Les départements du Nord et du Pas-de-Calais ont connu plus de vingt jours de pics de pollutions aux particules fines depuis le début de l’année, avec un nouvel épisode persistant du 17 au 23 avril. Au-delà de ces pics de pollution, la qualité de l’air est une problématique sérieuse et constante dans la région, l’une des plus touchées par une pollution atmosphérique chronique.

Selon la revue médicale European Heart Journal, 9 millions de personnes dans le monde meurent prématurément chaque année à cause des particules fines. Le trafic automobile, plus spécifiquement, provoquerait, d’après une autre revue scientifique, 4 millions de nouveaux cas d’asthmes infantiles par an.  En France, plus de trois quarts des enfants respireraient un air pollué. Ces chiffres, qui ont été publiés récemment, ont de quoi nous faire suffoquer.

Sujet sensible dans les Hauts-de-France (Nord, Pas-de-Calais et Picardie), même si le drame est global : les épisodes de pollution aux particules fines sont récurrents depuis  le début de l’année, touchant plus durement le littoral. Les indices journaliers de l’agence Atmo Hauts-de-France, l’agence chargée de la surveillance de la qualité de l’air, virent très fréquemment à l’orange, affichant une qualité médiocre, parfois au rouge. Le 8 avril dernier, le baromètre de l’air grimpait même à 10, le maximum, « très mauvais ».

Comme pour ces derniers jours, l’alerte sur persistance est alors déclenchée par le préfet, imposant une circulation automobile différenciée ainsi qu’une baisse de la vitesse de 20 km/h. « Ce genre de mesure sert à éviter d’aggraver le phénomène, et non à le réduire », rappelle Laure Roussel, de l’agence régionale Atmo. Car quoi qu’il en soit, la pollution, due à la concentration de particules, est déjà là et ne disparaîtra pas. Suivant la réglementation française, Atmo en mesure quatre : les particules PM 10, d’un diamètre inférieur à 10 micromètres, le dioxyde d’azote, le dioxyde de souffre et l’ozone. Faute de vent et de pluie, les polluants se maintiennent dans l’air, provoquant un pic exceptionnel. « Mais ces épisodes que l’on connaît depuis le début de l’année ne sont pas si exceptionnels, révèle la spécialiste de l’air. Nous restons dans un schéma classique par rapport aux émissions, qui n’augmentent pas particulièrement. La cause réelle est la succession d’anticyclones qui empêchent la dispersion des polluants. C’est donc juste exceptionnel par rapport à la climatologie. »

Une des 50 stations de mesure réparties sur le territoire régional. Ici à la gare Lille Europe. Crédit Louis Ruyant.

Quel impact sur la santé ?

Par leur durée, de tels épisodes présentent des enjeux sanitaires importants : « Des personnes plus sensibles que d’autres vont être rapidement impactées : les asthmatiques, les femmes enceintes, les enfants en bas-âge, et les sportifs, ces derniers filtrant plus d’air dans leurs poumons lors d’un effort physique. » Dans un rapport de septembre 2016, Santé publique France (SPF) dresse un bilan lourd et alarmant sur les effets de la pollution atmosphérique : à court terme, cela entraîne des aggravations aiguës de l’état de santé (irritations oculaires ou des voies respiratoires, toux, essoufflement) ou des exacerbations de pathologies chroniques (asthme, pathologies cardio-vasculaires et respiratoires…), qui peuvent nécessiter des hospitalisations, ou, pire, aboutir au décès.

« Quand des masses d’air stagnent ainsi au-dessus de nos têtes, le bon sens serait de ne pas en mettre plus dans l’atmosphère. » 

Si l’exposition à un pic de pollution produit des effets à court terme, d’autres symptômes existent sur le long terme dû, cette fois, à une pollution constante. Et c’est là le plus grave, car derrière ces phénomènes épisodiques que la région supporte depuis janvier se cache un drame permanent. « L’exposition chronique pendant plusieurs années à la pollution de l’air favorise le développement de pathologiques graves, signale Hélène Prouvost, épidémiologiste et co-auteure du rapport de SPF.  Ces pathologies altèrent la qualité de vie des personnes et conduisent à des décès prématurés. » L’épidémiologiste décrit ainsi la pollution comme un « tueur invisible », puisque c’est à la maladie que l’on impute le décès et non à l’exposition aux particules fines, pourtant à l’origine de la maladie.

Pollution chronique, le vrai problème : 6.500 décès évitables dans la région.

