Pourquoi les chasseurs sont-ils à ce point puissants et visibles, alors même que l’écrasante majorité du pays récuse leur « loisir » et que ses partisans représentent à peine 2% de la population française ? Les chiffres s’accumulent, mais ne font pas sens avec l’état actuel de nos lois et leur permissivité en matière cynégétique. A moins que l’Histoire de la chasse ne nous dépasse… (Dossier)

Alors que la chasse est le fait d’une minorité peu soutenue par les français, y compris ruraux, son omniprésence et sa résurgence dans les sphères politico-médiatiques en tant que « tradition » « populaire » et « rurale » (voire « écologique »…), véritablement intouchable quand les choses deviennent sérieuses, indiquent que des jeux de pouvoirs s’exercent ailleurs que sur le terrain.

Mais à quel point ? Vers quoi se dirige-t-on ? A-t-on notre mot à dire ? Pour savoir où l’on va, l’adage est à propos : il faut savoir d’où l’on vient. Remise en contexte historique.

De son origine à sa déformation, de quoi la chasse est-elle devenue le nom ?

Bien que la chasse outillée semble exister chez Homo Erectus (Pleistocene) – qui est en réalité essentiellement charognard -, les premières traces avérées de cette pratique ne remontent qu’au Néandertal (-350 000 à -30 000 ans). Traquer des proies oblige alors à de longs mois de marche et de déplacements. Outre l’alimentaire, sont tirées d’un seul animal plusieurs sources de subsistance vitales (os, tendons, peau, dents, etc.). C’est à l’époque une question de survie. L’avènement rapide de l’agriculture et de l’élevage, davantage nourriciers, finissent cependant par signer la fin de cette période nomade : chasser perd de son utilité et la pratique se raréfie.

Or, au Moyen-Âge, le caractère à présent superficiel de la chasse attise la convoitise de la noblesse, férue de loisirs futiles qui soulignent le privilège de sa condition. Elle y voit, en plus du droit de vie ou de mort sur autrui, celui de se divertir avec ce que d’autres n’avaient autrefois que le choix d’endurer. Gentilshommes, clergés et royautés s’emparent ainsi ouvertement de ce qui s’est transformé en un véritable passe-temps pour puissants.

« L’Air » de Claude Deruet 1588-1660

Le contexte, les objectifs, les proportions et les moyens : tout, dès lors, éloigne la chasse de sa forme originelle. Pour échapper à l’augure d’une disparition certaine, la pratique s’est comme métamorphosée, de justesse, en un jeu mondain. Mais un lien entre les deux réalités continue toujours de porter à confusion : un même nom, la « chasse ». C’est en fait idéal pour les traqueurs contemporains occidentaux : la chasse s’est ainsi offerte une réincarnation en « jeu de la mort » pour classes dirigeantes, tout en prétendant au caractère nécessaire qui n’appartenait qu’à sa forme primitive révolue.

Il n’en faut pas plus pour que le peuple s’attache à récupérer cet attribut, dont il n’a plus besoin, mais que la cour a enveloppé de prestige. Après des années de battues royales, de mondanités armées et de diplomatie à cheval, la Révolution française, à l’aurore du 19ème siècle, rétrocède au peuple son droit à traquer des animaux et lui ajoute celui de le faire par plaisir. Car si les disettes rendent quelquefois l’activité utile aux plus miséreux, ou que les paysans piègent encore occasionnellement des rongeurs qui menaceraient leurs récoltes, c’est bien en tant que divertissement dominical que se popularise l’exercice. La chasse, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est née. Ses amateurs, qui ne sauraient tuer le temps autrement, mettront dès lors tout en place pour maintenir son rayonnement jusqu’à nos jours.

Échanges de tirs : jusqu’en 1970, riches contre pauvres, tous les coups sont permis.

En quelques décennies, la chasse est devenue un véritable système de légifération à part entière. D’ailleurs, loin d’avoir distribué aveuglément l’autorisation de “prélèvement” à tous, la Révolution française a uniquement substitué au droit de naissance (noblesse ou royauté) celui de propriété (bourgeoisie). En d’autres mots : la chasse est désormais réservée aux détenteurs de terrains, dans la limite de leurs multiples hectares. On concède également aux citadins les plus aisés, ainsi qu’à l’État, la possibilité de louer ces vastes terres privées en vue de chasser. Ainsi, sous couvert de démocratisation, la pratique retourne en fait aux mains d’une certaine classe de pouvoirs, cette fois-ci financière, et devient à nouveau un signe social distinctif.

