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50% du corail a disparu : la science l’avait prédit en 1998

On constate une disparition importante des coraux. Pollution et réchauffement climatique sont néfastes pour ces « poumons de la mer ». Ces structures indispensables blanchissent et meurent en grand nombre. Pour mieux les protéger, il faut lutter contre le réchauffement climatique en amont et limiter la pollution à l’échelle du globe.

Réhabiliter un récif corallien gravement endommagé, dans son entièreté, est difficile. D’après Gregor Hodgson, biologiste marin spécialisé dans l’écologie des récifs coralliens et l’aménagement de l’espace côtier, tient à nuancer notre capacité à pouvoir restaurer totalement des coraux : « La réhabilitation des récifs coralliens n’est applicable que dans certains cas, dans de petites zones où les récifs ont une valeur supplémentaire. Les résultats obtenus jusqu’à maintenant en matière de réhabilitation sont encore mitigés ».

La réhabilitation des coraux

G. Hodgson annonce sans détour : « Comment réparer des récifs comme la Grande Barrière de corail qui fait 2000 km de long ? Comment pouvons-nous « restaurer » des récifs morts alors qu’ils abritent des milliers d’espèces par mètre cube ? Montrez moi un récif de plus d’un hectare qui a été restauré dans son état d’origine ? L’accent doit être mis sur la décarbonation pour freiner le réchauffement climatique ! » 

Restaurer des écosystèmes détruits, peut devenir un parcours du combattant au vu de l’ampleur du phénomène. Et ce en dépit de la résilience à toute épreuve de la nature. « La plupart des projets de « restauration » des récifs coralliens se sont concentrés sur de minuscules zones d’environ 100 mètres carrés ou moins. Seuls quelques-uns ont tenté de « restaurer » des zones plus vastes mais généralement toujours inférieures à un hectare. Personne ne peut aujourd’hui restaurer un récif corallien et le mieux qu’on puisse faire est de le réparer temporairement » révèle Hodgson qui prend l’exemple de la vaste zone indopacifique où l’on trouve des centaines d’espèces de coraux et de poissons vivants sur chaque petite parcelle de récif.

Certains se battent sur le terrain

Coral Guardian est une association française fondée en 2012 chargée de protéger et de restaurer les écosystèmes coralliens autour du monde en travaillant avec les communautés locales. Celle-ci est engagée dans la conservation marine participative, afin de créer des modèles de conservation d’écosystèmes coralliens durables, gérés par les acteurs locaux.

Coral Guardian contribue au développement des connaissances scientifiques des écosystèmes coralliens. Océane Conjard, responsable communication et la directrice de Coral Guardian, en explique les missions : « Nous collaborons sur des projets de protection et de restauration d’écosystèmes coralliens dans le cadre du Blue Center, un programme créé par Coral Guardian pour l’accompagnement aux structures à but non lucratif afin de développer leur propre projet en faveur de la régénération corallienne. Actuellement nous collaborons sur le terrain et sur le long terme sur deux projets de protection corallienne en Indonésie et en Espagne ».

Martin Colognoli / Coral Guardian

L’abondance des écosystèmes coralliens

À l’image des écosystèmes forestiers, les écosystèmes marins à proximité des coraux sont complexes. « Il y a des milliers d’espèces d’organismes, y compris des bactéries vivant sur les récifs coralliens. Si vous regardez un simple réseau trophique pour un système marin tel que la zone Atlantique Nord, vous pouvez voir à quel point, il s’agit d’un système compliqué. Imaginez maintenant que cela soit multiplié par cent concernant la complexité du réseau trophique d’un écosystème de récifs coralliens », explique G. Hodgson.

Il existerait des milliers d’autres espèces de vers, crabes, crevettes également qui coexisteraient : 30% de la faune et de la flore logerait dans l’ensemble de ces récifs coralliens. Un véritable vivier. 

« Avec le système simple qu’ils créent, en replantant des coraux, les biologistes espèrent attirer des milliers d’autres organismes vivant naturellement sur les récifs coralliens ». G. Hodgson

Réhabiliter un récif reste onéreux. Ce sont généralement les coraux les plus lucratifs qui sont réparés en premier. Les coraux situés dans des zones de plongée importantes auront donc plus d’attention que ceux éloignés de ces zones dynamiques économiquement. 

