« TERA » : une communauté pour expérimenter le monde de demain

Crédit image : TERA

TERA est un vaste projet qui vise la création d’une communauté résiliente à et autour de Masquières, une commune de 200 habitants dans le Lot-et-Garonne. Pour réussir, les membres doivent répondre à un double défi : agréger les aspirations de ceux qui ont décidé de quitter leur vie antérieure pour participer à l’aventure et intégrer la population locale vivant déjà sur le territoire. L’expérimentation, qui doit durer 10 ans, n’en est qu’à ses débuts. Elle se poursuit désormais par une campagne de financement participatif pour pouvoir assurer plusieurs revenus de base et développer une nouvelle économie de société fonctionnelle à l’échelle locale. Explications avec Grégor et Marie-Hélène, deux participants à cette recherche sociale grandeur nature.

Mr Mondialisation : Qu’est-ce que « TERA » ?

Grégor : TERA est un projet expérimental de développement territorial sur dix ans. Sur une zone rurale en perte de vitesse démographique et économique d’environ 30km de rayon, le projet vise à :
relocaliser la production vitale (alimentation, énergie, habitat, etc.).
adopter des modes de vie et de production respectueux de l’environnement.
– valoriser et échanger cette production via une monnaie citoyenne locale.
– distribuer à chacun des acteurs du projet un revenu de base inconditionnel en monnaie citoyenne locale et garanti par cette production.
– mettre en place une organisation sociale qui favorise l’épanouissement individuel tout en protégeant le bien commun.

Marie-Hélène : Une des manifestations concrètes du projet sera la construction d’éco-hameaux ou quartiers ruraux sur son territoire, en liens forts avec leurs communes d’accueil, qui rassembleront dans un même espace des habitats écologiques visant l’autonomie en eau et en énergie, des activités économiques, ainsi que des habitants désireux d’expérimenter ces nouveaux modes de vivre et de travailler dans le respect de la nature. C’est pour cela que TERA est souvent décrit comme un projet d’éco-hameau même si le projet ne se restreint pas à ces quartiers : c’est en effet un véritable écosystème que nous cherchons à créer, en incluant les habitants des quartiers ruraux et tous ceux qui voudront s’inscrire dans cette dynamique.

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Mr Mondialisation : Comment est né ce projet et avec quelles ambitions ?

Marie Hélène : Le projet a été initié en 2014, par Frédéric Bosqué, qui se définit comme un entrepreneur humaniste et qui était engagé depuis plusieurs années dans l’économie sociale et solidaire, ainsi que dans le mouvement des monnaies locales et du revenu de base. Il est né de deux ambitions :

Expérimenter un revenu d’autonomie, c’est-à-dire un revenu de base versé en monnaie citoyenne locale et qui est garanti par une production locale. Le revenu de base, notamment promu par le Mouvement Français pour un Revenu de Base, est un projet de société qui a une longue histoire et de nombreuses déclinaisons. Son message essentiel est que chaque humain devrait avoir le droit à un revenu versé de façon inconditionnelle, qui lui assure ses besoins vitaux et qui lui permette de choisir ses activités, non pour avoir un revenu mais parce qu’il a déjà un revenu. Dans le projet TERA, nous souhaitons que ce revenu soit garanti par une richesse sur laquelle nous avons prise (logique d’autonomie), d’où l’ambition de le fonder sur une production à 85 % relocalisée.

– Rassembler et articuler dans une unité de lieu, un territoire rural, ce qui se fait de mieux dans toutes les dimensions nécessaires à la constitution d’une société plus résiliente et plus respectueuse de l’humain et de la nature : énergie, construction, agriculture, eau, gouvernance, monnaie, modèles économiques, etc… En effet, de nombreuses innovations, aussi prometteuses les unes que les autres se développent un peu partout dans le monde, mais elles sont souvent isolées, ce qui les empêche de faire système et de construire une alternative solide.