Quelles conséquences sur le terrain ? Ce cadre juridique favorise immédiatement un certain type de traque. Pour rentabiliser l’espace et le faste mis à disposition, l’exercice reprend surtout la forme de vénerie ou  « chasse à courre ». Chevaux, meutes de chiens, lourds équipements : l’animal est pourchassé jusqu’à épuisement sur des kilomètres. Aussi, les dégâts que causent de telles sorties sur les récoltes alentour favorisent-ils l’achat perpétuel de nouvelles parcelles (et donc l’étalement bourgeois), dans lesquelles on fait abonder un gibier généralement importé. Face à cette récupération de classe, quelques paysans s’organisent pour chasser illégalement autour des clôtures, au fusil, ou pour acquérir des terrains à plusieurs. Ce phénomène de marge devient immédiatement politique : on dénonce la mainmise bourgeoise sur la chasse. Ce sera dorénavant : “chasse gardée” – dont l’expression reste commune aujourd’hui – contre “petite chasse” .

« Retour de la chasse » de Carle Vernet 1758-1836

Mais les droits acquis par les « petits braconniers » – à travers la délivrance de permis pour quelques francs empochés par l’État – finissent par menacer gibiers et oiseaux de disparition. La chasse, en plus de déborder chez le voisin qui s’encolère, met graduellement en danger la survie des espèces. Des animaux sont dilapidés par des tueries aléatoires, répondant uniquement au désir des hommes de s’amuser, camouflé dans de prétendues revendications citoyennes. En effet, sous couvert d’une quête de justice pour les uns ou de privilèges pour les autres, tous s’acharnent en réalité à croquer leur part du gâteau, celui d’une distraction socialisante dont font gravement les frais la faune et la flore. Ainsi, la quantité d’animaux sauvages en France ne cessera de diminuer jusqu’à nos jours, créant d’importants déséquilibres biologiques et écosystémiques.

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Imbroglio contemporain : de 1960 à aujourd’hui, ou comment le fusil est repassé entre les mains du pouvoir.

Nobles, rois, clergés, bourgeois : il ne manquait plus qu’à la présidence de prendre part à ces funestes divertissements. Et quelle part ! L’État ne se contente pas de jouir du luxe de tuer, elle fédère, autour de festivités sacrificielles, autant de politiques que d’industriels, lobbyistes et hauts fonctionnaires. Au-delà des évidents conflits d’intérêts fermentés par de telles réunions, la présidence souhaite également, par là, séduire tout un électorat. D’une pierre, deux coups.

Mais dans les faits, qu’est-ce que ça donne ? Dès les années 60, de Gaulle se sert encore de Rambouillet, fief des chasses présidentielles depuis la Troisième République (1870), pour inviter quelques ministres étrangers à tirer sur des faisans d’élevage en introduction aux entretiens diplomatiques. Son successeur, Georges Pompidou, est coutumier de la pratique. Il déplace les chasses politiques à Chambord et en accentue la fréquence. Valéry Giscard d’Estaing, également fervent chasseur, ne se fait pas prier et perpétue la tradition. 1981 : François Mitterrand est moins enthousiasmé par ces jeux mortifères. Il maintient cependant, dorénavant à l’abri des regards et des journalistes, ces rendez-vous préambulaires. S’y croisent de nombreux chefs d’états peu recommandables, qu’il serait impensable d’inviter à l’Élysée, et des hommes d’affaires comme Serge Dassault, industriel notoire de l’armement. Sous Chirac, de 1995 à 2007, Hulot obtient la fermeture des chasses de Marly et Rambouillet : deux symboles. Mais l’activité de Chambord ne tarit pas…