G. Hodgson détaille cette vision marchande des écosystèmes marins : « La plupart des récifs coralliens sont situés loin des stations de plongée et leur valeur économique est donc relativement faible. Par exemple, la majeure partie de la Grande Barrière de Corail n’est pas utilisée pour les excursions de plongée, de sorte que la majeure partie du récif a une faible valeur économique. Sa très grande taille suggère qu’il n’y a tout simplement pas assez d’argent à la Banque mondiale pour réparer l’étendue des dommages causés ». 

Cette grande Barrière de Corail, est pourtant classée au patrimoine mondial de l’UNESCO et pourvoit néanmoins plus de 60 000 emplois. Les récifs coralliens sont des sources de nourriture très importantes, protègent les côtes des vagues de tempête et constituent l’une des attractions touristiques les plus précieuses au monde.

Une lente dégradation qui ne date pas d’hier

La surpêche et la pollution sont les causes principales de la destruction du corail.  Le réchauffement des eaux n’a fait qu’augmenter au fil des ans. Si l’on se focalise sur la Grande Barrière de Corail, on remarque que cinq épisodes majeurs de réchauffement climatique ont eu lieu en 1998, 2002, 2016, 2017 et 2020. On estime une augmentation de 0,7 degrés de l’eau en 100 ans.

L’eau des océans s’acidifie en parallèle d’une désoxygénation grandissante. Le pH moyen (de 7 à 14) des eaux de surface devrait tomber à 7,7 ou 7,8 d’ici 2100. Les coraux voient leurs polypes et les algues qui les colonisent disparaitre. Ces colonies coralliennes qui vivent en symbiose sont importantes pour la bonne santé du corail. 

Des espèces invasives finissent par achever un peu plus cette structure vivante : c’est le cas de la ciguatera, une algue toxique, provoquant l’empoisonnement des poissons environnants, et de l’acanthaster planci, une étoile de mer envahissante. 

Un suivi scientifique qui ne cesse d’alerter 

G. Hodgson est le fondateur de l’organisation mondiale d’éducation, de surveillance et de gestion des récifs coralliens Reef Check : « L’ONG a fait un excellent travail en formant des scientifiques citoyens à la collecte de données pour suivre de près les dommages causés aux récifs. Reef Check a réalisé la première enquête mondiale sur les récifs coralliens en 1997, puis a suivi le premier épisode de blanchissement mondial en 1998. Nous avons publié un rapport pour le 2e sommet sur le développement durable à Johannesburg en 2004, fournissant des détails sur de tels dommages ».

Répartition des sites de surveillance dans chacune des 10 régions du GCRMN à partir desquelles les données ont été compilées pour le rapport du GCRMN sur l’état des récifs coralliens dans le monde : 2020. Source : Rapport 2020 GCRMN

G. Hodgson a ainsi pu suivre cette lente destruction dès le premier épisode mondial de blanchiment des coraux : « Avant 1998, premier épisode de blanchiment mondial, nous avons correctement imputé à la surpêche, à la pollution, aux maladies et à la sédimentation la plupart des problèmes des récifs coralliens. Le blanchiment mondial des récifs coralliens est devenu un phénomène régulier qui a tué au moins 50 % des récifs coralliens dans le monde ».

« Est-il judicieux de continuer à réparer les récifs endommagés par le blanchiment ou de déployer davantage d’efforts pour stopper le blanchiment dû au réchauffement climatique ? » G. Hodgson

Il signale que les récifs coralliens d’Haïti, les plus endommagés au monde sont morts à cause des maladies et d’une surpêche dramatique : « Étonnamment, il existe encore quelques récifs coralliens à Haïti en excellent état car ils sont assez éloignés des pêcheurs. Les récifs endommagés dans les zones où la pression de pêche est faible se sont rétablis de façon spectaculaire en raison de l’absence de bateaux à moteur. Au contraire, de nombreux récifs des Keys de Floride, qui étaient en excellent état dans les années 1970, sont presque entièrement détruits par la pollution, notamment à cause des moteurs hors-bord à essence qui crachent de l’essence et du pétrole à la surface. L’ampleur des dégâts est bien trop important pour être réparée par des robots ou des personnes. Avoir davantage recours aux énergies renouvelables peut-être une des solutions ».

