Nouveau coup dur pour la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise. En effet, une récente décision de justice d’un tribunal sud-africain a ordonné avec effet immédiat l’arrêt des activités d’exploration d’hydrocarbures au large de la Wild Coast, dans l’Océan Indien. Shell avait pour projet de rechercher des potentiels nouveaux gisements d’énergie fossile sur une surface de plus de 6000 km2, à l’aide de la technologie de prospection par ondes sismiques. Abritant des zones marines protégées riches en biodiversité et des écosystèmes indispensables à la survie des habitants de la région, cette décision constitue une véritable victoire pour les communautés locales et l’environnement.
Menaçant la faune marine et le bien-être des résidents locaux, le tribunal sud-africain de première instance de Grahamstown a récemment interdit à Shell de poursuivre son projet d’exploration sismique au large de la célèbre « Wild Coast », située dans l’est du pays.
« L’Afrique du Sud est actuellement très dépendante des importations pour une grande partie de ses besoins énergétiques. Si des ressources viables étaient trouvées en mer, cela pourrait apporter une contribution significative à la sécurité énergétique du pays et aux programmes de développement économique du gouvernement »[1], a notamment regretté le géant pétrolier au lendemain de la décision. Croissance et développement restent les maîtres-mots des industriels pour justifier de nouvelles destructions.
Même son de cloche pour le ministre sud-africain de l’énergie qui avait défendu le projet d’exploration et accusait les écologistes et opposants locaux de bloquer les investissements économiques dont le pays avait besoin pour assurer son développement. Cependant, pour garantir l’avenir du pays, la justice sud-africaine a préféré miser sur la préservation de ses écosystèmes riches en biodiversité et des intérêts des populations locales, qui dépendent notamment de la pêche et d’un océan en bonne santé.
Face à cette décision avec effet immédiat et des conditions climatiques peu favorables à l’exploration marine, Shell a décidé de mettre fin de manière anticipée au contrat en cours avec le navire d’exploration sismique et quitter les eaux sud-africaines[2].
Un désastre écologique évité
La Wild Coast, bordant l’Océan Indien, est une zone sauvage qui s’étend sur pas moins de 300 kilomètres et comprend plusieurs réserves naturelles et zones marines protégées, où évoluent une biodiversité exceptionnelle déjà menacée par les effets actuels du changement climatique. De nombreuses baleines empruntent notamment ces eaux lors de leurs migrations annuelles.
L’exploration des hydrocarbures fossiles en mer repose sur l’analyse de la propagation d’ondes sismiques pour déterminer la structure géologique des sols susceptibles de contenir des puits de pétrole ou des réserves de gaz. À cette fin, un navire équipé de canons à air devait envoyer à intervalle régulier, toutes les dix secondes et 24h sur 24h, de puissantes ondes de choc dans l’océan[3].
Selon les défenseurs de l’environnement, ces détonations auraient pu avoir des conséquences dramatiques pour la faune marine et perturber le comportement alimentaire, reproductif et migratoire de nombreuses espèces, qui dépendent de leur système auditif pour communiquer et se déplacer.
Reconnaissance des droits des communautés locales
Outre les dommages environnementaux, le projet d’exploration sismique du géant pétrolier aurait également gravement impacté les droits sociaux, économiques et culturels de nombreuses communautés locales qui dépendent intrinsèquement de l’écotourisme et de la pêche pour leur subsistance et la préservation de leur héritage culturel. Dès lors, n’ayant pas consulté préalablement les populations locales, le tribunal a considéré que Shell violait leur droit lié à la pêche et leur lien spirituel et culturel avec l’océan.
En effet, l’Océan Indien n’est pas seulement une ressource économique qui permet aux pêcheurs de certaines communautés de gagner leur vie. Il représente également un patrimoine culturel et spirituel essentiel. « Les océans sont sacrés pour nous. Les personnes en formation pour devenir des guérisseurs traditionnels effectuent des rituels sur la plage pour consulter leurs ancêtres et de nombreuses églises sud-africaines effectuent des baptêmes dans l’océan. Nous ne pouvons donc pas permettre que notre océan soit utilisé pour des activités qui vont conduire à sa destruction »[4], a notamment déclaré Sinegugu Zukulu, militant écologiste membre de la communauté d’Amadiba et du collectif Stustaining the Wild Coast.
Cette décision constitue une belle victoire pour l’avenir des communautés locales et la reconnaissance de leurs droits fondamentaux. « Nos voix ont enfin été entendues, et les droits constitutionnels des peuples autochtones ont été confirmés. Cette affaire nous rappelle que les droits constitutionnels appartiennent au peuple, et non au gouvernement »[5], se réjouit Zukulu.
Sur fond de crise écologique, cette décision de justice nous rappelle principalement que si nous voulons garantir le respect des nos droits fondamentaux et ceux des futures générations, ainsi que lutter contre le changement climatique, il est impératif de contester les décisions gouvernementales liberticides et écocidaires qui s’inscrivent dans l’unique intérêt minoritaire des lobbies d’un modèle économique dépassé.
W.D.
[1] Messanh Ledy., N., « Afrique du Sud : Shell bloquée dans son projet d’exploration sismique par une décision de justice » in Financial Afrika, 29 décembre 2021, disponible sur : https://www.financialafrik.com/2021/12/29/afrique-du-sud-shell-bloquee-dans-son-projet-dexploration-sismique-par-une-decision-de-justice/
[2] Belga, « En Afrique du Sud, Shell retire son bateau d’explorations sismiques controversées » in RTBF, 7 janvier 2022, disponible sur : https://www.rtbf.be/article/en-afrique-du-sud-shell-retire-son-bateau-d-explorations-sismiques-controversees-10910610
[3] X., « Afrique du Sud : la justice suspend l’exploration sismique de Shell, victoire pour les militants écologiques » in GEO, 28 décembre 2021, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/afrique-du-sud-la-justice-suspend-lexploration-sismique-de-shell-victoire-pour-les-militants-ecologiques-207650
[4] Lo., J., “Why Shell is becoming a softer target for climate campaigners” in Climate Home, 13 janvier 2022, disponible sur: https://www.climatechangenews.com/2022/01/13/shell-becoming-softer-target-climate-campaigners/
[5] Gbadamassi, F., « Afrique du Sud : pourquoi la justice a donné raison aux populations et aux écologistes opposés au pétrolier Shell » in France Info, 31 décembre 2021, disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/environnement-africain/afrique-du-sud-pourquoi-la-justice-a-donne-raison-aux-populations-et-aux-ecologistes-opposes-au-petrolier-shell_4898903.html