Grégor : Au niveau humain, l’aventure a commencé début 2014, à travers la rencontre de Frédéric Bosqué et d’Antoine Carrier, designer industriel qui avait de son côté un projet d’éco-village dans lequel seraient rassemblées des compétences variées dans un lieu conçu sur des principes de permaculture. Tous deux ont initié ce qui serait un premier tour de France à vélo électrique à l’été 2014, porté par un petit groupe de personnes. Ce tour a permis de tenir des dizaines d’assemblées citoyennes (et rencontres d’élus, entrepreneurs, agriculteurs, citoyens) pour collecter les avis et propositions pour enrichir la vision initiale. Il a été suivi d’un second tour en 2015, à la rencontre de 60 éco-lieux pour connecter entre elles les initiatives territoriales déjà existantes, anciennes ou plus récentes. C’est à l’automne 2015 que le projet s’est trouvé un point d’ancrage, dans une petite commune du Lot-et-Garonne.

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Mr Mondialisation : Le noyau dur de « TERA » est composé de volontaires. Tentez-vous d’intégrer le reste de la population dans les communes où vous vivez ?

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Grégor : Absolument. D’ailleurs, aujourd’hui, le terme de « permanent » du projet (personne impliquée de façon permanente et qui s’installe sur le territoire du projet, pour simplifier à l’extrême), est de plus en plus flou. Au début, les permanents étaient constitués à 100 % de personnes qui venaient sur le territoire du projet pour TERA, depuis les quatre coins du pays. Aujourd’hui, de plus en plus de voisins qui habitaient déjà ces communes s’impliquent dans le projet, à travers leurs compétences ou tout simplement en tant que citoyens engagés.

Marie Hélène : Pour en arriver là, nous avons progressivement pris contact avec les différents acteurs locaux : associations œuvrant dans des domaines proches des nôtres, producteurs, collectivités à différents niveaux (communes, communauté de communes, Département, Région) afin de leur présenter le projet et d’identifier de possibles partenariats. De plus, nous avons ouvert notre lieu, notamment pendant un an dans le cadre d’une manifestation touristique, culturelle et commerciale, autour de prototypes d’habitats légers visant l’autonomie et eau et en énergie : visites, animations sur différents thèmes de la transition écologiques et solidaires, accueil de groupes, etc… Cela nous a permis progressivement de nous faire connaître à travers nos réalisations.

Mr Mondialisation : Comment fait-on, concrètement, lorsqu’on souhaite repenser et installer une nouvelle société, fondée sur les valeurs que vous évoquiez plus tôt ?

Marie-Hélène : Le projet a été pensé initialement sur 10 ans, avec une première phase d’analyse d’étude et de recherche, incluant les tours de France en vélo évoqués par Grégor. L’idée était non seulement de faire un état des lieux des besoins et alternatives existantes et aussi d’apprendre des expériences en différents domaines, matériels et immatériels. Puis nous nous sommes formés individuellement (écoconstruction, permaculture…) et collectivement (gouvernance), en même temps que nous démarrions plusieurs activités sur le site qu’un contributeur nous a mis à disposition en 2015. En parallèle de notre découverte du territoire, nous avons aussi pendant cette période accueilli plusieurs dizaines de volontaires, dont quelques-uns se sont installés et ont peu à peu pérennisé leur implication dans le projet en prenant en main des activités. C’est grâce à cette phase exploratoire, qui s’est aussi accompagnée d’essais erreurs, que nous sommes maintenant en mesure de démarrer la seconde phase, l’expérimentation proprement dite, en formalisant le modèle économique qui sous-tend le projet.