Vient le tour de Nicolas Sarkozy qui annonce fièrement, à un public de plus en plus conscient de la souffrance animale et de l’emprise délétère de l’homme sur la nature, la fin des chasses présidentielles. Rien qui ne sera respecté dans les faits : Pierre Charon, nommé à la tête du domaine de Chambord, organise toujours 18 battues par an, conviant chaque fois une trentaine d’invités aussi bien issue de la diplomatie UE et étrangère que de l’industrie ou de la fonction publique. France Inter relayait en 2018 les confidences glaçantes de ce chargé de chasses : « J’invitais des grands flics et des magistrats, et puis j’invitais toujours les méritants, c’est-à-dire ceux qui avaient le mieux réussi leur examen du permis de chasse. Il y avait donc des jeunes gens qui tiraient avec les patrons du CAC 40 et les parlementaires ». Rien que ça. Pour l’anecdote : en ouverture de bal de ces mondanités sanguinaires, N. Sarkozy, quelques semaines à peine après son élection, choisissait de partager ses premiers tirs avec nulle autre que Mouammar Kadhafi, ancien chef d’Etat Lybien.

Ces rencontres armées, si elles s’exécutent encore à pas feutrés sous Hollande, sont aujourd’hui publiquement exploitées par Emmanuel Macron comme outil de négociation mais, surtout, de communication politique. Ses déclarations ne se font pas attendre. Dès le 5 janvier 2017 : Macron est l’invité de chassons.com. Il y porte ouvertement des arguments pro-chasse et prépare déjà l’opinion publique à sa volonté de ré-ouvrir, officiellement, les battues présidentielles. Février 2017, au lendemain d’une visite de la FNC (Fédération Nationale de Chasse) à l’Elysée, tout s’accélère : on annonce une série de mesures concrètes pour favoriser la chasse, comme le rabais de moitié du prix du permis national de 400 à 200 euros. En réalité, ces décisions font suite aux accords signés entre Macron et Willy Schraen, le président de la FNC, pendant la campagne présidentielle. Il s’agit d’ « une trentaine de revendications qui peuvent aboutir à un dialogue ouvert » minimisait le sénateur François Patriat, à l’époque signataire LREM dudit marché. Le pacte aura surtout enjoint Macron à un retour de dette. Un électorat, contre des mesures favorables : on ne s’en cache plus.

Macron et la chasse : paroxysme d’une condescendance à l’épreuve des balles.

Deux mois plus tard seulement, c’est l’apothéose : invité d’honneur au Congrès annuel de la FNC, le président Macron déploie un discours assumé en faveur de la chasse, dans le but, entre autres, de se fabriquer une image rurale. A défaut de répondre aux attentes des petits producteurs à l’agonie à cause du monopole industriel et des lois insoumises du marché, le gouvernement encostumé mise sur l’image du petit chasseur de campagne pour s’acheter une allure paysanne. Pourtant, les chasseurs sont loin d’être, eux-mêmes, ces petits braconniers caverneux : en 2018, on les estime à 36,3% cadres ou libéraux contre seulement 8,5% d’agriculteurs. Ils ont même, d’ailleurs, plutôt mauvaise réputation auprès des fermes et villages que leurs courses indignent et détériorent, jusque sous les fenêtres.

Pire : ces mêmes licenciés sont représentés par des organismes totalement politisés et plutôt proches de la classe dirigeante aisée que du chasseur-cueilleur en mal de nature. En effet, une fois le candidat LREM en lice pour la présidentielle, la FNC, présidée par Schraen, accompagnée de son lobbyiste, Thierry Coste, se fait une joie de sauter sur l’occasion. La chasse étant un marché estimé à 3,6 milliards d’euros de chiffres d’affaires par an, l’amabilité du gouvernement envers la pratique est une aubaine pour le groupe. Willy Schraen, en poste depuis 2016, devient très proche d’Emmanuel Macron. Il est notamment présent lors du 40ème anniversaire du président, fêté à Chambord autour de dizaines de carcasses de sangliers criblées. 

