Les Amis de la Terre nous ont partagé une tribune importante que nous vous relayons sur les atteintes morales, juridiques et institutionnelles de la poursuite des travaux de l’autoroute Toulouse-Castres. Les rappels ne sont plus de trop face au déni des réclamations citoyennes et locales concernant ce projet industriel d’intérêt purement financier. Tribune. 

La grève de la faim menée contre l’A69 par quinze militants, dont certains pendant un mois ou plus, a cessé progressivement après l’annonce de la suspension temporaire des travaux de défrichement.

La façon dont les membres de ce groupe hétéroclite de défenseurs de la nature ont malmené leur santé, au point de faire grève de la soif pour certains d’entre eux, est à l’image de ce que ce nouveau grand projet inutile exerce sur le vivant mais aussi sur les procédures qui encadrent toute atteinte à l’environnement.  

Un écart abyssal entre le droit de l’environnement et son application 

Un rappel des procédures ainsi que des circonstances précises qui ont conduit à ce que ce projet obtienne un « feu vert » s’impose ici.

En premier lieu, tout projet nécessitant une expropriation doit obtenir une déclaration d’utilité publique (D.U.P.). Dans le cas de l’A69 (la nouvelle infrastructure projetée), la D.U.P. a été obtenue en 2018.

En second lieu, tout projet ayant un impact significatif sur l’environnement requiert une autorisation environnementale, qui englobe les différentes autorisations exigibles en fonction de l’importance, de la nature ou de la localisation du projet : autorisation au titre de la loi sur l’eau, dérogation permettant de détruire des espèces ou habitats protégés, etc. La décision d’accorder ou pas une autorisation environnementale, prise par la ou les préfecture(s) concernée(s), est éclairée d’une part par l’avis de la commission d’enquête, formulé à l’issue de l’enquête publique, d’autre part par les avis émis, avant l’enquête publique, par les collectivités locales impactées par le projet mais aussi par divers organismes et instances compétents en matière d’environnement : les Commission Locales de l’Eau – « parlements de l’eau » institués à l’échelle d’un bassin versant -, l’Autorité Environnementale – instance relevant du ministère de l’environnement -, etc. 

Or, s’agissant de l’A69, le moins que l’on puisse dire c’est que l’autorisation environnementale délivrée ignore largement les avis des organismes et instances compétents. En effet, ces avis convergent pour dénoncer l’insuffisance de la démarche « éviter-réduire-compenser » (ERC) dans le dossier. Principe fondamental du droit de l’environnement, la démarche ERC fixe la règle de priorité suivante : la compensation est une option de dernier recours s’il est impossible d’éviter ou réduire les impacts, et la réduction est elle-même une solution par défaut s’il est démontré que les impacts ne peuvent être évités.

Or comme l’a souligné par exemple l’Autorité Environnementale, l’analyse des variantes présentée dans le dossier se borne à considérer le seul mode routier et évacue trop vite l’alternative de l’aménagement de la RN 126 (la route nationale existante). Or non seulement une application rigoureuse du principe « ERC » aurait dû conduire les préfets du Tarn et de la Haute Garonne à ne pas délivrer l’autorisation environnementale en l’état des études, mais de plus ladite autorisation n’a pas émis de réserves à la hauteur des enjeux soulevés dans certains avis.

Schéma Simplifié de la superposition de l’A69 et du trajet existant @LaVoieEstLibre

Par exemple, l‘Office Français de la Biodiversité déplore que des secteurs dédiés à la compensation de la destruction de zones humides ne présentent pas les caractéristiques physico-chimiques nécessaires pour constituer des sols propices à cette compensation. Pour autant, les préfets n’ont pas demandé au maître d’ouvrage de revoir la liste des sites de compensation, se bornant à constater que leur surface cumulée répondait aux obligations réglementaires.

Par ailleurs, alors que le tracé se situe dans le champ d’expansion des crues de plusieurs cours d’eau, des doutes demeurent sur la non-aggravation des inondations. Le plan d’aménagement du dossier acté par l’arrêté préfectoral n’a pas été modifié par rapport à la version présentée à l’enquête publique (voir article III-1). Or ce plan repose manifestement sur des études hydrauliques ne prenant pas en compte des paramètres dynamiques (remontée des nappes, stagnation de l’eau…). Ces lacunes ont motivé de lourdes réserves – parmi d’autres – de la part des Commissions Locales de l’Eau (Hers-Mort Girou et Agout) ; or aucune réponse du maître d’ouvrage ne figure dans le rapport de la commission d’enquête à ce sujet.  

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Mais les anomalies entachant la procédure de délivrance de l’autorisation environnementale ne s’arrêtent pas là, loin s’en faut ! Le caractère favorable – assorti de deux réserves – de la commission d’enquête relève d’un véritable tour de passe passe !

