Plus personne n’ignore que les médias de masse sont systématiquement tenus à une ligne éditoriale imposée par son propriétaire, ce qui prive déjà leurs employés de leur indépendance. Mais ils sont aussi contraints par les patrons des marques qui les rétribuent grâce à la publicité.

Si la plupart des structures d’informations mainstream arrivent à s’en sortir économiquement, ce n’est sans aucun doute pas grâce à leurs sympathisants, mais bel et bien du fait de leurs dirigeants d’une part et de leurs annonceurs d’autre part.

Or, lorsque des ultra-riches, comme Bernard Arnault, achètent des espaces commerciaux dans ces mêmes médias, ces derniers s’abstiennent bien souvent de relayer les affaires concernant ces grandes fortunes de peur d’être privés de leur financement.

L’empire tentaculaire de Bernard Arnault

Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, représente à lui seul l’exemple d’une influence considérable des plus fortunés sur les médias, y compris sur ceux qu’ils ne possèdent pas eux-mêmes.

Comme l’explique Alexandre Berteau, reporter pour « La lettre », le groupe LVMH est l’un des premiers annonceurs de nombreux journaux, leur conférant ainsi des sources de revenus prépondérantes.

Au bon vouloir des grands patrons

Le revers de la médaille de ces financements demeure dans le fait que chaque annonceur peut décider à tout instant de couper le robinet si un article ou une enquête parue dans un média ne lui plaît pas. Et évidemment, plus les entreprises sont riches, plus ils peuvent imposer ce chantage dans de multiples organismes de presse. Un phénomène qui expliquerait d’ailleurs pourquoi de nombreuses révélations de Mediapart ne soient pas reprises par d’autres médias.


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Les grandes firmes n’hésitent pas à passer à l’action dès lors qu’un média fait état d’une information nuisant à leur intérêt. On peut citer l’exemple de la banque HSBC qui avait retiré ses publicités au Monde et au Guardian en 2015 après des révélations sur une affaire de fraude fiscale. Le Monde, encore lui, avait également perdu des recettes du groupe Total en 2021 après avoir publié une enquête sur les liens du pétrolier avec des militaires birmans.

En 2012, le processus était même allé beaucoup plus loin puisque le journal Libération avait été privé de pas moins d’un demi-million d’euros en réponse à un titre insultant envers Bernard Arnault qui envisageait à l’époque de prendre la nationalité belge pour échapper à l’impôt. À ce moment-là, ce n’était pas uniquement LVMH qui s’était retiré, mais bien une flopée d’annonceurs, en solidarité avec le grand patron du luxe. Pour ne pas perdre ces précieuses publicités, il ne faut donc pas seulement éviter de critiquer les propriétaires, il est aussi indispensable de ne pas heurter le milieu entier de la grande bourgeoisie.

Une nécessaire indépendance

À la lumière de ces exemples, on comprend donc aisément à quel point la publicité prend une place considérable dans le financement des médias de masse. Ainsi, en 2023, l’ensemble d’entre eux a reçu pas moins de 17,3 milliards d’euros de recettes grâce ce procédé.

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On pourrait déjà s’insurger contre l’occupation des espaces d’informations par la publicité. Il peut en effet se créer une confusion entre des données censées aider les individus à décrypter le monde et des éléments promotionnels dans un milieu particulièrement réputé pour être mensonger.

Mais il est aussi capital de dénoncer le fait que les grands médias soient dépendants non seulement d’un puissant actionnaire, mais également d’annonces commerciales et autres subventions.

D’autres modes de financement à inventer

En étant soumis à cette pression budgétaire, ils sont ainsi privés de leurs indépendances. Alors comment transmettre une information librement dès lors que l’on marche sur des œufs en risquant de brusquer le propriétaire du média, ses annonceurs ou même le gouvernement qui décide des critères d’attribution des subventions ?

De fait, il devient urgent de repenser les mécanismes de financement de l’intégralité des organes d’informations. Si certains, comme Mr Mondialisation, doivent leurs ressources uniquement à leurs lecteurs, ce mode de fonctionnement reste fragile et confère bien souvent une situation très précaire.

L’information comme un bien commun

Pour changer ce paradigme, il faudrait sans doute soustraire le secteur de l’information aux griffes du marché. Et comme toujours, la solution pourrait bien passer par l’introduction de plus de pouvoir aux citoyens qui sont pour le moment essentiellement traités comme des consommateurs. Et pour éviter la concentration des idées et rétablir le pluralisme, l’intervention de l’État est également indispensable.

Car, si le milieu médiatique devrait être avant tout un bien commun, force est de constater qu’il est surtout devenu, dans l’immense majorité des cas, un espace de manipulation au service des plus riches et du capitalisme.

Pour basculer vers un système plus juste, il faudrait donc non seulement que les organes de presse se transforment en entreprises à but non lucratif, mais aussi qu’ils soient débarrassés de la publicité. Pour financer ce procédé, on pourrait a minima imaginer une cotisation nationale qui permettrait aux services de production, d’administration et de distribution des médias de fonctionner. Il serait également possible de mutualiser tous ces secteurs annexes à l’information sous l’égide de l’État. Dans le même temps, le fruit des ventes des journaux serait utilisé uniquement à rémunérer les journalistes.

Dans tous les cas, rompre avec notre ordre de marche actuel devient de plus en plus indispensable tant l’emprise des grandes fortunes sur ce milieu est forte, comme on peut le constater avec les pressions de Bernard Arnault, mais aussi en observant l’empire au service de l’extrême droite de Vincent Bolloré. Autant d’exemples qui démontrent l’urgence de la situation.

– Simon Verdière


Image par Rajesh Balouria de Pixabay

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