@Jean Louis DARRIÈRE/Flickr

Quant à Thierry Coste, c’est un lobbyiste au service de la chasse depuis environ 1994 (ouverture de son cabinet Lobbying et Stratégies) ainsi qu’à celui de quelques dictateurs et comités de légalisation d’armes à feu à ses heures perdues. Il se dépeint lui-même comme amoral : « Je vais là où ça paie le mieux » lance-t-il en toute décontraction à l’hebdomadaire Marianne. L’un de ses méfaits est d’ailleurs resté célèbre : c’est bien son illégale omniprésence à des réunions ministérielles décisives qui est à l’origine de la démission de Nicolas Hulot en août 2018, dont les efforts déployés sous Chirac pour la protection animale ont été réduits à néant en un claquement de doigt. Dans ce duel, le président Macron choisira explicitement son ami Coste : « C’est quelqu’un dont j’écoute toujours les conseils » prévient-il, déjà, pendant sa campagne…

En plus d’avoir été l’année d’un échec pour le ministère de l’écologie, 2018 voit se multiplier les battues présidentielles, franco-italiennes, franco-chinoises ou  franco-françaises. L’Élysée est convaincue qu’il est temps d’assumer cet héritage (royaliste ?) pour rameuter mécènes et investisseurs internationaux. Brandir la carte d’une France « tradi’ et gauloise » – mais pas réfractaire, bien sûr – : rien de tel pour entretenir le prestige de notre beau pays, le seul d’Europe à autoriser la mort d’autant d’espèces, 89, dont plus de 20 sont en voie d’extinction. Ironie du sort : les Gaulois se nourrissaient principalement de cochon d’élevage.

Septembre 2018 : la voie est définitivement libre, gracieusement déblayée par le gouvernement en place. Une nouvelle saison de chasse, étendue sur plus de 6 mois (à nouveau la plus longue d’Europe) est annoncée en grandes pompes : la FNC fait massivement placarder une campagne qui ne manque pas de toupet : « Les chasseurs, premiers écologistes de France ». La propagande est nationale. Des centaines de contre-arguments à l’encontre de ce slogan ont, par la suite, largement été développés par la presse et des experts en environnement. On y rappelle, par exemple, que la dimension régulatrice de la chasse est un fantasme puisque les chasseurs entretiennent eux-mêmes les surpopulations de gibier en les important, les élevant, les gavant, ou en visant uniquement les adultes mâles, épargnant les mères porteuses afin qu’elles fournissent les prochaines générations de gibiers. A savoir que les prédateurs naturels, eux, ciblent surtout les plus faibles (jeunes, mères, blessés, etc.) permettant une véritable régulation. Seulement, voilà : ces prédateurs, comme les loups ou les ours, ont été écartés (exterminés ?) de la plupart des écosystèmes français. Par qui ? La chasse évidemment, mais aussi l’anthropisation des terres au profit d’une urbanité toujours plus dévorante. Quant aux renards, également prédateurs et loin d’être nuisibles, ils sont 600 000 individus tués chaque année pour cette simple raison qu’ils concurrencent les chasseurs à cette fameuse régulation. Un seul renard se nourrit de pas moins de 3000 rongeurs par an…

Élevage de jeunes faisans destinés à être lâchés quelques heures avant l’arrivée des chasseurs.

En somme, les chiffres qui contredisent la dimension écologique de la chasse sont pléthore, mais il suffirait d’évoquer les 30 000 à 40 000 tonnes de plombs dispersés la même année sur les sols européens, pour reconnaître toute l’absurdité d’une telle propagande. Que dire encore de l’agrainage qui consiste à nourrir artificiellement les sangliers en dispersant des tonnes de maïs dans les forêts ? De quoi volontairement provoquer la surpopulation de ces animaux-jouets et pourrir les sols au passage. Mais trop tard : la FNC a gagné du terrain sur les esprits. La possibilité que ses membres soient des gardiens de la nature, aussi improbable soit-elle, est comme imprimée dans un certain inconscient collectif désinformé. Car on ne sait que trop, aujourd’hui, combien les fausses informations, même discréditées, ont la dent dure : le mal est fait.

