Alors qu’Emmanuel Macron promettait un « débat scientifique rigoureux » et un État « à l’avant-garde du combat contre les perturbateurs endocriniens » (PE), la France a une nouvelle fois capitulé face à la locomotive allemande et aux intérêts de ses industries pétrochimiques en abandonnant sa lutte contre la définition controversée de la Commission Européenne concernant ces xénohormones.

La double dangerosité des perturbateurs endocriniens  

En guise de rappel, les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur les organes. Ils ont notamment des effets néfastes sur la fertilité et sont parfois responsables de diabètes, de troubles du système nerveux et de multiples cancers. Leur toxicité inquiète particulièrement les experts de la santé pour plusieurs raisons :

Ils sont désormais présents partout, dans l’alimentation, dans l’eau contaminée et composent différents objets du quotidien comment en a fait écho en avril dernier le magazine 60 millions de consommateurs. Celui-ci affirme que les jeunes Français sont « tous contaminés » après avoir analysé les cheveux d’un échantillon d’adolescents et dénombré en moyenne 34 molécules de polluants pour chacun d’entre eux.

– L’estimation de leurs effets est longue et difficile en ce qu’elle dépend d’une infinité de paramètres : les substances multiples liées à nos différents modes de vie provoquant un « effet cocktail », exposition à faible dose, de courte durée ou a des périodes clés du développement (in utero, puberté, grossesse…). En ajoutant à cela la pression des lobbies industriels qui défendent la production et la commercialisation de ces molécules, il demeure extrêmement compliqué d’en démontrer scientifiquement la toxicité. Un PE potentiellement nuisible peut donc être répandu à l’échelle mondiale pendant des dizaines d’années sans encombre avant d’être interdit.

La capitulation de la France face à l’Allemagne

Mardi 4 juillet se réunissait la Commission Européenne pour statuer sur une définition commune des PE afin d’en restreindre voire interdire l’accès au marché selon des critères bien précis. Depuis 2013, cette mission d’intérêt collectif est embourbée dans un certain marasme et le texte présenté depuis juin 2016 n’était jamais parvenu à s’imposer. En cause, l’obstination de la Suède et du Danemark qui s’opposaient farouchement à un texte jugé inacceptable. « Inacceptable » ce sont aussi les mots de Ségolène Royal, alors Ministre de l’Environnement, en décembre 2016, pour qualifier la proposition de définition des PE, entérinant ainsi le rôle majeur de la France dans cette opposition tricéphale. C’était sans compter le nouveau gouvernement.

Cette opposition a donc explosé alors que la France a finalement voté en faveur du texte, permettant ainsi une majorité qualifiée réunissant 22 États membres favorables. Nicolas Hulot, fraîchement nommé au ministère de l’Environnement, qui avait pourtant annoncé qu’il « ne céderait rien », a finalement lâché du leste sur cette question épineuse. Vytenis Andriukaitis, Commissaire européen à la santé et la sécurité alimentaire s’est quant à lui félicité d’un « grand succès » qui permettrait à court terme l’établissement du « premier système réglementaire au monde pourvu de critères légalement contraignant, définissant ce qu’est un perturbateur endocrinien ».

Les pesticides épargnés !       

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Mais voilà, la définition adoptée reste peu ou prou la même que la définition initiale. De fait, les deux défauts majeurs de la proposition sont loin d’avoir été résolus. Tout d’abord, à la demande de l’Allemagne, les critères définissant et donnant lieu à une possible interdiction des PE exemptent… …les pesticides qui sont non seulement souvent dangereux pour l’environnement et dont nombre d’entre eux sont des perturbateurs endocriniens reconnus. « C’est absurde ! C’est comme si on interdisait les armes à feu, sauf celles conçues pour tuer les gens », exulte François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures, dans un entretien pour Reporterre.

