Sur fond de crise climatique globale, deux nouveaux projets pétrolier en Afrique de l’Est développés par TotalEnergies suscitent l’indignation de nombreuses associations environnementales. Outre les menaces irréversibles pour les écosystèmes et la biodiversité de la région, les associations dénoncent également la multitude de violation des droits humains subie par les communautés locales. Alors que le géant pétrolier s’est fixé pour objectif la neutralité carbone d’ici 2050, ces projets apparaissent comme une insulte aux communautés qui subissent déjà les effets dévastateurs du changement climatique et aux droits des futures générations…

En 2006, la société britannique Tullow Oil a découvert d’importantes réserves de pétrole en Ouganda, attisant les convoitises du géant pétrolier TotalEnergies. En 2020, en partenariat avec la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), Total rachète les parts de la compagnie pétrolière britannique dans la région.

Début de cette année, les deux compagnies ont signé un accord de 10 milliards de dollars avec les gouvernements d’Ouganda et de Tanzanie pour développer des activités d’exploitation pétrolière dans cette région de l’Afrique de l’Est.

À l’issue de cet accord, deux projets aux conséquences environnementales et sociales considérables sont actuellement en cours de développement [1] :

  • Le projet Tilenga qui vise la construction de 419 puits de pétrole en Ouganda, dont un tiers se situe dans le parc naturel de Murchison Falls; et
  • Le projet East African Crude Oil Pipleline, ou EACOP, qui vise quant à lui la construction du plus long pipeline chauffé au monde, destiné à acheminer les hydrocarbures depuis les puits de Tilenga jusqu’à l’Océan Indien, traversant la Tanzanie sur pas moins de 1445 km.

Les projets pourraient produire jusqu’à 230 000 barils par jour sur une période de 25 à 30 ans, et devraient être opérationnels d’ici à 2025.

Un important réseau de raffinerie et de pipe-lines prévu par le mégaprojet de Total. – Map: Yale Environment 360 / Source: Total

Une catastrophe environnementale

Sans surprise, ce nouveau méga projet pétrolier entrainera de lourdes conséquences environnementales alors même qu’un consensus scientifique exhorte nos décideurs politiques de réduire radicalement les émissions carbones pour lutter contre les effets du changement climatique, dont les conséquences se matérialisent déjà sur l’ensemble de la planète.

Un tel projet aura pour conséquence directe d’augmenter nos émissions, et ainsi nous rapprocher des scénarios climatiques les plus sombres, dans lesquels de nombreuses régions du monde deviendront très prochainement invivables.

En effet, un rapport [2] conjoint des Amis de la Terre et de l’ONG Survie révèle que ce projet pétrolier sera responsable de l’émission de 34 millions de tonnes de CO2 par an, soit un niveau plus élevé que les émissions de gaz carbonique de l’Ouganda et de la Tanzanie. Notons que ce niveau prend en compte les émissions qui seront libérées dans l’atmosphère calculées sur l’ensemble de la chaine d’exploitation et d’utilisation de cette énergie fossile.

Les risques environnementaux aux conséquences irréversibles sont nombreux. Premièrement, une partie du projet d’extraction du pétrole est localisée dans la réserve naturelle de Murchison Falls. Ce parc naturel comprend une zone humide qui abrite de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères menacées, dont notamment des éléphants, des pangolins géants, des lions, des girafes et des chimpanzés.

L’EACOP, quant à lui, risque d’exacerber les risques d’accident pétrolier au large des côtes tanzaniennes qui pourraient ainsi nuire aux zones marines protégées de ce pays riche en biodiversité et menacer plus de 2000 km2 de réserves naturelles.

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Les chutes d’eau du parc naturel Murchison Falls, Ouganda – Flickr

Enfin, ces deux projets menacent la préservation des sources d’eau du Nil, l’un des écosystèmes les importants du monde qui a notamment participé à la sauvegarde de nombreuses civilisations humaines depuis des millénaires.

Face à ces menaces, les associations appellent TotalEnergies à étudier, a minima, des routes alternatives afin de garantir la sauvegarde des écosystèmes et de la biodiversité de la région, ainsi que les ressources en eau de l’Ouganda et de la Tanzanie.

Le géant pétrolier assure en revanche que les deux projets ont rigoureusement été étudiés et évalués par des institutions tierces indépendantes, et que leur développement sera conforme aux meilleures pratiques sociétales et environnementales [3].

Le pipeline de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP), d’une longueur de 1 443 km, transférera le pétrole brut de Kabaale Hoima en Ouganda (bassin du lac Albert) vers une installation de stockage maritime et une installation de chargement située sur la péninsule de Chongoleani, près du port de Tanga, en Tanzanie, en vue de son exportation. @Oxfam

Violation des droits humains des communautés locales

Au-delà des menaces strictement environnementales, plusieurs ONGs dénoncent également les violations des droits humains et menaces qu’un tel projet aura pour les communautés locales. En effet, les futures infrastructures pétrolières de ces projets impacteront la sécurité alimentaire et le droit à l’eau de plusieurs dizaines de millions d’habitants de la région.

« Près d’un tiers de l’oléoduc traversera le bassin du plus grand lac d’Afrique, le lac Victoria, dont plus de 40 millions de personnes dépendent pour leur eau et leur production alimentaire. Il traversera plus de 200 rivières et passera par des milliers de fermes. Un seul déversement ou une seule fuite pourrait avoir des effets absolument catastrophiques sur ces sources d’eau douce vitales et sur les millions de personnes qui en dépendent » [4] dénonce notamment le mouvement StopEACOP.

Par ailleurs, les associations dénoncent de nombreuses arrestations non-justifiées d’opposants au projet et les contraintes imposées aux communautés locales dans le processus d’acquisition de leurs terres par TotalEnergies.