Fait et à refaire apparemment. L’année d’après, rebelote. On entend à nouveau parler, un peu partout, de cet univers impitoyable. C’est d’abord le bilan qui tombe : chaque année, la chasse fait des morts humains, dont celle du jeune Morgan Keane est un des tristes exemples. La saison 2019, au hasard, se conclut ainsi avec 141 accidents, dont 11 mortels, au tableau des victimes humaines. Mais également avec plus de 45 millions de victimes animales, dont sont issus des élevages intensifs – loin de l’image d’une chasse « sauvage » plus juste que l’élevage – au moins : 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colvert, 40.000 lièvres, 100.000 lapins de garenne, 10.000 cerfs et 7.000 daims. Si la FNC tient à garder secret le nombre de ses adhérents, certaines études les estiment à près d’1 million, mais dont seulement 55% seraient actifs. Ces derniers pratiquent la chasse à l’oiseau migrateur à 20% et au gibier à plus de 60%. Pour la méthode, ce sera en battue ou devant soi, c’est-à-dire à pieds et accompagnés de chiens, à 60%. Le coup fatal ? A la glu pour 7% et au fusil/carabine à 59%. Un désastre avéré pour la biodiversité.

Mais en janvier 2020, un autre projet de loi est de nouveau adopté en faveur des chasseurs. L’Agence française pour la biodiversité (AFB) et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) forment dorénavant une sorte d’Office français de la biodiversité et de la chasse. Tant que faire se peut : une version remaniée du texte à l’avantage du camp chasse est ré-adoptée le 11 avril 2019 par 235 voix pour et 94 abstentions (un scénario qui n’est pas sans rappeler celui du passage en force de la loi biodiversité de janvier 2016). Action, réaction : quelques jours plus tard, France Nature Environnement dévoile une tribune cosignée par une trentaine d’ONG dénonçant la myriade de cadeaux faite à la chasse à travers ce projet : « Le Sénat veut instaurer un délit d’entrave à l’action de chasse puni d’un an d’emprisonnement et 30 000€ d’amende. De son côté, la Fédération nationale des chasseurs reçoit un fonds de la part de l’Etat ou de l’OFB (dans tous les cas des citoyens français) de 10 € par permis de chasse, soit au moins 10 M€ ».  En complément, les collectifs de protection animale divulguent des centaines de vidéos sans filtre de chasse et de rapports sur les conditions inhumaines dans lesquelles sont élevés, par exemple, les chiens destinés à la chasse.

La chasse à la glu, désormais interdite

Après une telle riposte médiatique, l’indignation de l’opinion publique se fait sentir : Macron s’empresse ainsi de proposer, l’été 2020 suivant, une timide “suspension” de la chasse à la glu pour la saison. Le problème ? L’État suggère par cet effet d’annonce que le souci tiendrait à quelques coutumes, refusant une remise en question du principe même de la chasse. Une victoire, tout de même, pour les ONG qui ont réussi à faire interdire, temporairement, cette méthode non-sélective et cruelle déjà rejetée par tous les autres pays membres de l’UE, mais aussi à renfrogner le directeur de la FNC. Il se confiait alors chez BFMTV : « On a une chasse légale qui vient d’être arbitrairement arrêtée, c’est inacceptable » et d’annoncer son intention d’attaquer l’État en justice pour dénoncer une « décision prise dans un contexte très politique, (où) les pressions sont fortes ». Assez fortes, semblerait-il du moins, pour indisposer celles qu’exercent depuis des siècles le lobbyisme de la chasse sur le pays. La mesure aura aussi fait grimacer les amateurs de glu : après l’annonce, plusieurs manifestations ont été organisées en France contre cette décision, sans conséquences.

Autre bataille menée de front ? Celle d’un arrêté ministériel autorisant à abattre 17 460 tourterelles des bois, contre l’avis de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) qui rappelle que la population européenne de cette espèce a chuté de 80% en quarante ans. La LPO ne s’en tient pas là et parvient finalement à faire suspendre cette décision auprès du Conseil d’Etat. Mais aucun de ces combats législatifs n’aura découragé Willy Schraen qui publie, dans cette même période estivale, son sobrement intitulé : Un chasseur en campagne. La préface ? Signée par le ministre de la Justice en personne, M. Eric Dupont-Moretti. Sa plume donne le ton : « Ce livre, les ayatollahs de l’écologie s’en serviront pour allumer le barbecue où ils cuiront leurs steaks de soja ». De la haine et beaucoup de malfaisance en somme.

