Deux ans après l’installation d’une filiale du géant Alibaba aux abords de l’aéroport de Liège en novembre 2021, la lutte continue pour empêcher l’extension de l’aéroport, dédié principalement au fret et rare aéroport européen autorisant encore les vols de nuit.

Malgré les nombreuses plaintes des riverains aux alentours et le bilan mitigé quant aux avantages de son exploitation pour l’économie wallonne, le gouvernement a reconduit en janvier 2023 le permis d’exploitation de l’aéroport pour encore de nombreuses années, en contradiction totale avec l’urgence climatique.

Un permis renouvelé malgré les réticences et les plans climatiques

En janvier 2023, la validité du permis d’exploitation de l’aéroport de Liège touchait à sa fin, obligeant les autorités wallonnes à débattre de sa reconduction, et dans quelles conditions. Malheureusement – mais sans grande surprise – le renouvellement du permis unique pour les 20 prochaines années a été acté. Cet arrêté ministériel prévoit une limite de 55.000 mouvements (atterrissages et décollages) par an, sans compter les avions de moins de 34 tonnes et/ou de moins 19 passagers, soit une augmentation par rapport au dernier permis. À titre de comparaison, en 2021, ce sont 39.124 mouvements qui ont été opérés. Les avions dépassant certains quota de bruit seront eux progressivement interdits de vol entre 23h et 7h du matin.

Compte tenu de l’urgence climatique actuelle, cette décision ne sonne pas comme une bonne nouvelle. L’Agence Wallonne de l’Air et du Climat (AwAC) avait d’ailleurs remis un avis défavorable au renouvellement du permis d’exploitation de l’aéroport, mettant en garde sur les risques tant climatiques que sanitaires de la pollution de l’air liée à l’activité de l’aéroport. En 2022, l’AwAC avait estimé que les émissions de CO2 engendrées par l’activité aéroportuaire dans son ensemble étaient équivalentes à 21% des émissions du trafic routier de la région.

Une étude du climatologue de l’Université de Liège, Pierre Ozer, sortie en 2021 a par ailleurs révélé qu’entre 2013 et 2020, les émissions de CO2 liées à la navigation aérienne de l’aéroport avaient augmenté de 147%. Le constat alarmant de cette étude démontre que les émissions liées à l’activité aéroportuaire annulent la totalité des efforts de réduction d’émissions de CO2 par la Région Wallonne. Pire encore, cette analyse ne tenait pourtant pas encore compte de l’intensification de l’activité aérienne depuis le boom du e-commerce et l’arrivée d’Alibaba à Liège. Ainsi, les projections ont permis à l’auteur d’estimer que l’augmentation des émissions de CO2 liées à l’aéroport entre 2018 et 2020 aura été deux fois plus rapide que les efforts de réduction d’émissions de toute la Région. 

Emissions de CO2 (en tonnes) suite à la combustion du kérosène JET A1 pour la navigation aérienne au départ de Liège Airport. Source : « Les émissions de CO2 à Liège Airport explosent et annulent la totalité des efforts wallons de réduction de dioxyde de carbone » , Pierre Ozer

Dans un même temps, la Région Wallonne s’est engagée à réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et continue pourtant d’encourager l’activité aéroportuaire qui pèse lourd dans la balance en nourrissant l’ambition de devenir l’un des aéroports cargo les plus importants d’EuropeC’est le serpent qui se mord la queue.

Pour couronner le tout, on apprend dernièrement que de plus en plus de vols de jets privés s’envolent depuis la Belgique ces dernières années, et l’aéroport de Liège n’y fait pas exception, notamment pour effectuer le fameux vol Liège – Maastricht soit 37 kilomètres de distance.

Le développement de Liège Airport est une aberration en matière environnementale et illustre encore une fois l’hypocrisie des autorités entre ambitions climatiques et réalité. Plusieurs associations de défense de l’environnement ont d’ailleurs déposé un recours devant le conseil d’Etat suite au renouvellement du permis.

Conséquences catastrophiques de l’implantation d’Alibaba

Il y a principalement 2 raisons qui motivent le gouvernement wallon à promouvoir le développement de l’aéroport de Liège : l’économie et l’emploi. Les possibilités d’exports de produits belges vers le marché chinois et la création d’emploi sont d’ailleurs les principaux arguments que les autorités de la Région Wallonne avaient avancé en faveur de l’accueil d’un hub logistique européen d’Alibaba sur quelques 22 hectares de terres.

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Et pourtant… Dans un récent rapport sur l’impact du méga-hub d’Alibaba et plus précisément de l’installation de sa filiale Cainiao à Liège en 2021, intitulé « Pire que la cocaïne », le politologue Jonathan Holslag dresse le bilan de l’arrivée du géant d’e-commerce, et celui-ci est pour le moins mitigé : jusqu’ici, ce sont à peine 300 emplois qui ont été créés, des bénéfices moindres pour l’économie wallonne mais une opportunité pour la Chine de se faire une place d’honneur dans les affaires européennes.

Selon le politologue, dès le début des négociations avec le géant chinois, la Belgique a été naïve à bien des égards : d’une part, de considérer Alibaba en tant qu’entreprise privée à part entière alors que cette dernière reste un pion du capitalisme d’État de la Chine et, d’autre part, de penser que les entreprises belges pourraient bénéficier de sa venue, alors qu’aucune étude d’impact n’avait été réalisée pour appuyer cet argument et absolument rien ne pouvait garantir ce scénario. Au contraire, la politique de la Chine en matière d’e-commerce était alors bien claire et connue : la priorisation des exports vers l’Europe.

