Au Québec, alors que l’hiver dure depuis plusieurs semaines, de grandes quantités de sel et d’abrasifs sont nécessaires pour faire fondre la glace et garder les 230 000 km de routes de la province praticables. Toutefois, le sel et le chlorure de calcium utilisés sont nocifs pour l’environnement. C’est pourquoi le pays tente depuis quelques années déjà d’implanter un fondant inusité et totalement inattendu… le jus de betterave !
Beaucoup l’ignorent, mais le sel de voirie est particulièrement mauvais pour l’environnement. Il est d’ailleurs considéré comme toxique par l’organisme Santé Canada. Au dégel, les substances qu’il contient se retrouvent dans les cours d’eau et les nappes phréatiques, et finissent bien souvent dans le fleuve Saint-Laurent, venant alimenter diverses sources de pollutions industrielles. Selon une étude de l’Université Laval, le sel de voirie perturbe le pH de l’eau. L’augmentation du pH favoriserait ainsi la propagation des algues bleu-vert (cyanobactéries), un phénomène qui inquiète fortement le Québec. En effet, celles-ci se répandent de plus en plus dans les différents lacs à travers la province, empêchant même les vacanciers de s’y baigner. Ces algues libèrent des substances toxiques pour les humains.
De belles routes à prix élevé pour l’environnement
Développement oblige, la neige n’arrête pas l’activité humaine. Les routes doivent donc être dégagées pour laisser circuler voitures mais également services de sécurité comme les ambulances et les pompiers. Les effets néfastes de ce salage intensif des routes sont nombreux. D’abord sur le cycle de l’eau comme nous l’avons vu, mais également sur l’agriculture aux abords des routes qui subit les contrecoups du déglaçage. Les radicelles des plantes et des arbres se retrouvent incapables d’absorber toute l’eau qui leur est nécessaire, ce qui cause l’assèchement de leurs feuilles. Le sel était d’ailleurs utilisé comme herbicide au siècle dernier. On s’en servait en temps de guerre pour nuire aux récoltes ennemies.
Par ailleurs, l’abus de sel entraine également des conséquences pour l’Homme. Tandis que le jus de betterave est parfaitement inoffensif, le sel gruge également les structures de métal et la carrosserie des voitures, les détériorant à long terme autant que les routes elles-mêmes. Les émanations peuvent également affecter les voies respiratoires des citadins, alors que la circulation intarissable projette des microparticules de sel et de sable dans l’atmosphère des villes. Enfin, le sel de voirie peut parfois contenir des traces de métaux lourds. Des éléments qui ont donc poussé certains acteurs économiques à réfléchir à une alternative.
Yves Berger via lapresse.ca
Une nouvelle vie pour des restes de légumes
C’est une firme de l’Ontario qui a découvert par hasard les propriétés étonnantes du jus de betterave. Après extraction du sucre, le jus résiduel de la betterave est généralement stocké dans des réservoirs. Des exploitants se sont rendu compte que le liquide ne gelait jamais, même lors des périodes de gel intenses. Il ne fallut pas longtemps pour que la société y voit une opportunité. Sa force, le jus de betterave à sucre est totalement biodégradable et sans danger pour la santé. Il est fabriqué avec des résidus de production de betterave à sucre, un légume impropre à la consommation humaine dont on se sert plutôt, comme sont nom l’indique, pour en extraire du sucre. Ainsi, sa production ne nécessite aucune culture supplémentaire.
Les avantages de la betterave ne sont pas qu’écologiques, elle est aussi plus efficace et moins coûteuse. En effet, le jus de betterave peut agir malgré des températures très basses. L’efficacité d’une mélange sel-betterave peut résister à des températures allant jusqu’à -28°C, soit 14°C de moins que le sel seul. Quant à son coût, une tonne de sel abrasif coûte 90 dollars, alors qu’une tonne de jus de betterave ne coûte que 8 dollars ! Avec une consommation d’environ 850 000 tonnes de sel chaque hiver, ce rapport de 1 à 10 pourrait représenter de sérieuses économies pour un Québec qui dépense chaque année des sommes astronomiques afin de déglacer les routes.
David Deslauriers, agriculteur de betteraves à sucre via lebulletin.com
Oui mais…
Malheureusement, s’il ne gèle pas, le jus de betterave seul ne fait pas fondre la glace. Il faut donc obligatoirement l’associer à un autre composant. Faute de mieux, plusieurs villes du Québec ont opté pour un mélange sel-betterave. Le composé n’est plus 100 % biodégradable, mais il permet tout de même de réduire de 50 % la quantité de sel utilisé et donc d’autant l’impact écologique sur l’environnement. Selon le ministère du Transport du Québec, grâce à l’aspect visqueux du résidus de betterave, le sel se disperserait moins à l’extérieur de la chaussée mélangé à ce jus de légume.
Roméo Poitras, responsable d’un test réalisé sur une portion de route au Nouveau-Brunswick, décrit cette propriété adhésive par une métaphore : « Si vous versez un verre de Pepsi sur le plancher, après deux jours le plancher est encore collant. Le produit va coller sur la surface de l’asphalte et va être prêt pour la prochaine tempête ». Les équipes de déneigement peuvent ainsi commencer leur travail avant une tempête avec une couche de jus de betterave. Le jus séché se remet à être actif une fois humidifié par les précipitations.
Ses performances et son absence d’impact écologiques font déjà du jus de betterave un outil indispensable dans plusieurs municipalités du Québec bien que certains se plaignent de son odeur. Récemment, l’option du résidu de maïs à la place de la betterave fut également testée à Montréal. Au regard des économies importantes engendrées par ces alternatives, d’autres régions et pays pourraient-ils s’en inspirer ? Une information réjouissante pour les producteurs de betterave à sucre, qui pourraient voir leurs déchets de production trouver un nouveau marché. Reste que le jus de betterave sera toujours combiné avec un sel imbibé d’éléments toxiques. À quand des agents fondants totalement biodégradables ?
Source : lapresse.ca / plus.lapresse.ca