A ce point, les préoccupations des Français sont-elles méprisables ? D’où vient exactement la réticence macroniste, si ce n’est à adopter des positions fortes pour la protection animale, du moins à couper les vivres à un lobby pour l’instant cajolé ? D’abord, il faut noter une certaine indifférence des intérêts industrialo-économiques pour les causes écologiques et animales. L’invention de la cellule DEMETER pour criminaliser ceux qui tentent de mettre fin aux tortures de l’élevage intensif, les mêmes que le film « Okja » avait pourtant rendus si admirables, en est une des nombreuses et dangereuses manifestations. On pourra aussi compter sur un attrait particulièrement mis en avant par Macron, à la manière de son camarade Thierry Coste, pour le dieu profit. Est-ce donc l’argent qui aura eu raison du vivant ? Plutôt ceux qui en ont fait leur idole.

Une autre raison ? Peut-être l’impensable persistance des chasseurs vient-elle aussi d’un simple refus d’évoluer : en défaut permanent de puissance, les masculinistes à la tête de nos sociétés ne veulent visiblement pas renoncer à des années de privilège armé dont l’allure virilisante semble avoir été créée pour les complaire, ou les rapprocher. Le spectacle leur convient si bien ainsi : les rapports d’égo d’une flopée d’hommes ainsi parfaitement matérialisés par des démonstrations de force dont ils ressortiront intacts, contrairement aux milliers d’animaux nés et réunis de force pour servir ces échanges d’un autre monde. Ils ont inventé la guerre confortable. Les sondages parlent d’eux-mêmes : les chasseurs français sont à 97% composés d’hommes, dont plus de la moitié sont cinquantenaires. Et au sein de ce chiffre baignent d’innombrables élus, assez pour empêcher quelques lois contre la souffrance animale d’être votées.

 

Focus : des parlementaires aux influenceuses Instagram, la chasse sclérose tous les niveaux du pouvoir

« La chasse, ça compte en termes d’économie, mais aussi en nombre de voix »

« La chasse, ça compte en termes d’économie, mais aussi en nombre de voix » déclare François Patriat (France Inter). Et de rappeler : « Les groupes d’études les plus populaires chez les parlementaires, tant au Sénat qu’à l’Assemblée, sont le groupes “chasse” (“chasse et territoires” à l’Assemblée ou  “chasse et pêche” au Sénat) et le groupe “viticulture” ».

On dénombre précisément 142 députés sur 577 qui sont membres de Chasse et territoires pour 84 sénateurs sur 348. La sur-représentation des chasseurs, qui sont paradoxalement de moins en moins nombreux sur le terrain, est affolante ; d’autant plus que de nombreux témoignages dénoncent les pressions exercées par certains de ces adhérents pour faire passer en force des projets de lois ou en rejeter d’autres.

 

L’été 2020 a notamment été le théâtre de ces intimidations. De nombreux tweets d’élus dénoncent les agissements de Willy Schraen et de ses disciples contre les signataires du RIP (Référendum d’initiative partagée) pour les animaux. En effet, début août 2020, un projet de loi pour le bien-être animal est soumis aux citoyens et aux parlementaires. Il réunit 6 réformes clefs pour la libération des animaux : interdire l’élevage intensif, interdire l’élevage en cage et pour la fourrure, les spectacles d’animaux sauvages, l’expérimentation animale et, enfin, interdire la chasse à courre, traditionnelle et le déterrage. Plus de 800 000 signataires ont participé à la pétition en seulement deux mois, ce dont se réjouissent les fondations pour la protection des animaux qui sont conscientes d’être encore loin des 4,7 millions nécessaires, mais qui s’arment de patience. Du côté des parlementaires, ils sont 142 à avoir passé le cap sur les 185 requis. 142 de trop pour Willy Schraen qui ira jusqu’à appeler à démettre ces élus de leurs fonctions.

