Nous sommes cernés de plastique. Emballages, bâtiments, vêtements, et surtout : déchets. Notre ère, c’est celle du « plastocène ». Une étude récente fait le point de la situation et estime que depuis les années 1950, plus de 8 milliards de tonnes de plastique ont été produites, dont la moitié après 2004 seulement. Comme le plastique d’origine fossile ne se dégrade pas naturellement, ces déchets s’entassent progressivement dans les océans, dans les villes et accessoirement dans des décharges, causant d’irrémédiables dégâts sur notre environnement. Que compte-t-on faire de ces montagnes d’ordures ? Quel avenir pour cet élément à la fois bien utile, mais tant problématique ?
Le plastique est apparu au début du 20ème siècle, mais il n’a connu son essor planétaire qu’après la seconde guerre mondiale. Véritable « game changer » industriel, cet essor de la production de plastique a été extraordinaire, tout comme la croissance concomitante de la masse de déchets qui en découle. En guise d’exemple, la part de plastiques parmi les déchets municipaux a augmenté de 1% en 1960 à plus de 10% en 2005, dans les pays dits développés.
Or, l’écrasante majorité des plastiques utilisés couramment, dérivés des hydrocarbures fossiles, ne sont pas biodégradables. Résultat : ils s’accumulent, au lieu de se décomposer, dans les décharges ou l’environnement naturel. Car il n’existe qu’un seul moyen de se débarrasser définitivement des déchets plastiques : il faut les brûler. Mais ce n’est pas le sort que connaissent la plupart de ces déchets plastiques : bien souvent, ils contaminent — à très long terme — les écosystèmes. Le plastique est aujourd’hui si omniprésent dans notre environnement qu’il a été suggéré comme un indicateur géologique pour l’anthropocène ! Les générations futures retrouveront des traces de notre civilisation à travers le plastique que nous laissons derrière nous. Et quelles traces…
100 000 mammifères marins tués chaque année
Une étude récente, publiée chez Science Advances, a synthétisé toutes les données disponibles sur le plastique depuis le début du siècle dernier : combien nous en avons produit, de quel type, et qu’est-ce qui arrive au matériau une fois qu’il a achevé sa courte vie commerciale. Les conclusions sont édifiantes. Des montagnes d’ordures plastiques gisent dans les océans, les décharges, ainsi que dans les réserves d’eau douce (rivières, fleuves) et les écosystèmes terrestres. Le plastique s’est immiscé partout par notre action. D’ici 2050, les auteurs de l’article estiment que l’accumulation va s’accélérer et atteindra les 12 milliards de tonnes.
On ne reviendra pas ici sur les dégâts évidents provoqués par l’omniprésence des déchets plastiques. Comme le dit Roland Geyer, l’auteur principal de l’étude publiée dans Science Advances, « je serai très surpris d’apprendre qu’il s’agit d’un problème purement esthétique ». Sans rire ! Tout le monde connait aujourd’hui l’emblématique « grande poubelle du Pacifique », une aire marine où se concentrent les détritus du monde jusqu’à former un septième continent de déchets en surface. Comme en d’autres lieux, le plastique en surface empêche la lumière de pénétrer dans l’eau, et donc le développement des organismes photosynthétiques végétaux nécessaires à l’alimentation des animaux herbivores. Dans les océans, on retrouve ainsi des déchets jusqu’à 4 500 mètres de profondeur, et jusqu’à 20 kilos au fond des estomacs de baleines. Car celui-ci fait aussi son chemin dans les organismes, sous forme de microparticules, parfois même jusqu’au consommateur. Au total, on estime que 100 000 mammifères marins meurent chaque année en ingérant du plastique (à titre de comparaison, la flotte japonaise tue 330 mammifères marins par ans). 1 million d’oiseaux confondent des résidus plastiques flottant avec de la nourriture.
Cependant, il n’y a pas que les animaux et les végétaux qui sont directement touchés. Ces amas colossaux de détritus diffusent également des polluants organiques persistants dans l’environnement (dont le DDT, un pesticide, des PCB, des phtalates et des métaux lourds). Pour l’instant, on estime mal les risques pour les organismes humains. Plus l’animal est placé en haut dans la chaine alimentaire, plus il est contaminé par les plastiques. Pour l’Homme, la consommation cumulative de faibles doses de ces contaminants chimiques pourrait s’avérer déterminante dans le développement de certaines maladies. Les chercheurs cherchent.
Comment en est-on arrivé là ?
Les scientifiques estiment qu’entre 5 et 13 millions de tonnes de déchets sont jetés dans l’océan chaque année. La pollution des petites rivières, des cours d’eau, et des terres est de plus en plus courante. Et il ne s’agit pas seulement des bouteilles et des emballages qui font maintenant partie de n’importe quel séjour à la plage. Ce qui pollue notre eau et notre nourriture est en grande partie invisible : il s’agit de morceaux microscopiques de fibre synthétique, provenant notamment des vêtements !
Ce qui explique l’essor fabuleux de la production de plastique sans fibre au 20ème siècle, c’est surtout son utilisation pour les emballage des objets quotidiens, et pour la construction (BTP). Cependant, la grande majorité du plastique produit depuis 1950 n’est plus en usage : sur les 8 milliards de tonnes produites, déjà plus de 6 milliards ont été jetées. Que sont ensuite devenus ces déchets plastiques ? Selon les scientifiques, seulement 12% ont été incinérés pour s’en débarrasser de façon permanente ; 9% ont été recyclés, ce qui ne fait délayer la date de péremption ; et enfin, 79% (!), soit 5 milliards de tonnes, sont actuellement dans les décharges ou éparpillées au petit bonheur la chance dans l’environnement.
Le recyclage est-il une solution ?
En Europe, 30% du plastique sans fibre est recyclé, 40% brûlé. Aux États-Unis, et dans le reste du monde selon les auteurs, environ 9% est recyclé, et 16% brûlé. Si l’on suit Roland Geyer, l’auteur principal de l’étude, le recyclage n’est pas, hélas, le remède tout trouvé à la mondialisation de la pollution plastique. Le seul bénéfice du recyclage, c’est qu’il devrait réduire la quantité de nouveau plastique à produire. Mais pour l’instant, selon lui, « Nous n’évaluons pas très bien dans quelle mesure le recyclage réduit la production primaire »… Quant à l’incinération, en plus de relâcher des gaz toxiques dans l’air, elle n’enraye guère la croissance quasi exponentielle de la masse de déchets plastiques.
En quelque sorte, le plastique est victime de son succès dans un contexte de Croissance ininterrompue de la civilisation humaine. Si le plastique tient aujourd’hui une telle place dans la production industrielle, c’est parce qu’il est durable, pas cher et très résistant. Or, ce sont précisément les raisons pour lesquelles il est très difficile de s’en débarrasser, techniquement, et économiquement. Il ne manque pourtant pas d’alternatives aujourd’hui à ce plastique d’origine fossile. Pour pratiquement chaque production, il existe un matériau alternatif et naturel. Nombre de nos emballages pourraient également être évités. Mais ceci nécessite de changer de fond en comble un appareil productif qui s’est implanté durablement dans le paysage industriel mondial. Alors, que faire ?
Sources : Science Advances / The New York Times / Le Monde
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