Malgré l’annonce par Anne Hidalgo de l’ouverture prochaine d’un camp de réfugiés aux normes internationales sur Paris, l’urgence reste entière. Après de longs mois de lutte, les bénévoles des collectifs de citoyens et petites associations qui, jusqu’ici, gèrent la situation avec les moyens du bord, accueillent avec soulagement et circonspection la nouvelle annoncée en conférence de presse mercredi dernier, tout en réclamant une action immédiate de mise à l’abri. En attendant, l’eau monte et la colère suit.

Une lueur d’humanité bien incertaine dans le ciel parisien

Cette conférence de presse intervient au moment où les pluies diluviennes dégradent chaque jour un peu plus les conditions de vie dans le dernier, en date, des camps de fortune parisiens : Les jardins d’Éole dans le 18e arrondissement. Les tentes abritant plus de 1 000 personnes laissées ici à l’abandon par les pouvoirs publics sont inondées, de même que les couvertures et les vêtements, au grand désarroi des bénévoles qui craignent des problèmes sanitaires supplémentaires. Une crise sanitaire et humanitaire inimaginable en plein Paris, pourtant très peu médiatisée. Un communiqué des collectifs impliqués enjoignant à une intervention urgente a été publié le matin même de l’intervention du maire de Paris.

07_Eole_JardinsPhotographie : Aude Arago

En attendant la mise en place effective d’un campement, promis pour mi-juillet, les « habitants » doivent gérer leur quotidien tant bien que mal. Si, à force de négociations, l’Armée du Salut a été mandatée par la mairie pour les repas du soir, toujours en quantité insuffisante, et 3 sanisettes installées, le reste de l’action de terrain incombe encore à une poignée de citoyens engagés et courageux. Pour cause, la tâche est vaste. Sur place, les problèmes s’accumulent alors que l’humidité imprègne les chairs. Au lendemain de l’annonce, le seul robinet d’eau potable du camp a été coupé par les services municipaux, condamnant les réfugiés à la soif en plus de le faim et de l’insalubrité, crispant plus encore la situation déjà tendue à force de fatigue et de désespoir.

Quand les citoyens remplacent l’État

Depuis des mois, dans Les jardins d’Éole, l’urgence quotidienne est prise en charge par de simples citoyens bénévoles et petites associations, coordonnés par le Collectif Parisien de Soutien aux Exilé-e-s. Crée en novembre 2015 pour pallier l’inaction de l’État en termes d’accueil des réfugiés, cette structure a dû tout inventer, sans aucune aide officielle. Ils sont salariés, chômeurs, intermittents, étudiants, retraités, ils sont les visages anonymes de l’accueil des réfugiés dans la capitale.

05_Eole_Jardins  Photographie : Nicolas Donarier – Trapfocus

Pour les rendre visibles et tenter de faire pression sur les élus, mais aussi pour pouvoir suivre ces populations, ils ont mis en place des campements en divers lieux de Paris : République, Stalingrad, Jemmapes, Éole. À chaque fois, on y croise des hommes, mais aussi des familles, des femmes seules, parfois enceintes, des mineurs isolés, venus du Soudan, de l’Erythrée, d’Afghanistan, d’Irak, de Somalie, de Syrie, de Guinée, de Palestine… Tous sont épuisés de leur long périple, tous ont subi d’importants traumatismes, tous sont désorientés et ont besoin d’un minimum d’aide d’urgence.

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Chronique d’une galère quotidienne

Chaque jour, les soutiens fournissent un travail titanesque pour tenter d’apporter le minimum vital à ces personnes : des tentes pour s’abriter, des couvertures, des vêtements, des chaussures, des repas 3 fois par jour (dans les limites du disponible), mais aussi un accompagnement aux douches ou aux consultations médicales, un suivi de leurs démarches administratives, une orientation vers des cours de français, un peu de chaleur humaine, le tout avec l’aide précieuse de réfugiés statutaires pour les traductions. Et chaque jour de nouveaux arrivants se joignent à cette galère. Ainsi, chaque jour, car l’aide est limitée par les moyens du bord, entre 10 et 50 personnes restent sur le carreau, sans abri, sans chaussures ni manteau, sans rien.

01_Eole_Jardins  Photographie : Nicolas Donarier – Trapfocus

Chaque jour il faut recommencer ce travail… Aller chercher les invendus, trouver des personnes pour cuisiner, pour distribuer, trouver du matériel, des vêtements, organiser des collectes, trouver des accompagnants pour toutes les démarches, parfois un toit pour une personne malade… jusqu’à l’épuisement, le tout bénévolement. Difficile de garder la tête froide face à ce spectacle désolant. Il leur faut aussi contacter Emmaüs ou le 115, pour la prise en charge des personnes les plus fragiles, rédiger des communiqués pour informer la population, multiplier les rendez-vous pour alerter les élus sur la situation, sans toujours obtenir de résultats, faute de moyens ou de bonne volonté… Des mois entiers d’un engagement total pour ces super-héros du quotidien.

L’attente de l’évacuation

Depuis le premier campement, jours après jours, les soutiens espèrent une évacuation et la mise à l’abri des personnes. Et à chaque évacuation, c’est la même histoire qui se déroule. Le collectif n’étant jamais prévenu par les autorités, c’est le suspens au quotidien. Tel un scénario de blockbuster américain, des tours de garde sont effectués pour scruter l’arrivée de la police, avec une présence sur le camp dès 5 heures du matin, pour pouvoir prévenir en urgence tous les autres soutiens et tenter de récupérer le matériel avant qu’il ne soit jeté à la benne sans ménagement. Des milliers d’euros de dons ont déjà finis à la décharge lors de ces déplacements expéditifs. Il faut alors reconstituer les stocks, à chaque fois. Tout ceci semble si loin du réel, si loin de la capitale des Lumières, et pourtant.

Si l’annonce de la création d’un camp apparaît comme une lueur d’espoir, aucune solution n’est proposée dans l’immédiat et tous craignent la manière dont ce déplacement s’effectuera. Pourtant l’urgence d’une intervention se fait de plus en plus criante, car il pleut toujours sur les Jardins d’Éole…

03_Eole_Jardins  Photographie : Nicolas Donarier – Trapfocus


Crédit photo Nicolas Donarier – Trapfocus et Aude Arago. Sources : lemonde.fr / exilesparis.org / baamasso.wordpress.com / blogs.mediapart.fr / facebook.com / entraides-citoyennes.org / Assokali

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