De ce fait, l’installation du géant du e-commerce a vu le nombre d’imports de marchandises chinoises en Belgique augmenter considérablement, rendant d’ailleurs impossible le travail des douaniers ne disposant pas des moyens adéquats pour gérer un tel flux, tandis que les exports patinent… Un manque de lucidité politique de la part des autorités belges qui se solde par un échec total pour l’économie locale…

Le rapport stipule que « ces trois dernières années, les exportations belges aériennes ont diminué et entraîné 60 millions d’euros de perte et en même temps les importations chinoises sur notre territoire ont augmenté de 600 millions d’euros ».

Sur le plan environnemental, l’arrivée d’Alibaba se fait également sentir. Selon l’étude de Pierre Ozer, « la quantité de CO2 émise pour transporter une tonne de marchandise a augmenté de 25% entre 2013 et 2020, passant respectivement de 1,12 à 1,40 tCO2. Alors que les progrès technologiques devraient logiquement faire baisser ce ratio CO2 émis / unité de marchandise transportée, la seule explication vient de l’intensification des partenariats extracontinentaux de Liège Airport, notamment avec la Chine suite à l’arrivée du géant de l’e-commerce : Alibaba. »

Enfin, si l’argument économique est souvent avancé pour défendre l’exploitation de l’aéroport, on apprend que, pour pallier les nuisances sonores, la Région wallonne a participé à l’insonorisation des maisons de quelques 5 000 riverains, pour un coût de 400 millions d’euros sur 20 ans. Or, plus l’aéroport s’étend et intensifie ses activités, plus la demande d’indemnisation de la population sera élevée.

Luttes citoyennes et souveraineté alimentaire

À côté de tout ça, ce sont les riverains qui trinquent : pollution sonore de jour comme de nuit, perte de biodiversité, pollution de l’air. Peu rassurant quand l’on sait que, rien qu’en 2022, ce sont au moins 238 000 personnes dans l’Union Européenne qui sont décédées prématurément à cause d’une exposition aux particules fines.

C’est notamment le collectif d’associations « Stop Alibaba & co » qui porte la voix des citoyens contre l’exploitation de l’aéroport de Liège, et la bétonisation de ses alentours. À l’occasion de la journée internationale des luttes paysannes du 17 avril, agriculteurs et défenseurs de l’environnement sont venus manifester contre la bétonisation des terres agricoles dans la région. En effet, dans les prochaines années, le projet d’extension prévoit notamment la construction de bureaux, y compris pour Alibaba, s’étendant sur au moins 350 hectares de terres pourtant cultivables (et pour certaines, encore cultivées) et très fertiles.

Mobilisation du 8 décembre 2022. Stop Alibaba & co.

Résultat des courses : moins de terres arables pour les agriculteurs et constante augmentation des prix de celles-ci. Un comble souligné par les syndicats agricoles, alors même que la Belgique est déjà très dépendante des importations en matière d’alimentation. C’est la souveraineté alimentaire du pays qui est menacée par cette bétonisation. La Belgique est d’ailleurs le troisième pays d’Europe le plus artificialisé, comptant 11,4% de son territoire bétonné en 2018.

Le  réseau de soutien à l’agriculture paysanne (RéSAP) souligne d’ailleurs avec amertume que la part des ressources publiques allouées au projet d’extension de l’aéroport de Liège jusqu’ici, à savoir 1,24 milliards d’euros, a été dix fois supérieur au montant destiné au renforcement de la souveraineté alimentaire (124 millions d’euros) dans le plan de relance de la Région.

Changer de cap

Le constat est sans appel : si la Région Wallonne veut respecter ses engagements en termes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, elle devra mettre un sérieux frein au développement de Liège Airport. L’implantation d’Alibaba en Belgique démontre sans nul doute que ce n’est pas la solution pour stimuler l’économie locale, et d’autant plus par égard au projet de bétonisation des terres cultivables qui menace la souveraineté alimentaire du pays.

Stop Alibaba & co.

Enfin, justifier l’exploitation aéroportuaire par la création d’emploi dans la Région est obsolète. On ne le dira jamais assez : la transition écologique créera plus d’emploi qu’elle n’en détruira, si des mesures d’accompagnement adéquates sont mises en œuvre. Il est impératif de commencer cette transition dès maintenant plutôt que de continuer à miser sur des activités nuisibles pour l’environnement, l’économie locale et les riverains.

À nouveau, il est utile de rappeler que ce changement de cap doit se faire de manière coordonnée au niveau international, européen du moins, afin d’instaurer des réglementations strictes et ne pas se limiter à déplacer le problème aux aéroports des pays voisins.

– Delphine de H.


Photo de couverture : Action de blocage contre l’extension de Liege Airport – Stop Alibaba (Liège). Source : YouTube

Sources :

« Aéroport de Liège: emplois ou environnement? », Serge Quoidbach, L’écho, 11/01/2013

« À Liège, l’arrivée d’Alibaba cristallise les oppositions contre l’aéroport », Pauline Bandelier, Podcasts rfi

https://www.todayinliege.be/le-nombre-de-voyages-en-jet-prive-a-liege-airport-a-double-en-5-ans/

– Ozer P. (2021), « Les émissions de CO2 à Liège Airport explosent et annulent la totalité des efforts wallons de réduction de dioxyde de carbone », Orbi (ULg)

« Climat: la transition sera porteuse d’emplois si elle est encadrée », Frédéric Rohart, 5 juin 2023, L’echo

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