Dans un autre genre, mais toujours à la rentrée 2020, des effets d’annonces semblent clairsemer le paysage médiatique, tels que la fin des animaux sauvages dans les cirques. Il n’en est rien pour l’instant, puisque le projet de lois proposé par Barbara Pompili, par ailleurs dépourvu de calendrier, n’a pas pu être voté ce début octobre à cause d’une obstruction de certains députés : il ne restait plus que 2h, bien insuffisantes, pour proposer les lois aux parlementaires. Faute de temps donc, le vote est repoussé. Mais peut-être la crainte venait-elle, plus spécifiquement, du passage précisément initié par l’ancien marcheur Cédric Villani, où il attaque directement la chasse à courre et d’autres méthodes cruelles. Sa détermination fait notamment craindre à la député en marche Aurore Berger la fameuse et fantasmagorique scission avec la ruralité, à nouveau réduite à quelques coups de carabine. 

Ces sièges pro-chasse, mêmes nombreux, ne permettent cependant jamais de redorer le blason de la pratique à grande échelle. S’ils sont un obstacle direct à sa disparition, aucun de ces hauts partisans ne saurait toucher le public et démocratiser ce lugubre loisir. Ce sera le rôle d’un autre terrain de pouvoirs dont la FNC ne compte pas se priver : les réseaux sociaux.

Pour véhiculer une image « fun » de la chasse au plus grand nombre, ces derniers temps, plusieurs tactiques sont simultanément mises en place. D’abord, les affiches publicitaires du passé se transforment aujourd’hui en vidéos youtube façon sitcom. Pas moins de 8 vidéos ont ainsi été dévoilées en 2021, mettant en scène des personnages caricaturaux férus de chasse. Plusieurs publics sont visés. Pour commencer, la FNC compte séduire les jeunes, grands absents de ces jeux de torture en plein air avec seulement 0,5% d’entre-eux qui s’y intéressent. Comment ? Par deux mises en scène dont la malaisance est quasi-intenable, quoique certainement orchestrée (puisqu’elle marque les esprits), dont une, un dialogue entre deux jeunes filles aux pieds d’une cité (depuis supprimée), qui peut facilement prétendre à la palme du préjugé le plus gênant. On vient aussi chercher de nouveaux membres au sein des églises : après la messe, pourquoi ne pas tirer quelques oiseaux ? Enfin, et surtout, il a fallu toucher les femmes. Ces jeunes femmes forcément « préoccupées par une alimentation saine et bio qui les rendrait palotes ». Ces mêmes jeunes femmes qui pourraient, à la place, s’offrir quelques bons steaks saignants revigorants. Saignants, mais glamour.

S’arrêter ici n’aurait pas fait honneur au boulevard offert par Macron. Après youtube, Facebook et Twitter, depuis déjà longtemps investis, le dévolu des nouveaux chasseurs a été jeté sur Instagram. Vendre le rêve d’un moment d’adrénaline sexy, ce sera le rôle des “chasseresses” comme les appellent leurs compatriotes masculins. Parmi elles, Johanna Clermont. Blonde, jolie et parée à descendre de l’animal sauvage, elle incarne un genre de Tomb Raider des abattoirs. C’est imparable : pour donner goût à des générations entières qu’on laisse patauger dans un flux continu d’images violentes sans leur permettre la catharsis d’une bonne-grosse-guerre-qui-tue, suivre un avatar féminin qui partirait à la conquête des dangereuses forêts menaçantes semble idéal. A travers de belles photos calibrées de nature, des discours aux faux accents féministes et quelques polémiques : l’instagrameuse aux plus de 300 000 abonnés accroche l’audience.

Ce tour de passe-passe qui omet de rappeler que l’animal derrière la caméra est en totale et inutile détresse sera-t-il efficace ? Apparemment, il aura donné des idées à de nouveaux entrepreneurs, puisque s’est développée, cette même année, à travers une campagne de publicité offensive, une plateforme SVOD dédiée aux films professionnels de chasseurs. “Zone 300“, sorte de Netflix de la gâchette, s’est ainsi offert les services de l’influenceuse pour atteindre un maximum de personnes. Après le lancement de leur slogan, “Chassez vos préjugés”, ils ont revendiqué le chiffre de 90 000 abonnés. A défaut de se salir au grand air, le snuff-movie animalier, ce business streaming de la mort, pourrait donc devenir le nouveau passe-temps de ces “mordus de chasse” comme ils se baptisent eux-mêmes au micro de France Bleu. 

Retour de balle : peut-on espérer un meilleur avenir pour les animaux ?