À cet égard, le Parlement Européen a récemment adopté une résolution [5] qui condamne ces nombreuses violations des droits humains. On y retrouve notamment :

  • L’emprisonnement injustifié de défenseurs des droits de l’homme ;
  • La suspension arbitraire d’ONGs ;
  • Des peines de prisons arbitraires ; et
  • L’expulsion de centaines de personnes de leurs terres sans compensation équitable et adéquate.

Notons que ces déplacements et impactes socio-économiques risquent d’affecter pas moins de 118 000 personnes.

Manifestation de kényans contre le projet de pipelines EACOP – Flickr

Un projet controversé

Le projet fait également face à de nombreuses critiques de la part de différentes institutions politiques et financières, reprochant aux compagnies pétrolières et gazières leur greenwashing et discours de sensibilisation aux effets du changement climatique alors même qu’elles poursuivent le développement d’activités d’exploitation d’énergie fossile.

Ainsi, notamment grâce au travail des associations, plus de la moitié des banques qui ont historiquement financé TotalEnergies et cinq assureurs ont refusé de soutenir le projet. La Commission Européenne a également déclaré qu’elle ne soutiendrait pas le financement des deux projets pétroliers en Afrique de l’Est[6].

Enfin, ce nouveau projet pétrolier expose une nouvelle fois les contradictions entre les engagements du gouvernement français en faveur d’une transition énergétique verte et durable et la matérialisation de ces objectifs climatiques. Si la France ne contribue pas au financement du projet en tant que tel, une lettre[7] du Président Emmanuel Macron au président ougandais révèle son soutien qui affirme que ce projet constitue une « opportunité majeure » pour les deux pays de développer leur coopération politique et économique.

Vers la fin du projet ?

En octobre 2019, sur base d’une loi française de 2017 dite « Ranza Plaza », nom de l’immeuble qui s’est effondré en 2013 au Bangladesh, tuant plus de 1000 ouvriers de l’industrie du textile, les Amis de la Terre, l’ONG Survie et quatre associations ougandaises ont engagé une action en justice [8] à l’encontre TotalEnergies pour : manquement à son obligation de prévenir les atteintes graves aux droits de l’homme, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement, via la mise en œuvre d’un « plan de vigilance », tel qu’imposé aux sous-traitants et fournisseurs étrangers par le texte législatif.

Alors que le géant pétrolier devait comparaître devant le tribunal de Paris le 12 octobre dernier, l’audience a finalement été reportée à la demande des associations. En cause, il est reproché à TotalEnergies d’avoir soumis des conclusions, composées de 95 pages et d’une cinquantaine de nouveaux documents, la veille au soir du jour de la tenue initiale de l’audience. La multinationale étant d’une mauvaise foi apparente, les associations ont fait savoir leur indignation, l’accusant de vouloir gagner du temps avant les début des travaux, initiés au début de l’année 2022[9].

Le procès devrait désormais s’ouvrir le 7 décembre prochain. D’ici là, TotalEnergies poursuit le développement de ce projet au mépris flagrant des risques socio-économiques et environnementaux, et ne compte évidemment pas y renoncer.

Ne manquez pas de regarder ce documentaire « EACOP: a crude reality » partagé par 350.org. Des sous-titres en français sont disponibles.

W.D.

 

 

[1] X., « Environnement : des ONG veulent stopper le projet Total en Afrique de l’Est » in TV5 Monde, 27 octobre 2022, disponible sur :  https://information.tv5monde.com/info/environnement-des-ong-veulent-stopper-le-projet-total-en-afrique-de-l-est-474479

[2] Gallo. S., Renaud, J., Bart. T., Manquements araves à la loi sur le devoir de vigilance : le cas de Total en Ouganda, Les Amis de la Terre France et Survie, juin 2019, disponible sur : http://climatecasechart.com/wp-content/uploads/sites/16/non-us-case-documents/2019/20191023_NA_na.pdf

[3] TotalEnergies, Tilenga & EACOP : deux projets rigoureusement étudiés et évalués, disponible sur : https://totalenergies.com/fr/info/tilenga-eacop-deux-projets-rigoureusement-etudies-evalues

[4] STOPEACOP, Pour les personnes, disponible sur : https://www.stopeacop.net/pour-les-personnes

[5] European Parliament, Joint motion for a resolution on violations of human rights in Uganda and Tanzania linked to investments in fossil fuels projects, 15 septembre 2022, disponible sur: https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2022-0409_EN.html

[6] Moisan, D., “Uganda oil project casts shadow over Total’s eco-friendly image” in The Guardian, 19 avril 2022, disponible sur: https://www.theguardian.com/environment/2022/apr/19/uganda-oil-project-casts-shadow-over-totals-eco-friendly-image

[7] Uganda Media Centre, President Macron pledges political, economic support, ahead of swearing in, pushes EACOP oil pipeline, 1 mai 2021, disponible sur: https://www.mediacentre.go.ug/media/president-macron-pledges-political-economic-support-ahead-swearing-pushes-eacop-oil-pipeline

[8] Climate Case Chart, Friends of the Earth et al. v. Total, 2019, disponible sur http://climatecasechart.com/non-us-case/friends-of-the-earth-et-al-v-total/

[9] X., « Procès contre un mégaprojet pétrolier de Total en Ouganda, l’audience reportée » in euronews, 14 octobre 2022, disponible sur : https://fr.euronews.com/green/2022/10/12/proces-contre-un-megaprojet-petrolier-de-total-en-ouganda-laudience-reportee

Photo de couverture Montage @MrMondialisation – gauche @350.org – droite Ouganda, @PHILIPPE CABANELSuivre

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