Depuis la nuit des temps, une minorité d’êtres humains a toujours réussi à soumettre le plus grand nombre. Notamment la bourgeoisie, comme Nicolas Framont l’expliquait dans une interview récente. Et si beaucoup de voix se sont souvent élevées contre cet état de fait, d’autres, en revanche, ont systématiquement défendu des dominants à l’encontre de leurs propres intérêts. Ce phénomène est nommé le « syndrome du larbin ».

Peu importe le contexte, il y aura toujours quelqu’un pour prendre le parti des plus favorisés. Que ce soit les grands patrons qui « créent l’emploi » où les milliardaires qu’il ne faudrait surtout pas taxer de peur qu’ils quittent le pays, la quasi-déification des plus fortunés n’a pas de limite.

Les pauvres contre leurs propres intérêts

S’il n’est pas tellement étonnant de voir ce genre de discours dans les grands médias qui appartiennent aux plus fortunés et qui défendent donc leurs intérêts, il peut en revanche être plus surprenant de retrouver ce type d’argumentaires dans la bouche des classes populaires.

À ce titre, on peut rapprocher le phénomène du syndrome de Stockholm, mais également de la « servitude volontaire » théorisée par Étienne de la Boétie au XVIe siècle. Ce dernier rappelle dans son unique ouvrage que les dominés le sont de leur plein gré parce qu’ils y trouvent une certaine forme de confort (habitude, abandon de sa responsabilité…).

Il n’est pas rare de voir un smicard soutenir ardemment la suppression de l’impôt sur la fortune, et ce même s’il n’a aucune chance d’y être soumis un jour. Ce comportement peut sans doute s’expliquer par la difficulté de certains à évaluer le gouffre qui existe entre eux et les plus aisés.

Une étude indiquait d’ailleurs que plus quelqu’un surestimait sa situation sociale, plus il justifiait les inégalités et trouvait la société juste. Ainsi, une fraction de la population défend les privilèges d’une classe contre ses propres intérêts parce qu’elle pense, à tort, faire partie de la même catégorie qu’eux.

Se bercer d’illusions pour accepter l’ordre du monde

D’autres préféreront se cacher derrière le concept de méritocratie : si les plus riches possèdent leur capital, c’est parce qu’ils ont travaillé et si les plus pauvres sont dans leur situation c’est qu’ils l’ont bien cherché. Évidemment, ces croyances ne reposent sur aucune espèce de réalité, comme nous vous l’expliquions dans un précédent article.

Pour autant, raisonner de cette manière permet de mieux supporter l’état du monde. Affirmer le contraire revient, en effet, à admettre l’injustice totale de notre société et son absurdité.

Plusieurs études démontraient, en outre, que prôner des valeurs de droite rendrait plus heureux. C’est d’ailleurs logique : il existe moins de frustration à se placer du côté de l’ordre établi. En défendant le monde des plus riches, on est sans doute plus apaisé qu’en combattant les inégalités puisque notre vision de la vie s’impose à tous.

La volonté de ne pas se retrouver tout en bas

Une autre piste pour analyser le « larbinisme » a également été explorée par deux chercheurs américains. Ceux-ci expliquent ainsi que beaucoup de membres de la classe moyenne rejetteraient les politiques redistributives par peur de se retrouver tout en bas de l’échelle.

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Certaines personnes payées juste au-dessus du SMIC verraient, ainsi, d’un mauvais un œil une augmentation du salaire minimum de peur de chuter au même niveau que les plus mal lotis. Dans cette optique, défendre les plus riches serait aussi une forme de gratitude de ne pas être poussé à la dernière place dans la hiérarchie sociale.

Il en va de même sur la mise à contribution des plus fortunés. Pour un certain nombre d’individus, s’attaquer aux plus aisés finirait par les pénaliser eux. Ici, la propagande médiatique n’est sans doute pas étrangère à ce courant de pensée. Et pourtant, l’inefficacité de la « théorie du ruissellement » n’est plus à démontrer.

Une histoire de valeurs

Il faut également bien garder à l’esprit que les intérêts d’une personne ne sont pas les seuls vecteurs de son opinion. Ce qui compte avant tout, ce sont ses principes. Or, on peut être pauvre et avoir des valeurs conservatrices. On préférera alors défendre l’ordre établi et le monde tel qu’il est, y compris si cela doit nous pénaliser au niveau social ou financier.

On avait d’ailleurs la parfaite illustration de ce phénomène lors de la dernière campagne présidentielle avec la question de l’héritage. Un sondage indiquait ainsi que 46 % des interrogés n’étaient pas convaincus par la proposition de Jean-Luc Mélenchon de taxer l’intégralité des successions au-dessus de 12 millions d’euros.

Et même si avec cette réforme, 99 % de la population ne serait pas touchée, on trouve tout de même près de la moitié d’entre elle pour s’y opposer, malgré l’apport que cet impôt représenterait pour les services publics et donc le bien commun.

Ici, ce sont les valeurs de transmission qui sont remises en question. Pour beaucoup, défendre l’héritage revient à protéger ses enfants et relève d’une inquiétude pour leur avenir. Dans ce cas, ce sont également les affects qui entrent en jeu.

Les politiciens et les médias l’ont bien compris, c’est en exploitant les passions et les principes des citoyens qu’ils arrivent à en faire oublier leurs propres intérêts à beaucoup de gens. De quoi créer des serviteurs prêts à plaider la cause des grandes fortunes plutôt que leur sort.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Flickr

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