À travers une enquête publiée sur YouTube, le vidéaste G Milgram s’est interrogé sur le phénomène de la lecture rapide. Comme il l’a expliqué à Mr Mondialisation, ce processus qui permettrait à des individus exceptionnels de dévorer jusqu’à dix pages à la minute relève en réalité d’une vaste arnaque destinée à enrichir quelques personnes peu scrupuleuses. Décryptage d’une fumisterie.

Depuis de très nombreuses années, beaucoup d’entre nous entendent parler de la lecture rapide, notamment par le biais des médias. Et malgré le caractère incroyable de cette prouesse, il faut bien admettre que peu de gens s’étaient jusqu’ici interrogés sur la véracité de ce type d’exploit.

Une escroquerie sur le plan scientifique

À l’instar de nombreuses pseudosciences, la réalité de la lecture rapide ne repose sur « aucune validité scientifique ». Pire, elle prône des méthodes qui nuiraient à la compréhension, comme la suppression volontaire de subvocalisation (cette petite voix qui résonne dans notre tête lorsque nous parcourons des écrits).

Selon G Milgram, des « dizaines d’études prouvent que la subvocalisation participe à la bonne assimilation d’un texte ». Au contraire, lorsque l’on tente de l’inhiber, « on perd en compréhension ».

Constat similaire pour les saccades oculaires que les promoteurs de la lecture rapide considèrent comme un gâchis de temps. Et ce même si les chercheurs indiquent, là aussi, qu’elles sont indispensables à la compréhension.

La dernière technique mise en avant par les charlatans pour augmenter sa vitesse serait celle de l’utilisation de la vision périphérique. Autrement dit, le cerveau serait capable d’assimiler les mots sans même les lire en fixant un point de la page. Un argument qui va « à l’encontre de l’anatomie humaine » explique le vidéaste. Et pour cause : « on ne peut pas déchiffrer plus de sept lettres en même temps d’un seul coup d’œil ».

G Milgram nous confirme de plus que les utilisateurs de cette technique ne se sont jamais soumis à des tests organisés par des scientifiques ou une entité indépendante d’eux-mêmes. Selon lui, ils affirment d’ailleurs qu’ils « n’ont plus rien à prouver ».

Un succès propulsé par les médias

Le pire réside sans doute dans le fait que toutes les données disponibles sur le sujet sont accessibles à tous. Et pourtant, de manière assez incroyable, la quasi-intégralité des médias de masse accorde depuis des années une immense publicité à la lecture rapide.

Aucun d’entre eux ne semble avoir eu l’idée d’aller faire un travail de recherche de base pour aller vérifier si ce procédé reposait sur une quelconque légitimité scientifique. « Il y a certainement une logique de “ certification ” médiatique qui joue », explique le youtubeur. « Quand un journaliste parle d’un champion du monde de lecture rapide et l’invite pour évoquer sa discipline, je pense que cela le valide aux yeux des autres médias. » Un processus qui entraîne « un effet boule de neige. »

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La presse a, il est vrai, la fâcheuse tendance à se copier les uns les autres, comme si le fait de passer « sur un plateau télé prouvait qu’un travail de vérification avait dû être fait en amont », ce qui n’est manifestement pas toujours le cas.

Il faut aussi dire que du côté du public, le questionnement de cette pratique n’est pas très présent non plus. « Peut-être parce que le terme “ lecture rapide ” renvoie à des prétentions floues et très variées. Entre ceux qui promettent d’améliorer sa vitesse de lecture de 30 % et ceux qui aujourd’hui sur les réseaux affirment lire 10 fois plus vite que la moyenne sans perdre en compréhension, il y a un monde » tente d’expliquer le trentenaire à l’origine de l’enquête.

Des championnats bidon comme vitrine

Mais si les médias français s’intéressent autant à la lecture rapide, c’est peut-être aussi parce que l’hexagone dispose d’énormément de « champions » en la matière, poursuit le vidéaste. « C’est valorisant pour notre pays », ajoute-t-il.

