Alors que nos modèles économiques peinent à se réinventer, le chômage, le burn-out et son inverse, le bore-out, occupent régulièrement la scène médiatique et touchent de plus en plus de salariés. D’autre part, la course à la productivité est responsable d’une grande part de nos crises écologiques. Tandis que les politiques français rechignent et se disputent encore sur l’utilité d’une réduction du temps de travail (et de son partage), d’autres expérimentent la semaine de quatre jours. À la clé, beaucoup d’avantages économiques, sociaux, mais aussi environnementaux ! Enquête.
Travailler moins pour être plus heureux et plus productifs ?
À l’instar des 35 heures mises en place en France au début des années 2000, le passage à une semaine de quatre jours pourrait tout d’abord reproduire l’effet salvateur des centaines de milliers d’emplois créés grâce aux lois Aubry. Car, en effet, si les détracteurs des 35 heures sont aujourd’hui nombreux à prôner un retour aux 39 heures ou une déréglementation de la durée hebdomadaire du travail, les chiffres semblent démontrer que la société n’a pas encore trouvé mieux pour générer de l’emploi pérenne et non précaire que de simplement le partager dans la population. Entre 1998 et 2002, l’Insee estime ainsi à 350 000 le nombre d’emplois créés grâce à fameuse loi d’exception française.
D’autre part, contrairement à ce qui est encore avancé par une large partie du spectre politique français, une réduction du temps de travail ne signifie pas nécessairement une perte de productivité. En effet, en France, la mise en place des 35 heures s’est en réalité accompagnée d’une productivité horaire augmentée de 4 à 5%. Comme l’ont démontré par le passé de nombreux sociologues, des salariés plus reposés, en meilleure santé et plus heureux sont davantage productifs : voilà les conséquences d’un temps de travail diminué et mieux partagé. Par opposition, on constate que les travailleurs japonais, qui passent des heures interminables sur leur lieu de travail, sont paradoxalement moins productifs, ce qui pèse globalement sur l’économie de leur pays.
Photographie : Justin Lynham / Flickr
L’exemple suédois
Ce lien de causalité trouve confirmation dans les essais menés récemment par la Suède dans la mise en place d’une journée de travail de six heures. Les établissements ayant participé à l’expérience, qui suggérait de passer à une journée de six heures au lieu de huit sans diminution du salaire, ont également constaté nombre d’effets bénéfiques. Les entreprises ont semble-t-il largement bénéficié de ce surplus de temps accordé à leurs salariés. Ainsi, il a été constaté une baisse dans les départs anticipés, une meilleure capacité à innover, et une meilleure productivité horaire de la part de leurs employés. Le nombre de congés maladie, également, s’est trouvé fortement réduit, permettant une meilleure stabilité de l’activité ainsi que des économies.
Les salariés, quant à eux, se disent plus épanouis, moins fatigués, et davantage enclins à donner le meilleur d’eux-mêmes. La réduction de la journée de travail a également permis aux entreprises de faire le tri entre ce qui est essentiel dans leur organisation et ce qui ne l’était pas. Exit les réunions interminables qui ne mènent à rien : les tâches sont désormais tournées vers un travail efficient et générateur de résultats. C’est en tout cas ce que révèle l’exemple cité par le New York Times concernant l’unité orthopédique de l’hôpital universitaire de Gothenburg. S’adonnant à l’expérience, celle-ci a vu son activité augmenter de 20% et gagner en compétitivité. Mais réduire le temps de travail ne profite pas qu’aux humains…
Photographie : paolobarzman / Flickr
Réduire la semaine de travail ? Bon pour l’environnement !
Testée en Suède, mais aussi dans l’état de l’Utah aux États-Unis, la semaine de quatre jours reste encore aujourd’hui un lieu d’expérimentations. Mais qu’il s’agisse de mettre en place un week-end de trois jours ou de réduire les horaires sur les cinq jours de la semaine, réduire le temps de travail s’est montré dans les deux cas positif. S’il est de notoriété que l’activité humaine est à l’origine de nombreux problèmes environnementaux et d’une large part de l’empreinte carbone, on peut logiquement envisager qu’une réduction de la part du travail productif puisse être bénéfique pour l’environnement. Et c’est effectivement ce qu’on observe.
Ainsi, en 2007, dans l’état de l’Utah aux États-Unis, c’est le passage à une semaine de quatre jours, avec trois jours entiers de week-end, qui a été testé. Ici, il n’a pas été tellement question de réduire le nombre hebdomadaires d’heures travaillées, mais de les concentrer sur les quatre premiers jours de la semaine. Le vendredi, de fait, est devenu pour les employés du secteur public le premier jour d’un long week-end. Les économies réalisées par l’état ont été significatives : en l’espace de dix mois, la facture énergétique de ce dernier avait diminué de 1,8 million de dollars par rapport aux années précédentes. La réduction des déplacements effectués en semaine par les travailleurs a également permis la réduction des émissions de CO2 à hauteur de 12 000 tonnes par an. Des résultats qui ne sont pas négligeables à l’heure de la crise climatique. Globalement, travailler moins permet d’éviter nombre de pollutions quotidiennes qui, accumulées par des millions d’individus, jouent un rôle majeur dans la crise climatique.
Photographie : Matt / Flickr
Si l’initiative a été abandonnée en 2011 pour des motifs politiques, elle montre bien les avantages écologiques à réduire la semaine de travail. Des avantages qu’un rapport américain publié par le « Center for Economic and Policy Research » vient définitivement confirmer. Comparant la consommation énergétique des États-Unis, du Canada, de l’Islande et de divers pays européens, le rapport met en avant la corrélation entre heures de travail et énergies consommées. Il stipule, en outre, que si les États-Unis tiraient avantage de leur forte productivité pour réduire la semaine de travail ou augmenter le nombre de semaines de vacances au lieu de produire toujours davantage, ils pourraient économiser 20% de leur énergie. En ce sens, si les États-Unis adoptaient une semaine de travail proche de la semaine européenne, ils pourraient réduire de façon drastique leur empreinte écologique. Une solution à ne pas négliger, lorsque l’on constitue l’un des plus gros pollueurs de la planète. Cependant, le culte de la croissance à tout prix et de la consommation à outrance semble tenace. Il en faut toujours plus…
Conclusion
Réduire la semaine de travail pourrait donc avoir de nombreux avantages pour les salariés, pour l’économie, mais aussi pour l’environnement. Un grand bol d’air dont il semble que nous ayons bien besoin à tous les niveaux. Naturellement, cette approche bien que nécessaire reste ancrée dans les logiques productivistes-libérales actuelles et se heurte inévitablement à tous les conservatismes. À l’heure où les machines remplacent peu à peu les humains dans de nombreux domaines de la production, nous débattons toujours sur la longueur des chaines qui nous aliènent plutôt que sur les structures qui les maintiennent. Des institutions qui régissent la société et déterminent ainsi le but de nos existences qui se résument, à ce jour, à produire et consommer toujours plus sans fin ni but.
Sources : TheConversation.com / NYTimes.com / CEPR.net