Le second point régulièrement soulevé réside dans le caractère juridique du texte qui est un abandon pur et simple du principe de précaution : afin d’identifier une substance comme un PE, la charge de la preuve est particulièrement lourde, si bien qu’il serait pratiquement impossible de procéder à une interdiction. Le temps entre l’exposition à une de ces substances et l’apparition des effets pouvant aller jusqu’à 25 ans, on comprend alors que seules quelques unes risquent d’être réellement inquiétées. Des conditions ainsi largement favorables aux industries pétrochimiques (CEFIC, American Chamber of Commerce, American Chemistry Council, Bayer…) dont les lobbies furent très actifs. Graeme Taylor, porte-parole de l’ECP -réunissant les plus grands industriels du secteur- pousse le cynisme jusqu’à estimer cette définition trop contraignante pour l’industrie : « les critères ne fournissent aucune protection supplémentaire pour la santé et l’environnement et ne servent qu’à avoir un impact disproportionné et discriminatoire sur les agriculteurs européens qui vont souffrir d’une nouvelle réduction arbitraire du nombre d’outils à leur disposition » déclare-t-il. Par « outil » entendez des produits chimiques dont la dangerosité sur le système endocrinien aurait été démontrée selon la définition déjà très rigoureuse.

Accordés par le texte de la Commission, les 50 millions d’euros alloués à la recherche et la possibilité des États à prendre individuellement des décisions unilatérales sur ces questions semblent finalement être le lot de consolation un peu amer de cette déconfiture politique.

Un enjeu qui dépasse le secteur alimentaire

En plus du risque de perturber durablement notre santé et notre environnement au profit de quelques multinationales omnipotentes de l’agroalimentaire, la définition établie par la Commission Européenne entraine des conséquences qui dépassent de loin le secteur agricole. L’industrie pétrochimique pourra continuer à commercialiser des substances que l’on retrouve dans une multitude de secteurs; des jouets pour enfants aux pneus automobiles en passant par les cosmétiques. La liste est bien trop longue pour être établie ici. Dans un communiqué de Candice Colin, Président d’Officina, premier laboratoire de beauté 100% naturel et sans pétrochimie, celle-ci s’insurge contre une définition « a minima et limitée aux pesticides ». À l’heure où une femme applique en moyenne « 100 à 150 ingrédients d’origine pétrochimique sur sa peau », elle conclut que la définition adoptée « reste insuffisante et ne concerne surtout que les pesticides alors que ces substances sont omniprésentes dans notre quotidien, y compris dans les cosmétiques ».

Une décision de Hulot, critiquée par la Fondation Hulot

Parmi les nombreux détracteurs de cette décision européenne discutable, on y retrouve…la Fondation Hulot pour la nature et l’homme ! Alors même que la fondation française reconnue d’utilité publique fait régulièrement l’objet de critiques concernant la constitution de son conseil d’administration où siège notamment l’Oréal, celle-ci déplore « une définition imparfaite qui laisse un goût amer… ». Au diapason des 70 ONG européennes de l’EDC-Free Coalition, la fondation désormais dirigée par Audrey Pulvar s’oppose donc elle-même à son fondateur (Nicolas Hulot) qui se félicite pourtant d’une « avancée considérable » et de l’ouverture d’une « brèche qui n’est pas prête de se refermer ».

Si dans son tweet, ladite Fondation se veut cependant optimiste. L’Europe, guidée par l’Allemagne, a une nouvelle fois su servir les intérêts de ceux qui la servent au détriment des alertes lancées par les 460.000 signataires d’une pétition (qu’il est encore temps de signer !) demandant aux gouvernements européens de respecter le principe de précaution, par le corps scientifique ainsi que par la myriade d’ONGs qui s’élèvent contre cette décision. Un espoir, finalement bien maigre, réside cependant dans le possible rejet de cette proposition par les députés européens qui disposeraient alors de quatre mois à compter de la notification officielle de la Commission pour adopter, à l’unanimité, une résolution s’y opposant.


EDC-Free Coalition Communiqué / 60millions-mag.com / reporterre.neteuropa.eu

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