En effet, pour mettre en avant leurs compétences, les « sprinteurs de la lecture » préparent chaque année des compétitions mondiales. « Cet univers reprend les codes des fédérations sportives officielles », développe l’auteur de l’enquête. Un élément qui permet de les « crédibiliser » auprès du grand public.

La dernière opposition internationale s’est récemment réunie en Pologne. Et durant son investigation, G Milgram a eu la surprise de constater que « la plupart des intervenants étaient français », que ce soit au niveau des organisateurs, mais aussi des participants. Lorsque l’on regarde la liste des concurrents « 71 % sont français et 93 % viennent de pays francophones ».

La liste des 23 premiers en catégorie adulte pour le championnat du monde de 2023

Pire encore, les candidats autorisés à prendre part au championnat ne sont pas sélectionnés selon leurs compétences, comme pour n’importe quelle autre discipline, mais simplement de par leur statut de client de la formation vendue par l’entreprise. Un prérequis indispensable.

Le fait est qu’il n’existe pas de fédération officielle internationale comme on pourrait le voir pour des épreuves sportives classiques. N’importe qui est donc en capacité de monter une compétition. G Milgram note d’ailleurs qu’il a pu se dérouler en France plusieurs « championnats de France » organisés par deux entités différentes.

Vastes conflits d’intérêts et business juteux

En creusant, il n’a pas fallu longtemps au vidéaste pour réaliser que les organisateurs de ces concours étaient à la fois « arbitres, participants et vendeurs de formations en lecture rapide ». Dans la salle de la compétition, on peut d’ailleurs apercevoir de la publicité (encore en français) pour ces mêmes leçons.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un commerce très prolifique, puisque ces cours censés apprendre à lire beaucoup plus rapidement sont vendus pour plusieurs centaines d’euros par les mêmes entreprises qui mettent en place les championnats.

Dit autrement, nous avons ici affaire à un vaste réseau d’escroquerie qui se promeut lui-même à travers des compétitions factices. Il n’y a d’ailleurs pas « vraiment de transparence » sur la nature des questionnaires servant aux affrontements.

G Milgram nous indique néanmoins qu’il s’agit de « questions qui portent fréquemment sur des noms propres, des noms de personnages, de lieux, que les participants repèrent rapidement grâce aux majuscules et qu’ils peuvent noter pendant le temps de “ lecture rapide ” pour le recracher ensuite en questionnaire. »

Toutefois, selon lui, il n’existe « aucun intérêt à poser des questions de ce type », puisqu’elles « ne disent rien de la compréhension de ce qu’on est en train de lire. » La façon dont est réalisé le classement reste aussi très obscure : on ne sait d’ailleurs rien du taux de « réponses exactes » des participants.

Une bulle prête à exploser ?

La bonne nouvelle, c’est que cette enquête « touche beaucoup plus de monde » que ne l’aurait imaginé son auteur, « positivement surpris par son retentissement ». De quoi déclencher un sursaut au sein des grands médias pour qu’ils cessent de faire la promotion de cette vaste arnaque ?

« Je l’espère ! » nous confie G Milgram. En attendant, plusieurs médias en ligne ont déjà réagi sur la question. « Comme Hugo Décrypte et Popcorn » qui avaient mis en lumière cette pratique et qui ont fait leur mea culpa après avoir visionné la vidéo. Pour autant, pour le moment « aucun média traditionnel n’a réagi, et FranceInfo et France3 en faisaient encore la promotion il y a quelques jours » regrette le créateur. Plus pour très longtemps ? C’est tout ce qu’on souhaite !

En attendant, pour aiguiser votre esprit critique, on ne peut que vous recommander chaudement de vous abonner à la chaîne de notre interlocuteur du jour en cliquant ici.

– Simon Verdière


Photo de couverture de Road Trip with Raj sur Unsplash

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