Conformément au code de l’environnement, la destruction, l’altération ou la dégradation d’habitats naturels protégés ou d’habitats d’espèces protégées sont interdits sauf dans des cas (très) limitativement énumérés. Concernant un projet d’autoroute, seule une « Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur » (RIIPM) peut justifier l’atteinte aux habitats ou espèces protégées. Pour le Conseil National de la Protection de la Nature, consulté en phase d’examen du projet, les arguments avancés pour justifier une Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur étaient insuffisants ; mais la commission d’enquête elle-même déclare « comprendre les interrogations des opposants sur le choix du projet autoroutier dont elle partage nombre d’arguments » (p132 du rapport). Parmi les nombreuses critiques qu’elle reprend à son compte, elle note que les bienfaits économiques potentiels sur le bassin de vie Castres-Mazamet ne sont nullement démontrés, relevant que les diverses études menées a posteriori sur les effets des autoroutes concluent à des résultats mitigés.  

Toutefois, afin d’éviter de rendre un avis défavorable, les commissaires-enquêteurs ont choisi d’interroger la préfecture du Tarn qui a estimé que « la DUP étant acquise (…) on n’en est plus à savoir si on fait une autoroute mais comment on la fait ». Le raisonnement n’est bien sûr pas recevable : s’il faut une bonne raison pour exproprier, il faut une excellente raison pour détruire des espèces et habitats protégés.  

Qui plus est, en se rangeant derrière l’avis du Préfet du Tarn pour définir l’objet de leur enquête, les commissaires-enquêteurs ont enfreint le code d’éthique et de déontologie de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs. Celui-ci précise en effet que ces derniers doivent « conduire l’enquête en toute liberté et indépendance d’esprit », « se tenir [informés] des textes législatifs et réglementaires [qu’ils sont chargés] d’appliquer pour l’exécution de [leurs] missions (…) notamment dans les domaines de l’environnement et du développement durable » pour disposer « d’une compétence minimale certaine afin de pouvoir prendre position en connaissance de cause ».  

Pour une cohérence des politiques publiques  

L’entêtement des responsables politiques à poursuivre les travaux de cette autoroute sans attendre le jugement du recours pour excès de pouvoir visant l’autorisation environnementale s’inscrit en parfaite incohérence avec diverses initiatives publiques ou objectifs en lien avec le climat, la biodiversité et la préservation des terres agricoles.

On pense bien sûr à la trajectoire « zéro artificialisation nette » à horizon 2050 (impliquant de diminuer déjà de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers sur la période 2021-2031 par rapport à 2011-2021), à la Stratégie Nationale Bas Carbone, mais aussi au fait que les territoires sont invités depuis quelques années à définir des stratégies d’adaptation au réchauffement climatique, notamment via l’outil « TACCT » (trajectoires d’adaptation au changement climatique des territoires) défini par le ministère de l’écologie en 2019.

Récemment l’ADEME Occitanie et les deux Agences de l’Eau de la région (Adour Garonne et Rhône-Méditerranée-Corse) ont lancé auprès des collectivités locales un appel à manifestation d’intérêt pour l’outil « TAACT » en insistant sur le fait que la région Occitanie est particulièrement vulnérable au réchauffement climatique.

Plus largement, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne multiplie les publications et les interventions où elle alerte sur les effets du réchauffement climatique et informe sur les actions à engager pour en minimiser l’impact. Parmi elles, la préservation des zones humides, qualifiées « d’infrastructures naturelles » est un levier incontournable.

Comment l’État peut-il encore tolérer que ces « infrastructures naturelles » essentielles à l’adaptation au réchauffement climatique soient sacrifiées sans compensation sérieuse pour une infrastructure routière dont l’intérêt n’est pas démontré ?  

La grande légèreté avec laquelle a été délivrée l’autorisation environnementale, l’inadéquation de ce projet au regard des défis de demain – et d’aujourd’hui – ainsi que le caractère irréversible de ces travaux justifient pleinement la suspension des travaux de la liaison autoroutière Toulouse-Castres jusqu’à l’épuisement des recours. Une réunion a été organisée par le ministre des transports avec Carole Delga, des élus du territoire, La Voie est Libre et le Groupe National de Surveillances des Arbres. Une autre doit se tenir en sous-préfecture de Castres. Nous espérons que ces échanges aboutiront à ce que cesse une telle inconséquence.  

– Les Amis de la Terre

Premiers co-signataires de la tribune auxquels se joint le média Mr Mondialisation :

 France Nature Environnement Occitanie Pyrénées
 Union Protection Nature et Environnement du Tarn
 Lisle Environnement
 Le Collectif Testet
 Agir pour l’environnement
 Les coquelicots du Vaurais
 Association Village Action Durable
 Collectif La Voie Est Libre
 Attac Tarn
 Nature en Occitanie
 Les Amis de la Terre France
 Groupe Local de Greenpeace Toulouse

Image d’entête @LaVoieEstLibre

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