Grégor : On avance pas à pas, sur un très long chemin ! Le projet est parti de rien début 2014. En novembre 2015, nous avons loué un petit corps de ferme un peu vétuste dans le Lot-et-Garonne. Personne ne nous connaissait sur le territoire et TERA s’étant constitué de façon itinérante, aucun membre du projet n’habitait encore dans le coin ! Un peu moins de trois ans plus tard, nous sommes bientôt une trentaine à nous être installés dans les parages. La ferme (dont nous avons dorénavant la jouissance à vie) est en cours de rénovation. On est en train de lancer une activité de maraîchage, une autre de boulangerie, un réseau de distribution pour les producteurs agricoles locaux, un gîte, des activités de service et d’artisanat, et bien d’autres choses à venir. Une jeune forêt comestible vivrière pousse sur le terrain. Nous avons nos bureaux administratifs dans le village voisin, et nous travaillons avec une troisième commune à une vingtaine de kilomètres, pour construire les habitations du premier quartier rural. Nous avons organisé des dizaines d’évènements culturels, touristiques et commerciaux (marchés gourmands, bals traditionnels, world cafés, conférences), servis des milliers de repas. Tout cela est le fruit de plus de 30 000 heures de bénévolat sur le terrain et du soutien des collectivités locales avec qui nous travaillons étroitement depuis 2016 (que ce soit le Département, la communauté de communes, la Région, et même l’Europe).

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Mr Mondialisation : Ne craignez-vous pas que votre projet puisse être perçu comme une tentative de repli ?

Grégor : Pas vraiment. C’est plutôt l’inverse tant nous accueillons de monde et tant que nous communiquons sur ce qu’on fait ou ce qu’on veut faire, sur le territoire. Nous cherchons à travailler et parler avec tout le monde, citoyens, entreprises et pouvoirs publics. TERA est connu comme le loup blanc dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres si ce n’est plus, maintenant. Bien sûr, au début il y a eu les habituelles rumeurs de secte comme doivent le subir nombre de projets  « alternatifs » depuis des lustres, mais nous sommes tellement actifs sur le territoire (organisation de marchés gourmands, de bals traditionnels, accueil des rencontres de la confédération paysanne, etc.), que seules les personnes réellement repliées sur elles-mêmes peuvent encore penser une chose pareille de TERA !

Mr Mondialisation : Quelles leçons tirez-vous du chemin que vous avez déjà parcouru ?

Grégor : Je dirais que la quantité d’imprévus et d’embûches d’un projet est proportionnelle à sa diversité et sa richesse. TERA, par son approche systémique, s’est heurté de nombreuses fois depuis sa création à ce mur de la complexité. La patience et le dialogue sont souvent les meilleurs outils pour le franchir. D’autant plus que nous avons choisi de nourrir une gouvernance partagée, qui limite la possibilité de passer en force ou de prendre des décisions unilatérales. Cette gouvernance a beaucoup évolué depuis le début du projet, par tests, réussites et échecs successifs (comité de pilotage, gouvernance opale, holacratie, sociocratie, etc), et continue d’évoluer en permanence. Le temps consacré aux réunions (que ce soit sur des aspects pratiques ou humains) est important, mais c’est le prix à payer pour intégrer toute la complexité du projet de façon démocratique. La gestion du dialogue externe (certains voisins méfiants, les jeux politiques locaux…) tout comme le dialogue interne (gestion des désaccords et conflits, prise en compte des forces et fragilités de chacun), demande une infinie patience et beaucoup d’énergie. C’est sûr que la dictature, ça va plus vite ! Mais ce qu’on perd en efficience et en facilité, on le gagne aussi en résilience, en diversité. On arrive à faire cohabiter dans le projet des personnes parfois très, très différentes. On pourrait dire qu’au-delà des plantes et animaux à la ferme, on cultive aussi la biodiversité humaine ! Ça donne un éventail très large de traits de caractères, de générations, d’intelligences, de compétences. Ça me semble nécessaire pour franchir les étapes difficiles et complexes du projet, et agréable pour rire ensemble quand tout va bien.

Marie-Hélène : De mon côté, j’ai appris l’importance de l’expérience, des premiers pas, de ce que l’on débute sans savoir à l’avance la forme que cela prendra et que l’on s’autorise à ajuster au fur et à mesure, des plans remis à jour, des ratés apparents qui se transforment en ouverture. C’est parfois très insécurisant, mais aller vers quelque chose qu’on ne connaît pas encore ne peut se faire qu’en essayant, en étant attentif à ce qui fonctionne ou pas et en adaptant en fonction de la réalité.

