compte aujourd’hui 22 bureaux à l’échelle nationale, elles accueillent les victimes, les écoutent, les conseillent et surtout les accompagnent sur le chemin de l’hôpital, de la police et de la justice.
« Parce que nous sommes des femmes, nous voulons prendre soin d’elles. Nous voulons que les femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée comprennent leurs droits. Notre société est dominée par les hommes, donc nous devons unir nos voix et les faire entendre jusqu’au gouvernement pour faire en sorte que les hommes respectent notre dignité. Dans les années 60-70, les femmes ne connaissaient pas leurs droits car nous avions cette barrière culturelle, les hommes les ont classées à un rang inférieur. Maintenant, les femmes commencent à comprendre qu’elles ont des droits et que l’on doit faire bouger les choses. On veut surtout que les jeunes filles soient éduquées à ce propos pour améliorer le futur. »
Nous décidons de suivre cette « coalition » de femmes de cœur jusque dans un petit village : Mandi au beau milieu de la forêt et traversé par l’autoroute nationale, un simple chemin de terre. Sous la grande hutte principale, au centre du village, les femmes se sont réunies de manière pour parler des violences qu’elles subissent, sous le regard des hommes curieux de ce rassemblement atypique. C’est un moment de parole et d’échange qui brise les tabous : « Je suis veuve, mon mari était policier et il me battait. Comment pouvais-je l’arrêter puisqu’il représentait la loi ? », nous raconte Jennifer Maro, une jeune trentenaire dont la tristesse et la colère peuvent se lire sur le visage : « Les hommes ne se rendent même pas compte de tout ce que les femmes assument à la maison. Nous travaillons énormément, mais dans notre culture, les hommes pensent qu’ils commandent et qu’ils peuvent nous battre. C’est la mentalité, ils veulent que les femmes travaillent, portent leurs enfants pendant qu’eux se reposent. Il y a des droits et des lois maintenant en notre faveur, mais cela n’arrive pas jusque dans notre village ! » Très vite, on réalise que ces femmes portent énormément de choses sur le cœur. L’instant libère la parole.
Ce moment d’échange est étonnant. Il y a quelque-chose d’émouvant à se retrouver au milieu de cette cinquantaine de femmes et jeunes filles, de ressentir les rires et la bonne humeur qui se dégagent, malgré la gravité des échanges. Dans un coin, quelques hommes écoutent et participent même au débat. « Nous avons cette tradition dans la culture mélanésienne, l’homme dirige et la femme doit suivre », nous dit Arnaud Capari, un homme âgé, habillé aux couleurs nationales, « je pense que nous ne pourrons jamais stopper ces violences car c’est une coutume, mais nous pouvons les réduire. Nous ne connaissons pas la méthode pour réellement arrêter, mais on a les clés pour minimiser le problème, par la médiation ou la communication dans la famille notamment. Petit à petit, on va évoluer. » estime-t-il. Pour lui, et d’autres, les violences contre les femmes font partie d’une certaine normalité difficile à remettre en question. Sophie sourit en entendant le discours d’Arnaud qu’elle connaît bien : « C’est dans nos traditions, si les hommes payent la dot, ils estiment qu’ils possèdent leur femme. » reprend-t-elle. « Quand les hommes viennent en médiation ici, on essaye de les éduquer. On leur dit que leurs obligations traditionnelles exigent aussi, s’ils veulent une femme et des enfants, de respecter la femme. Que la femme a aussi le droit de décider où elle veut aller et même de le quitter s’il est trop violent ! »
Éduquer massivement, renforcer les services aux victimes et améliorer un système répressif encore peu efficace… le chantier est gigantesque dans ce pays qui compte plus de 800 langues et cultures locales différentes. Des milliers de communautés vivent encore loin de tout développement, prisonnières de certaines coutumes ou de croyances (comme la sorcellerie) qui justifient ces violences générations après générations.
En 2013, les autorités ont finalement adopté le « Family Protection Act » criminalisant les violences et prévoyant des peines allant jusqu’à 2000 USD (1700 euros) d’amende et 2 ans de prison pour les bourreaux. Mais comme le souligne Human Rights Watch dans son dernier rapport, les lois d’application viennent à peine d’être votées : « La police et les procureurs mènent rarement des enquêtes et poursuivent rarement les responsables de violences familiales (même dans les cas de tentatives de meurtre, blessures graves ou viols répétés) et préfèrent résoudre cela par la médiation ou le paiement de compensations. La police demande souvent de l’argent aux victimes avant d’agir ou simplement ignore leur cas qui se passe dans des régions reculées. Il y a aussi un manque criant de services pour les victimes comme des « safe houses », des conseillers formés, du soutien financier et de l’assistance juridique. »
Si le voyageur peut se réjouir de voir la Papouasie-Nouvelle-Guinée sous ses magnifiques couleurs traditionnelles, la coutume cache aussi cette dure réalité.
– Pascale Sury & Mr Mondialisation
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