Coral Guardian précise que la diversité corallienne de la zone concernée contribue à la résilience des récifs coralliens face au changement climatique. Des études récentes montrent que certaines espèces récifales ont une survie plus élevée, sous conditions considérées stressantes. C’est le cas de certains coraux présents au Golfe d’Aqaba dans la Mer Rouge (Fine et al, 2013) ou en Nouvelle Calédonie (Camp et al, 2017).

Concernant les coraux tempérés, mesophotiques et d’eau froide, distribués en zones plus profondes, les connaissances sont plus restreintes dû aux difficultés techniques pour les étudier. Dans la mer Méditerranée, 41% des espèces impactés par la pollution liée à des appâts de pêche abandonnés sont des espèces coralliennes (Angiolillo et al, 2020). L’état des récifs coralliens des zones tropicales est critique. Un rapport qui collecte les efforts des équipes régionales pour le suivi de l’état corallien dans différentes zones de la planète montre que les espaces avec la plus grande perte de couverture corallienne sont le Pacifique Tropical de l’Est (60,4%), l’Asie du Sud (20,8%) et l’Australie (10%).

Martin Colognoli / Coral Guardian

Des réhabilitations réussies à poursuivre

En Indonésie, en 2016, l’équipe de Coral Guardian a lancé, en collaboration avec la structure indonésienne Yayasan WES, un programme de protection des écosystèmes coralliens sur l’île de Hatamin, dans la région du Parc National du Komodo afin de faire face à la destruction des récifs coralliens due à l’utilisation de la pêche à la dynamite, méthode illégale depuis plusieurs années.

Ce projet de réhabilitation a porté ses fruits. En 2019 une aire marine protégée (AMP) de 1,2 hectares est reconnue par le gouvernement local et les locaux. Les récifs coralliens à l’intérieur de cette AMP ont été régénérés à travers la transplantation de plus de 58 000 coraux sur des structures leur offrant un substrat stable pour leur développement. En 4 ans depuis le début de projet, 30 fois plus de poissons ont été recensés sur les zones restaurées, ainsi que 5 fois plus d’espèces. 

Javier Sánchez / Coral Soul

Coral Guardian agit aussi depuis 2020 en Espagne. « Nous collaborons avec l’association espagnole Coral Soul en mer Méditerranée. Le projet Deep CORE (Deep Coral Restoration ou restauration du corail profond) se déroule dans la zone spéciale de conservation de Punta de la Mona, sur les côtes méditerranéennes de la province de Grenade en Espagne. Le matériel de pêche échoué, en partie, a un impact considérable sur les fonds coralligènes. À Punta de la Mona on retrouve une population remarquable du corail chandelier (Dendrophyllia ramea), espèce considérée comme menacée d’extinction dans la région » informe en détail l’organisation Coral Guardian.

Parmi les méthodes les plus utilisées pour la restauration écologique des récifs coralliens, développées depuis les années 1990, on retrouve la transplantation directe : transplanter les colonies coralliennes sans passer par l’étape de nurserie, le jardinage du corail : transplanter des coraux ayant été récupérés en amont dans des nurseries (ou pépinières) et l’utilisation de récifs artificiels en ajoutant des structures artificielles au substrat marin ce qui favorise l’habitat des poissons.

« Ces structures peuvent avoir des caractéristiques particulières comme créer un courant électrique pour générer une accrétion minérale. Elles peuvent aussi imiter des environnements naturels. La pertinence de ces méthodes est strictement dépendante du contexte environnemental et social où le projet prend place, il n’y a pas une solution unique. Le champ de la restauration corallienne évolue rapidement, avec des démarches plus élaborées grâce à l’effort des chercheurs ! La manipulation du microbiome des coraux, qui selon leur composition peuvent leur donner plus de résistance, est aussi possible » conclue Coral Guardian.

                                                                                                 – Audrey Poussines


Photo de couverture : Martin Colognoli / Coral Guardian 

Sources complémentaires :

https://www.nationalgeographic.fr/environnement/le-rechauffement-climatique-pourrait-condamner-les-deux-tiers-de-la-grande-barriere-de-corail

https://hal.science/hal-01174257/

Perspectives on Coral Reef Rehabilitation

https://mobile.twitter.com/HaitiESPWA/status/1428375657281634308

https://journals.openedition.org/com/1018

https://mobile.twitter.com/ReefCheck/status/606828015310540800?

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