Accueil Articles

Philippines : l’enfer doré des mines artisanales

Philippines : l'enfer doré des mines artisanales
Philippines : l'enfer doré des mines artisanales

Aujourd’hui, 70 % de l’or en provenance des Philippines est issu de mines artisanales illégales. Malgré les risques, hommes, femmes et enfants peinent pour quelques pesos, dans une ruée vers l’or effrénée marquée par la pauvreté. Décryptage.

Aux Philippines, où se cache la 5ème plus grande réserve d’or de la planète, des familles entières se lancent dans la course au précieux minerai : hommes, femmes et enfants. C’est dans le centre de l’archipel que les sols sont les plus riches. On y trouve la moitié des gisements du pays.

Un trésor souterrain estimé à plusieurs millards d’euros

Dans la région, des milliers de mines artisanales subsistent alors que l’activité échappe à toute réglementation officielle. 70% de l’or en circulation dans le pays provient de ces petites mines, une manne financière estimée à 2,5 millards d’euros. Pourtant, la majorité des travailleurs du secteur est plongée dans l’extrême pauvreté, risquant leur vie et leur santé pour quelques pesos par jour.

À Paracale, une municipalité de la province de Camarines Norte, l’extraction artisanale est monnaie courante. En dialecte local, le nom de la ville signifie « chercheurs d’or ». Trois quart de sa population vit grâce au minerai, soit près de 45 000 personnes.

Parmi elles, les femmes occupent les postes les plus ingrats et les moins rémunérateurs du secteur. Comme chaque matin, Christy Ortiz se lève à l’aube pour préparer à manger pour ses sept enfants. Un peu plus tard, elle s’enfonce dans les rizières boueuses, aux côtés de son mari. Ensemble, ils continuent de fouiller et de rêver grand. La jeune femme a confié au Japan Times qui dédie un article au sujet :

« La vie ici est dure, mais mes enfants me donnent la force de le faire »

L’espoir sous la boue

À l’aide d’un compresseur, véritable poumon de métal à l’origine destiné à gonfler les pneus de voiture, son mari s’engouffre pour plusieurs heures dans une mine artisanale creusée à la seule force de leurs bras. Immergé dans l’eau boueuse, l’homme est retenu à la vie par un simple tube de plastique lui expulsant de l’air comprimé.

À tout moment, un effondrement menace de l’enterrer vivant, comme c’est arrivé à tant d’autres avant lui. La pratique est interdite depuis 2012 par le gouvernement, mais sur le terrain, le secteur est loin d’être réellement régulé.

Pendant que son mari patauge sous la surface, remplissant des seaux de terre dense et lourde, Christy accomplit minutieusement les rituels qui lui permette d’extraire chaque éclat d’or caché dans la vase. Une fois la poudre du précieux minerai récoltée à l’aide d’un système de filtres artisanal, elle la fait doucement chauffer avec du mercure, un métal hautement toxique à la propriété unique de former un amalgame avec l’or.

Considéré comme l’un des dix produits chimiques extrêmement préoccupants pour la santé publique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le mercure a des effets irrémédiables sur les systèmes nerveux, digestif et immunitaire, ainsi que sur les poumons, les reins, la peau et les yeux. Malgré tout, la jeune femme poursuit sa tâche, sans aucune protection.

Pour quelques dollars par jour

« Son revenu : un petit morceau de métal ambré valant moins de 200 pesos (3,56 dollars) – de quoi tenir toute la journée. Elle a eu plus de chance qu’hier, dit-elle, quand il n’y avait pas d’or », détaille le média nippon.

« Je ne voulais pas faire ça pour toujours – je voulais retourner dans ma ville natale », explique Christy qui vit à plus de 1 000 km du village où elle est née. « Mais je ne voulais pas que les gens là-bas sachent que je suis en difficulté depuis mon arrivée ici. »

À l’échelle mondiale, près de 15 millions de femmes travaillent dans le secteur de l’extraction minière artisanale. On estime que 18 000 à 20 000 de femmes et d’enfants philippins oeuvrent plus précisément dans ce secteur.

Discriminations de genre : un frein à la reconnaissance pour les femmes minières

Pour autant, les discrimination fondées sur le genre ainsi que le mépris de la santé, de la sécurité et de la protection sociale limitent les droits et les opportunités économiques des femmes minières, selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2023.

Après avoir analysé les pratiques du secteur dans plus d’une vingtaine de pays, l’organisation observe une exclusion quasi-systématique des femmes aux postes à responsabilité, ainsi qu’une inégalité de salaire structurelle pour un même travail effectué.


Gratuit, sans subvention et indépendant depuis 10 ans, nous avons besoin de vous pour continuer ce travail en 2024. Sens-toi libre d’activer un abonnement volontaire sur ce lien en offrant un thé à l’équipe. Merci infiniment.


« Des préjugés culturels profondément ancrés » peuvent également faire obstacle à une réforme plus large du secteur, rapporte le Japan Times. Dans certaines régions, les femmes se voient interdire l’accès aux mines lorsqu’elles ont leurs règles, afin d’éviter « une malchance » qui conduirait à l’éboulement des tunnels ou à une pauvre récolte. Privée de travail et de sécurité sociale, elles sont alors dépourvues de revenus pour plusieurs jours.

Exploitation des enfants : le lourd tribut de l’or

Les femmes ne sont pas les seules victimes de cette ruée vers l’or contemporaine. Des milliers d’enfants risquent leur vie chaque jour en espérant récolter une quantité d’or qui apportera enfin fortune à leur famille.

Dotés d’un corps plus chétif et d’une agilité particulière, ils plongent et s’enfoncent dans les profondeurs, priant pour remonter à la surface sains et saufs. Bien souvent privés d’éducation et de tout espoir d’une vie meilleure, ils risquent à leur tour d’emmener leur progéniture vers la même quête funeste une fois devenus grands.

Des politiciens aux acheteurs d’or, en passant par les entreprises agrées du secteur, c’est tout un système qui se voile la face sur une tragédie humaine. Hommes, femmes, enfants oeuvrent sans répit et pour une bouchée de pain à récolter le précieux métal qui rapporta gros aux détailleurs de fin de chaîne.

« Les gens se demandent pourquoi Paracale n’est-elle pas riche alors qu’elle est riche en or ? », s’égosille Bernadette Asutilla, vice-maire de la capitale de « la Gold Coast ». L’élue s’inquiète des conditions de travail toujours plus dangereuses des milliers de miniers actifs dans le pays.

« Les anciennes mines se sont taries, obligeant les mineurs artisanaux à creuser plus profondément et à travailler encore plus longtemps pour espérer gagner leur vie ».

– Lou. A.


Image de couverture générée par une IA.

- Information -
Donation