L’impact de l’activité humaine sur les océans est souvent compris sous l’angle de la pollution et sous celui de la surpêche. Or, la pollution sonore causée par les bateaux, en dépit de son invisibilité, s’avère tout aussi importante, générant des conséquences profondes, mais encore trop peu documentées, sur la vie océanique.
Mondialisation oblige, nos océans sont sillonnés par des paquebots géants qui, quand ils ne raclent pas les fonds marins, transportent des milliers de containers qui contiennent les éléments de notre société de consommation. Si la pollution océanique est bien connue du grand public sous sa forme visible (détritus – dont le « sixième continent » se présente comme la forme la plus aberrante –, hydrocarbures, déballastage, épaves marchandes ou militaires, etc.), la pollution sonore l’est, en revanche, beaucoup moins. Ainsi, divers travaux récents révèlent que la circulation incessante des bateaux à moteur perturbe fortement la vie marine. De là à y voir un lien de cause à effet entre l’activité humaine et les nombreux échouages de mammifères marins, il n’y a qu’un pas.
Une étude américaine menée à la NOAA (US National Oceanic and Atmospheric Administrationparue), et parue dans la revue PeerJ en février 2016, expose comment le bruit émis par les bateaux parasite gravement la communication des orques par ultrasons. En pratique, le bruit émis par les bateaux peuvent atteindre les 110 décibels (dB) alors que le bruit de fond de l’océan, soit le maximum naturel du bruit moyen en mer, avoisine les 90 dB. Ces 20 dB de différence peuvent constituer un véritable harcèlement acoustique pour les espèces marines, en particulier celles sensibles aux basses fréquences. En effet, les sons générés par l’activité humaine sont de basses fréquences (de 100 Hz à 1.000 Hz) comme ceux utilisés par les épaulards pour communiquer. Ainsi, l’étude démontre que « nos bruits » génèrent une cacophonie marine capable d’influer sur la capacité des mammifères marins à communiquer entre eux.
Photographie © Lee Swift
Le 5 février, des chercheurs britanniques, canadiens et australiens publiaient dans la revue Nature Communications les résultats d’une autre étude démontrant que le bruit des moteurs, en provoquant chez les poissons demoiselles une réaction de stress, les rendait plus vulnérables à leurs prédateurs, allant jusqu’à doubler leur mortalité. Ainsi, les plus petites espèces seraient également concernées. Le phénomène est, tout comme la circulation des marchandises et des bateaux qui les convoient, mondial et affecte les océans jusque dans les grands fonds. Une expérience scientifique étasunienne conduite par la National Oceanic and Atmospheric Administration, l’université d’Oregon et la Garde côtière des États-Unis (US Coast Guard) a montré que les sons des navires étaient perceptibles jusque dans la fosse des Mariannes, le point océanique le plus profond sur terre (à près de 11 km sous le niveau de la mer). Difficile d’y échapper.
Plus l’océan s’acidifie, plus la pollution sonore s’aggrave
Ces divers travaux entrent en résonance avec d’autres études et expériences, qui exposent les effets nuisibles de la pollution sonore sur la vie océanique. En 2001, une expérience géophysique réalisée en Espagne avait provoqué un échouage massif de calmars géants. L’étude de ceux-ci avait révélé des lésions de l’organe sensoriel des céphalopodes, renforçant l’hypothèse d’un lien entre les canons à air utilisés lors de l’expérience et leur désorientation. En 2008, le Laboratoire d’applications bioacoustiques, en Catalogne, recréait cette situation : ce faisant, expose son directeur, Michel André, démonstation était faite que « le bruit traumatise les organes d’équilibre des poissons ».
Mais ce ne sont pas seulement les espèces dotées d’organes auditifs qui sont concernées. D’après un article de Sciences et Avenir, « la pollution sonore affecte tout autant mammifères et poissons qu’invertébrés sourds, grands prédateurs comme minuscule plancton. La chaîne entière de la vie océanique souffre du tintamarre humain, qui empêche communications et sensations vitales ». Une problématique aggravée par l’augmentation de l’acidité des océans. Si le phénomène d’acidification des océans est maintenant connu, ses pires effets ne sont pas nécessairement où on l’imaginait (la raréfaction des coraux, donc du plancton, qui affecteraient en conséquence toute la chaîne alimentaire). Une conséquence inattendue, et dont l’envergure des effets est encore peu connue, est que le son se propage plus vite dans l’eau.
Un problème et des solutions
Le bruit causé par l’activité humaine a diverses sources : navires de pêche, marine marchande, stations off-shore, navires et sous-marins militaires… Comme on le constate, ces éléments sont directement liés à l’utilisation des moteurs à explosion, donc à l’exploitation des énergies fossiles pour la mobilité marine. Ces problèmes ne sont pas sans solution. Dans le premier cas, elle réside en bonne partie dans un choix conscient des consommateurs consistant à acheter moins de poissons issus de la pêche industrielle et à acheter moins de produits issus d’importation, donc à privilégier les circuits courts et la production locale autant que faire se peut. Ensuite, tout comme la voiture est questionnée dans nos villes, le secteur maritime devra vivre sa révolution technologique pour adopter des moteurs plus propres et surtout plus calmes.
L’impact sonore du fret maritime pourrait, quant à lui, être limité par une diminution de la vitesse de navigation. L’étude susmentionnée de la revue PeerJ démontrait d’ailleurs qu’en diminuant sa vitesse d’un nœud, un bateau diminue le bruit qu’il émet d’un décibel. Reste que la logique du libre-échange et de la croissance à tout prix ne va pas exactement dans le sens d’une décélération et que ni les consommateurs ni les dirigeants politiques ni ceux des entreprises commerciales ne semblent prendre la pleine mesure de l’impact environnemental de leurs actes et décisions.
Sources : Sciences et Avenir / Ocean Noise / Image à la une : Campagne de Swiss Ocean Care