Les engagements du géant pétrolier Total en faveur du climat sont-ils réellement à la hauteur des enjeux et du discours public « eco-friendly » de l’entreprise ? Dans un nouveau rapport détaillé, plusieurs ONG dénoncent « une stratégie de façade, absolument incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris ». Décryptage.


Alors que l’urgence climatique s’est imposée dans les débats publics, entreprises et gouvernements ne peuvent plus faire abstraction des considérations environnementales. Mais les contraintes et évolutions que ces derniers s’imposent résonnent encore trop souvent comme autant de déclarations de principes, tantôt insuffisantes au regard de l’urgence, tantôt non suivies de mesures concrètes. Pour beaucoup, l’écologie apparaît donc comme une stratégie de communication en vue d’assurer des intérêts politiques ou économiques.

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Un double discours

Le discours du géant pétrolier français Total ne fait pas exception, analysent plusieurs associations et ONG, à savoir Notre Affaire à Tous, 350.org et les Amis de la Terre France, avec le soutien de Sherpa, des Ecomaires, d’Attac et de l’Observatoire des multinationales. De manière commune, elles publiaient la semaine passée un rapport intitulé Total : la stratégie du chaos climatique. Le document met en exergue les contractions entre le discours officiel de Total, dans lequel la multinationale affiche ses préoccupations pour les questions environnementales, et la réalité de ses actions, incompatibles avec les objectifs fixés en 2015 lors des Accords de Paris.

« Total continue d’investir massivement et quasiment exclusivement dans le pétrole et le gaz, y compris dans l’exploration de nouveaux gisements », détaillent ainsi les auteurs du rapport dans leur communiqué de presse. Selon eux, « la stratégie climat de la multinationale pétrolière ainsi que ses leviers d’atténuation d’impact climatique ne sont qu’un leurre nous conduis[ant] au contraire irrémédiablement vers une aggravation de la crise actuelle ».

Des engagements très insuffisants

Pour cause, alors que Total déclare se conformer dans son développement aux ambitions écologiques telles qu’elles ont été fixées au niveau international par les Accord de Paris, la multinationale se fixe en réalité des objectifs bien moins élevés en se référant aux scénarios décrits dans le New Policies Scenario (NPS) de l’Agence Internationale de l’Énergie. Ce scénario envisage une hausse des températures de 2,7 °C par rapport à l’ère préindustrielle d’ici la fin du siècle. Son application est bien moins contraignante pour les acteurs de la société (gardant à l’esprit que les Accord de Paris étant déjà assez peu contraignants). Le discours de Total est donc non seulement ambigu, il est également trompeur.

Pour rappel, l’objectif le plus ambitieux des accords de Paris consiste à empêcher une hausse de plus de 1,5° par rapport à l’ère industrielle. Dans cette perspective, selon le GIEC, les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de manière conséquente : en octobre dernier, le panel international estimait que la poursuite de cet objectif demandait de réduire les émissions de 45 % par rapport à 2010 d’ici 2030 et d’atteindre une neutralité carbone d’ici 2050. Par ailleurs, le GIEC a montré que chaque hausse d’un dixième de degré au-dessus de 1,5 °C serait potentiellement catastrophique pour l’humanité. Dans la réalité d’aujourd’hui, nos émissions ne cessent d’augmenter.

Comme le soulignent les auteurs du rapport, Total a effectivement inscrit dans sa stratégie des objectifs afin de diminuer sont empreinte écologique dans les années à venir. Cette stratégie s’articule autour des éléments suivants : des gains d’efficacité (de l’ordre de 1 % par an entre 2010 et 2020), une réduction des émissions de méthane, une diminution des activités polluantes comme le brûlage de routine ainsi qu’une diminution générale des émissions de gaz à effet de serre. La stratégie de Total « repose essentiellement sur le développement continu d’hydrocarbures ainsi que sur les technologies d’émissions négatives« , résument les auteurs.

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“ Total cherche à échapper à sa responsabilité historique face à la crise climatique, mais le mouvement pour la justice climatique, les millions de jeunes en grève à travers le monde pour exiger la fin de l’ère des combustibles fossiles, forceront les institutions à prendre leurs responsabilités, et à tenir Total responsable pour les dommages qu’elle cause.” Clémence Dubois, 350.org

Mais ces objectifs, dont la réalisation aboutirait à une baisse des émissions de Total de l’ordre de 6 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2025 par rapport à 2015, ne suffisent pas : ils ne sont pas suffisamment ambitieux d’un point de vue quantitatif jugent Notre Affaire à Tous, 350.org et les Amis de la Terre France. Enfin, ces objectifs contreviennent directement à certains projets climaticides que la multinationale continue de financer voire d’intensifier, dont le développement des activités extractives ou celles liées à la production d’agrocarburants.

Ces nouvelles activités se font souvent dans des régions considérées comme « écologiquement sensibles », en Arctique, au Canada ou dans la Région des Grands Lacs en Afrique. Les énergies renouvelables ne font quant à elles que l’objet d’environ  5% environ des investissements de la multinationale. En d’autres termes, en dépit des appels répétés à diminuer drastiquement la production d’hydrocarbures et de poursuivre une véritable transition énergétique, Total refuse de faire évoluer de manière significative son fonctionnement, au profit de demi-mesures éventuellement à mêmes de rassurer l’actionnariat et les consommateurs sans créer la brèche d’un changement structurel.

Pour consulter le rapport dans son intégralité : notreaffaireatous.org

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