Rien ne l’augure avec certitude, mais les associations de défense animale y veillent sérieusement. A coups de contenus à charge, de batailles juridiques, d’enquêtes, de pétitions et de démonstrations scientifiques, de propositions concrètes, toutes tentent de sauver quelques vérités de ce tourbillon médiatique qui, au nom des opinions et pressions lobbyistes, fabrique une chasse enjolivée, naturelle, comme elle n’existe plus depuis des millénaires, et comme elle ne saurait plus exister à notre époque. Une époque où il est vivement recommandé de végétaliser davantage son assiette, pour la planète et sa propre santé, et où la chasse n’est plus vitale, tout du moins à cette échelle et dans ses méthodes actuelles.

Les fausses informations circulent et le travail de déconstruction est laborieux, mais l’espoir fait (sur)vivre. Une chose est sûre : les chasseurs n’ont pas mieux ou plus argumenté ces dernières années qu’à l’habitude, leur fougue ne s’est pas décuplée, ils n’ont pas plus de force ou de stratégie, ils ont seulement trouvé, pour la première fois depuis la royauté, une attentive et affectueuse écoute en la personne d’Emmanuel Macron.

C’est Willy Schraen qui s’en réjouit lui-même, dans cette déclaration : « Les mots, les images, les exemples, Macron envoie le signal qu’il veut développer la chasse avec les chasseurs. Il veut en faire un outil, une composante économique et touristique majeure, tout simplement mettre la chasse en valeur. Ce sont des paroles fortes que nous n’avions jamais entendues nulle part ». Mais à une oreille présidentielle s’opposent de plus en plus de voies citoyennes soucieuses de la condition animale, ces vivants dont on ne peut plus nier, en ce 21ème siècle, ni la vie émotionnelle, ni les cris de douleur.

– Sharon H.


Exporter l’analyse avec : Alerte en Tanzanie : des milliers de Maassaï expulsés pour des safaris de chasse et UK : importer des trophées de chasse bientôt interdit !

Photo de couverture : Pierre Paul Rubens, La Chasse au loup et au renard (ca. 1616), Metropolitan Museum of Art, New York : « Rubens a volontairement utilisé les codes des peintres de cour, en glorifiant la noblesse4. En effet, la chasse est un symbole de ce statut social, puisqu’il sous-entend la possession d’importants terrain ».

Sources :

Les chasseurs réduisent le nombre d’animaux nuisibles : faux https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/les-chasseurs-sont-ils-vraiment-les-premiers-ecologistes-de-france_2999459.html

Les accidents de chasse : https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bilan-saison-chasse-2019-2020-accidents-legerement-hausse-france-mort-trois-blesses-paca-1854664.html

Une histoire de la chasse : https://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2004-1-page-73.htm

Le rapport du gouvernement Macron à la chasse : https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-24-fevrier-2018

Les dégâts de la chasse sur la nature : https://www.consoglobe.com/lobby-de-la-chasse-puissance-cg

A propos de Thierry Coste : https://www.liberation.fr/politiques/2018/08/28/qui-est-thierry-coste-le-lobbyiste-des-chasseurs-cite-par-hulot_1674965

L’Assemblée n’a pas voté la fin des animaux sauvages dans les cirques : https://www.huffingtonpost.fr/entry/bien-etre-animal-pourquoi-lassemblee-na-pas-vote-la-fin-des-animaux-sauvages-dans-les-cirques_fr_5f8017e3c5b664e5babbbe30

Sur Zone 300, la plateforme VOD chasse et pêche : https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/zone-300-le-netflix-de-la-chasse-et-de-la-peche-se-developpe-a-perpignan-1597772306

Sur les pressions du Lobby de la chasse au sein du Parlement : https://www.huffingtonpost.fr/entry/marcheurs-chasseurs_fr_5f3be099c5b6e054c3ff459a

Les chiffres sur les chasseurs, pratiques, méthodes : https://fr.browning-blog.eu/leconomie-de-la-chasse-en-france-un-chiffre-daffaire-de-36-milliards-par-an/#:~:text=Il%20en%20ressort%20que%20la,%C3%A0%20l’%C3%A9chelle%20du%20pays


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