Événements météorologiques extrêmes, COVID-19, conflit en Ukraine,… L’actualité des derniers mois n’a pas manqué de révéler la vulnérabilité extrême de nos systèmes alimentaires. Les politiques capitalistes et néo-libérales s’entêtent à préserver l’élevage industriel et la culture de masse à coup de subventions effrénées. Pourtant, une nouvelle étude de la Commission EAT-Lancet démontre qu’une transition vers une alimentation végétale en Europe parviendrait à compenser les déficits de production provoqués par le conflit russo-ukrainien. En outre, les chercheurs indiquent une atténuation de l’impact carbone de la production alimentaire, une amélioration de l’utilisation de l’eau bleu et une diminution l’émission de gaz à effet de serre. Et si la solution était sous nos yeux, ou plutôt dans nos assiettes ?
Les systèmes alimentaires mondiaux ont été confrontés à de multiples menaces ces dernières années. Entre la crise sanitaire, les gelées tardives, le conflits russo-ukrainien, les sécheresses extrêmes, et l’invasion de certaines espèces destructrices des cultures et des élevages comme le criquet pèlerin ou le virus de la grippe aviaire, les agriculteurs et habitants européens n’ont pu que constater les faiblesses d’un système agroalimentaire trop largement (inter)dépendant.
Une insécurité alimentaire globale et grandissante
Avec l’avènement des ces différents facteurs combinés et à la spéculation de marché sur les prix des denrées alimentaires, une insécurité alimentaire grandissante se répand dans de nombreux endroits du monde, et ne manque pas de toucher le continent européen. Largement dépendant de son « grenier à blé », l’Union européenne s’expose ainsi à une hausse majeure des prix de certaines céréales provenant de l’Est : de récents travaux estiment qu’une réduction de 50 % des exportations de céréales de la Russie et l’absence d’exportations ukrainiennes augmenteraient les prix de 4,6 % et 7,2 % pour le maïs et le blé.
Alors qu’en mars 2022, l’Union européenne propose un nouveau plan financier censé soutenir les agriculteurs touchés par les coûts élevés des intrants (tels que l’énergie et les engrais) et relancer la production alimentaire territoriale vivrière, des milliers de citoyens, paysans et scientifiques dénoncent une politique destinée à maintenir l’élevage industriel et les cultures de masse délétères pour l’environnement et la santé humaine.
Un régime alimentaire à la hauteur des enjeux actuels
À contre pied des dernières résolutions politiques, une nouvelle étude publiée dans le magazine scientifique Nature Food le 14 novembre dernier suggère que l’adoption d’un régime alimentaire à forte tendance végétale et basé sur des aliments cultivés localement pourrait grandement améliorer la résilience alimentaire de l’Union européenne face au conflit russo-ukrainien et aux autres menaces à venir.
En se basant sur de nombreux travaux précédents démontrant les mérites sanitaires et environnementaux des régimes alimentaires à tendance végétale, les chercheurs confirment qu’une telle transition alimentaire à travers l’Union européenne et le Royaume-Uni pourrait également contribuer à améliorer la résilience des systèmes agricoles en termes de capacité de production.
Les scientifiques se sont alignés sur les recommandations nutritionnelles de la Commission EAT-Lancet, qui réunit pas moins de 19 commissaires et 18 co-auteurs provenant de 16 pays différent et dotés d’expertise dans divers domaines dont la santé humaine, l’agriculture, les sciences politiques et environnementales. En février 2019, cette association de plusieurs scientifiques a établit un régime de santé planétaire censé répondre aux enjeux de notre époque en assurant un système alimentaire mondial juste et durable au service de l’humanité et de la planète.
C’est sur la base de ces recommandations nutritionnelles que les scientifique de l’Université d’agronomie de Beijing (Chine) et de l’Institut des sciences environnementales de Leiden (Pays-Bas) ont conclu que l’adoption de masse d’un régime alimentaire tel que prescrit par EAT-Lancet contribuait certainement à une meilleure santé globale mais aussi à une plus grande résilience face aux chocs du secteur agro-alimentaire.
Diminuer drastiquement le sucre et la viande rouge
Pour le Prof. Walter Willett à l’Université de Harvard (Etats-Unis), co-président de l’association, « la transition vers une alimentation saine d’ici 2050 nécessitera d’importants changements dans nos régimes alimentaires », à commencer par une multiplication par deux de la consommation mondiale de fruits, légumes, noix et légumineuses.
A contrario, « la consommation d’aliments tels que la viande rouge et le sucre devra être réduite de plus de 50%», assure le chercheur.
L’ensemble des importations en betteraves à sucre d’Ukraine et de Russie pourraient ainsi être comblées par une alimentation globalement moins sucrée, alors que la végétalisation de notre alimentation permettrait une diminution considérable de nos besoins en blé (20 millions de tonnes), céréale de base destinée plus de 60% à l’alimentation du bétail européen. « Il y aura en outre d’importantes économies de maïs, d’orge, de tournesol et de colza grâce à la réduction de la consommation de produits animaux », ajoutent l’équipe de recherche.
Libérer des terres agricoles et économiser du carbone
En Europe, la part des terres cultivées alimentant le bétail est supérieure à la moyenne mondiale (environ 40 %) « puisque l’Union européenne et le Royaume-Uni consomment ensemble plus de produits animaux par habitant que la moyenne mondiale et ont un marché d’exportation important de produits animaux de grande valeur », notent les chercheurs.
La diminution des terres destinées au pâturage des animaux d’élevage grâce à l’adoption d’un régime à forte tendance végétale libérerait alors 70 millions d’hectares de terre, soit 10 millions d’hectares de plus que la superficie de l’Espagne et du Portugal réunis.
Si toutes ces terres épargnées étaient laissées à la nature et que leur végétation naturelle antérieure était peu à peu restaurée, les émissions associées à la production alimentaire diminueraient de 250 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an et la consommation d’eau de 7,9 milliards de mètres cubes. De plus, on estime que près de 40 gigatonnes d’équivalent CO2 pourraient être stockées dans le sol à mesure que les terres seront récupérées à long terme.
Changer notre alimentation pour changer le monde
« Le changement alimentaire des régimes actuels au régime EAT-Lancet serait non seulement bénéfique pour la santé planétaire et humaine, mais pourrait également aider à absorber les interruptions de l’approvisionnement alimentaire international », concluent les universitaires qui espèrent ainsi montrer la voie vers la fin du déficit de production agricole européen associé à une réduction des engrais utilisés, d’eau et d‘émissions de gaz à effet de serre.
Une fois encore, cette étude démontre que l’adoption d’une alimentation végétale avec une forte proportion de cultures riches en nutriments pourrait aider à construire des systèmes agroalimentaires plus résilients et durables à long terme.
S’il existe tout de même de nombreux obstacles sociaux à l’adoption de ces régimes, il reste certain pour les chercheurs que même des taux de participation réduits peuvent faire une grande différence : « si 50 % des personnes s’engageaient dans un changement de régime alimentaire planétaire, les récoltes sauvées représenteraient presque toutes les cultures exportées par l’Ukraine et la Russie (à l’exception du blé et du tournesol) et rapporteraient un dividende environnemental considérable ».
– Lou A.
Photo de couverture de Renate Vanaga sur Unsplash