Mr Mondialisation : Vous terminez une campagne de financement participatif dont l’objet est de mettre en place plusieurs revenus de base. En quoi la démarche s’inscrit-elle dans le projet « Tera » ?

Marie Hélène : Comme dit plus haut, l’intention du projet est de garantir un revenu d’autonomie par une production locale de richesse, une part de cette richesse étant destinée à être distribuée de façon inconditionnelle à chacun des habitants. A l’heure actuelle, grâce à notre travail bénévole pendant trois ans, nous avons constitué les bases matérielles et humaines nous permettant de commencer à valoriser une production, mais celle-ci n’est évidemment pas encore suffisante pour garantir ce revenu. À travers ce financement participatif qui lance officiellement la phase d’expérimentation du projet, nous recherchons des fonds afin de garantir pendant trois ans les revenus des porteurs d’une dizaine d’activités (dans un premier temps) que nous avons jugé prioritaires pour faire monter en puissance notre éco-système. Ces revenus de base permettront à leurs bénéficiaires de se consacrer sereinement à l’activité qu’ils ont choisie. Nous faisons le pari qu’au bout de trois ans, la richesse produite permettra de distribuer ces revenus sans apport extérieur et que ces revenus auront donc été un facteur de création de richesses. Cela sans rapport de force sur la personne qui en bénéficie.

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Mr Mondialisation : Pensez-vous que, par la suite, d’autres « TERA » pourront voir le jour ailleurs, tels des lieux de résistance à un monde qui part à la dérive ?

Grégor : C’est un objectif majeur du projet. Nous sommes suivis par un conseil scientifique, composé de représentants de différentes disciplines sociales, économiques et environnementales. Il est là pour nous conseiller et nous alerter de façon à enrichir le projet et faciliter sa transmission. De notre côté, nous documentons nos échecs et nos réussites. Si au bout de l’expérimentation, le modèle n’est pas concluant, il faudra en envisager d’autres. Mais si après dix ans nous sommes toujours là, résilients, autonomes dans nos besoins vitaux et financièrement, en bonne santé, heureux, tout ça dans le respect des humains et de la nature, on aura alors tout ce qu’il faut pour essaimer ! On utilisera notre expérience, notre pouvoir d’investissement, le travail de documentation scientifique, pour aider d’autres personnes à créer leurs propres hameaux, leurs propres villages.

Je précise aussi que TERA ne se limite pas à créer des éco-hameaux à partir de zéro, mais d’intégrer les structures existantes au modèle économique que nous voulons mettre en place. C’est une logique de développement territorial d’ensemble, qui intègre aussi bien des « éco quartiers » que les villages et infrastructures préexistants.

Marie-Hélène : Un autre élément de la transmission sera la formation. Un centre de formation à l’écoconstruction est déjà en préparation sur la commune de Trentels, et à terme, en fonction des résultats du projet, ce sont plusieurs modules de formation qui seront proposés, dans les différentes dimensions qui nous auront permis d’aboutir : écoconstruction, permaculture, modèles économiques, gouvernance, etc… afin que tout citoyen souhaitant s’inspirer de notre expérience puisse venir apprendre. Ces formations seront en participation libre et consciente et tous nos documents, plans, bilans, seront en libre accès, sous licence libre.

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Grégor Alécian : Monteur et réalisateur depuis une décennie, Grégor est aujourd’hui permanent/habitant de TERA qu’il a rejoint quand le projet a trouvé un point d’ancrage territorial. Il s’occupe en partie de la conception globale de la ferme de TERA en permaculture et il gère spécifiquement la forêt comestible vivrière. Il fait également partie de la commission communication du projet.

Marie-Hélène : Chercheuse en génétique des populations à l’INRA à Montpellier et investie dans le milieu associatif local depuis plusieurs années, elle s’est peu à peu engagée dans le projet Tera. Elle habite maintenant Tournon d’Agenais. En tant que présidente de l’association, elle a un pied dans les différentes activités transversales au service du projet : gouvernance et fonctionnement interne, communication, administration, accueil, ainsi que dans la mise en place du conseil scientifique.


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