Toujours dans ce même rapport de 2016, SPF estime qu’en France, 48.000 personnes meurent prématurément chaque année à cause des particules fines. Dans la région des Hauts-de-France, on en dénombre 6.500. Une estimation qui fait d’elle la deuxième région la plus impactée au niveau sanitaire, après l’Ile-de-France. Encore plus tristement : elle est celle qui enregistre le plus de mortalité par tumeur, maladie de l’appareil respiratoire et circulatoire, et broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO).

Macabre tableau dénoncé par des militants en janvier dernier, devant le siège de la Métropole européenne de Lille, dont Les Amis de la Terre. S’insurgeant contre cette « hécatombe sanitaire », ils ont allumé et déposé 1.700 bougies en hommage aux Lillois victimes de la pollution atmosphérique.

Des chiffres à manier avec prudence, selon Laure Roussel, précisant que ces chiffres sont issus d’un scénario où il n’y aurait – toutes choses égales par ailleurs – aucun polluant dans l’air. « Même si cela révèle le poids sanitaire de la pollution atmosphérique, il n’y a pas eu réellement 1.700 morts à Lille à cause de la pollution », tempère-t-elle.

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« Cette estimation s’est faite à travers un scénario « sans pollution induite par l’activité humaine », éclaire Hélène Prouvost. Nous avons donc retenu un niveau de pollution équivalant à celui des communes les moins polluées du pays, où les concentrations de particules PM 2,5 sont très faibles par rapport au reste du pays. Sous cette hypothèse, 48 000 décès seraient évités chaque année. » Des chiffres qui restent donc malgré tout très importants à l’échelle du pays.

Une région densément peuplée, se situant à un carrefour à risques.

Au-delà d’une bataille sémantique de chiffres, un constat bien réel s’impose : la pollution aux particules fines tue, et les nordistes en souffrent particulièrement. On sait aussi d’où elle provient : « Trafic routier, industrie, chauffage, agriculture, c’est multi source », précise Laure Roussel. Alors forcément, comme les origines sont anthropiques, plus il y a d’activités humaines, plus il y a de pollution. Pour une région aussi densément peuplée que les Hauts-de-France (3e derrière l’Ile-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes), cela devient vite étouffant. « Se situant à un carrefour à risques, entre Paris et la Belgique, on y retrouve énormément de trafic tout confondu : routier, portuaire, ferroviaire, aéroportuaire. » Peu de relief, une agriculture forte, des zones industrielles importantes, comme le port de Dunkerque : « les caractéristiques de la région font que nous allons émettre plus de pollution. » Pour donner une idée, 21 640 tonnes de particules PM 10 ont été émises dans le Nord et le Pas-de-Calais en 2010, le secteur résidentiel et tertiaire étant le principal émetteur (27%).

Embouteillages typiques du matin dans l’agglomération lilloise. Crédit L.R

La solution ? Moins polluer pour mieux respirer, tout simplement.

Il n’y a pas d’autre antidote miracle, cela tombe sous le sens. « Quand des masses d’air stagnent ainsi au-dessus de nos têtes, le bon sens serait de ne pas en mettre plus dans l’atmosphère. Nous sommes tous pollueurs à notre échelle : chauffer son habitation, prendre sa voiture… de nombreux gestes du quotidien sont polluants », fait remarquer la responsable d’Atmo, qui en appelle à la conscience collective, et à la solidarité : « il ne faut pas oublier que ce sont les personnes vulnérables qui prennent avant tout le monde. »

« Contrairement au tabac (79 000 morts par an) et à l’alcool (49 000) où l’on peut « choisir » d’être exposé ou pas, on ne choisit pas l’air que l’on respire », rappelle Hélène Prouvost. Nous sommes à la fois tous coupables et victimes potentielles.

Commençant doucement à prendre conscience de cette situation étouffante, les collectivités locales finissent par prendre des mesures (ou mesurettes, selon les régions), notamment pour limiter la circulation automobile. Non sans provoquer la rage des automobilistes chevronnés. La Métropole européenne de Lille envisage ainsi d’aller plus loin que la seule circulation différenciée exigée lors des pics de pollution, en instaurant une ZFE (zone à faibles émissions) sur une partie de son territoire, interdisant alors les véhicules les plus polluants de manière plus permanente. Sur le littoral, la communauté urbaine de Dunkerque a franchi un autre pas, en septembre 2018, en ouvrant la gratuité aux transports publics. Une véritable révolution pour cette agglomération de 17 communes et 200.000 habitants…

L.R


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