En France, cinq millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Mais derrière ces chiffres, qui sont les pauvres et où vivent-ils ? Comment vit-on en France avec moins de 1 000 euros par mois ? Dans son nouveau rapport, l’Observatoire des inégalités dresse le portrait de toute une partie de la population, vivant pourtant dans un pays parmi les plus riches au monde.
« Comment vit-on en France avec moins de 1 000 euros par mois, le montant du seuil de pauvreté ? C’est le lot de cinq millions de personnes, adultes et enfants compris », dénonce Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, dans le préambule du nouveau rapport publié le mardi 3 décembre. Depuis plus de 20 ans, l’organisation dresse un état des lieux des inégalités.
Une pauvreté en hausse depuis deux décennies
En 20 ans, 1,4 million de personnes supplémentaires ont rejoint les rangs de la pauvreté dans l’Hexagone et en Outre-Mer. « En 2002, 6,6 % de la population était pauvre. C’est le point le plus bas atteint depuis 2000 ». En 2022, la pauvreté concerne désormais 8,1 % de la population, soit 1,5 point de plus.
Mais être pauvre, c’est quoi ? Pour calculer la pauvreté, plusieurs méthodes existent. Pour l’Observatoire des inégalités, c’est vivre avec moins de la moitié du niveau de vie du Français du milieu, celui qui se situe entre les 50 % les plus pauvres et les 50 % les plus riches. Un calcul également retenu par l’OCDE.
Concrètement, pour une personne seule vivant en France, le seuil de pauvreté est de 1 000 euros par mois, prestations sociales comprises. Pour un couple sans enfant, cela représente 1 500 euros. Et pour une famille avec deux enfants de plus de 14 ans, 2 500 euros. L’association constate que si « la pauvreté n’explose pas », elle gagne cependant du terrain.
Les données décrivent notamment une stagnation du niveau de vie médian des plus précaires. « En 2002, 50 % des pauvres gagnaient moins de 772 euros par mois après prestations sociales. En 2022, ce niveau de vie médian est de 832 euros, soit seulement 60 euros supplémentaires », expliquent les auteurs du rapport. Alors même que l’inflation a explosé.
Au quotidien, cela amène de nombreux renoncements et inquiétudes. « Parmi les 20 % les plus modestes, 62 % déclarent qu’ils ne pourraient pas faire face à une dépense imprévue de 1 000 euros et 56 % qu’ils ne peuvent pas changer un meuble hors d’usage », note le rapport. Plus grave encore, environ un quart se prive de nourriture et de chauffage pour faire face aux coûts de la vie selon l’Insee. La pauvreté est aussi synonyme d’exclusion sociale : 53 % disent ne pas pouvoir partir en vacances, alors que 15 % ne peuvent pas s’offrir un verre, un repas en famille ou entre amis.
« Les plus pauvres des plus pauvres n’ont pas de problème de fin de mois : ils n’ont rien dès le premier jour »
Derrière ces privations liées à la pauvreté ordinaire, l’extrême misère persiste en France. Eurostat, l’Institut européen des statistiques, estime en 2022 qu’environ 600 000 personnes vivent avec moins de 400 euros par mois pour une personne seule en France, l’équivalent de 600 euros pour un couple sans enfant et de 1 000 euros pour un couple avec deux adolescents.
En outre, quatre millions de personnes (soit 6 % de la population) sont considérées comme mal logées en France, selon le rapport 2024 de la Fondation Abbé Pierre. Derrière ces chiffres plusieurs réalités se superposent : « du sans domicile fixe au jeune adulte contraint de revenir vivre chez ses parents, en passant par le couple qui vit avec son enfant dans un studio », relate l’association qui distingue l’habitat inconfortable, le manque d’espace et l’absence de logement à soi.
Mais qui sont les personnes les plus à risque d’être touchées par la pauvreté ? L’Observatoire constate :
« Être au chômage, vivre avec un handicap, subir une séparation, être né ailleurs qu’en France, et surtout avoir un faible niveau de qualifications : ces critères (qui peuvent se cumuler) exposent à la pauvreté »
Être pauvre, la faute à pas de chance ?
Attention toutefois à ne pas se laisser avoir par les représentations les plus répandues : « les pauvres sont aussi des hommes et des femmes d’âge moyen qui vivent en couple et ont un emploi précaire par exemple », souligne l’association. Et pour cause : en 2022, 1,1 million de personnes exerçaient un emploi mais disposaient d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Ne pas détenir de titre scolaire est également un lourd handicap pour accéder à un niveau de vie suffisant. Selon les données 2021 de l’Insee, 80 % des personnes pauvres ne sont pas allées au-delà du baccalauréat et près d’un tiers n’ont aucun diplôme.
Vivre en couple semble par contre faire rempart à la précarité, puisque le taux de pauvreté des couples sans enfant est de 4 %, et 7,1 % pour ceux qui ont des enfants, des niveaux inférieurs aux 8,1 % de la moyenne nationale. « Celui des personnes seules de moins de 65 ans atteint 12,8 % et celui des familles monoparentales, 19,2 %, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Plus d’un million de personnes, parents et enfants compris, vivent dans une famille monoparentale avec un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Dans 80 % des cas, il s’agit de femmes seules avec un ou plusieurs enfants », note l’association.
Au final, seul l’accès à l’emploi durable et correctement rémunéré protège vraiment. Alors que le taux de chômage tend à diminuer dans l’hexagone, l’organisation dénonce « une précarisation du travail » et le « développement d’un mal-emploi comparable au mal-logement » qui provoquent une augmentation de la pauvreté.
Pauvreté : où se situe la France en Europe ?
Par rapport à ses voisins européens, la France fait mieux que l’Italie et l’Espagne, qui affichent un seuil de pauvreté d’environ 13%. La Bulgarie (15,5%) et la Roumanie (14,8%) sont les pays où la part de la population pauvre est la plus importante. Les pauvres les moins pauvres d’Europe habitent en Suisse et en Norvège où le seuil de pauvreté dépasse 1 100 euros par mois selon les données recueillies par Eurostat.
De manière générale, les pays du nord et de l’ouest de l’Europe affichent les taux de pauvreté les plus bas au monde. Pour l’Observatoire des inégalités, cela s’explique notamment par des régulations sur le salaire minimum et à de meilleurs prestations sociales pour les ménages les plus modestes.
« Un taux de pauvreté faible montre comment la protection sociale réussit à contenir la pauvreté […] La fracture sociale n’est pas seulement le fait de l’enrichissement des plus aisés de notre société, elle se creuse aussi par le bas »
Finalement, le tour d’horizon de la pauvreté dressé par l’Observatoire vise une chose : « alimenter un débat pour avancer vers plus de justice sociale ». Les auteurs du rapport appellent l’État à se saisir de cet enjeu majeur et à arrêter de « sous-traiter » l’action sociale aux organismes de terrain qui se voient submergés.
« Obnubilés par les sondages, focalisés sur l’immigration, les partis traditionnels, de droite comme de gauche, s’intéressent au fond assez peu à cette question. Pourtant, la population concernée par la pauvreté est beaucoup plus large qu’on le pense. (…) Un tiers des Français se sentent pauvres ou craignent de le devenir dans les cinq prochaines années », conclut Louis Maurin.
– L.A.
Photo de couverture : Manifestation contre l’habitat indigne et en soutien aux délogés marseillais, après l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne en 2018. Wikimedia