Ahmad Suleiman a fui la Syrie avec sa mère après avoir vu mourir son père sous ses yeux. Comme des milliers d’autres enfants, il est aujourd’hui obligé de travailler en Turquie, dans la plus grande illégalité, à raison de douze heures par jour, afin de subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille. Germinal, part 2, aux portes de l’Europe des Droits de l’Homme.
Aujourd’hui, près de 3 millions de réfugiés syriens sont bloqués en Turquie. Seule une minorité, environ 10 %, ont pu être admis dans un camp. Les autres sont forcés de survivre entièrement par leurs propres moyens, sans papier ni droit. De la même manière, très peu de réfugiés ont obtenu une autorisation de travailler. Les autres, se retrouvent à la merci de leurs « employeurs » sans scrupules qui peuvent les payer en dessous du tarif légal et sans prendre en compte les lois en vigueur dans le pays. Dans cette population sans identité reconnue officiellement, de nombreux enfants cherchent des moyens désespérés de survivre.
De nombreux enfants se voient ainsi forcés à travailler dans des usine de textile turques. Comme le révèlent les images prises par CBS evening news, le cas du jeune Ahmad (en photographie) est autant symbolique qu’il n’est pas un cas isolé. Au contraire, dans certaines entreprises, la main d’œuvre infantile représenterait une part importante de l’effectif. Interrogé par The Guardian sur le jeune âge des enfants, le directeur d’une entreprise turque dans le vêtement a répondu que la responsabilité revenait à l’État turc qui échouait dans son obligation de fournir aux réfugiés le minimum nécessaire pour vivre. C’est donc le refus de considérer les réfugiés comme des individus à part entière, dotés de droits, qui permet leur exploitation par des détenteurs de capitaux qui se frottent les mains.
Photographie : Eren Aytug / NarPhotos / Redux
La jeunesse de ces enfants se voit ainsi sacrifiée sur l’autel du profit aux portes de l’Europe. Privés de liberté, d’école et d’une éducation élémentaire, meurtris par la violence et la guerre, détestés d’une part de la population, les voilà contraints à se vendre pour fabriquer des t-shirts pour des occidentaux ou, summum de l’horreur, des uniformes pour les membres de Daech, comme le rapporte le journal anglais Dailymail. D’autres secteurs économiques profitent également de cette main d’œuvre malléable et pratiquement gratuite. Pour la majorité d’entre eux, des proches sont morts dans le conflit et leurs chances sont minces de pouvoir rentrer chez eux, tant les destructions sont importantes en Syrie.
Pas d’améliorations en vue
Jour après jour, des syriens continuent à fuir un pays ravagé par les bombes et la violence. Pris en otage par un conflit dans lequel sont impliquées plus de 70 nations, ils fuient les bombes, les groupes armés et l’enrôlement de force. Comme l’attestent les images suivantes prise par un drone russe, certaines villes comme Homs ne sont plus qu’un champ de ruines. Plus que jamais, la situation s’est enlisée et les acteurs économiques abusent de la situation. En raison de la politique européenne, qui consiste froidement à bloquer les frontières, de nombreux réfugiés sont aujourd’hui coincés aux portes de l’Europe. De la même manière, les migrants qui se retrouvent en Turquie n’ont que très peu de chance de pouvoir quitter le pays ou d’obtenir un statut qui leur offrirait des droits élémentaires.
Photographie : UNICEF/TheGuardian
Notons qu’en Mars dernier, l’Union européenne signait un accord exceptionnel avec la Turquie. Un « plan global pour réduire la migration vers l’Europe » consistant à bloquer les migrants dans leur périple. En échange de contrôles accrus aux frontières de la Turquie, des aides sont allouées par l’Europe afin de soutenir le pays dans la « gestion des réfugiés » (incluant la construction de camps). Par ailleurs, les négociations d’adhésion du pays à l’UE seront relancées malgré les importantes polémiques qui entourent le gouvernement Erdoğan – massacres des Kurdes en Turquie, bombardements des Kurdes en Irak et en Syrie et soutien à Daech via la frontière syrienne. Comme le souligne Amnesty international, l’Europe a ainsi externalisé ses responsabilités au lieu de les partager et d’assumer pleinement sa responsabilité dans cette guerre.
Amnesty international rappelle également, dans un rapport daté du 3 juin 2016, que les droits élémentaires des réfugiés ne sont pas respectés en Turquie. En raison du nombre trop important de réfugiés, dit-on officiellement, et en dépit des aides colossales de l’Europe, l’administration ne peux pas traiter les demandes d’asile dans des délais raisonnables. Pour ces raisons, « des centaines de milliers de personnes réfugiées et en quête d’asile restent pendant des années sans statut juridique » offrant la voie à tous les abus. Selon ce même rapport, la Turquie renvoie sans ménagement des réfugiés dans des pays où « ils risquent de subir des graves violations des droits humains », au mépris du droit international. Il ne fait décidément pas bon être né sous le soleil syrien, en ce début de siècle.
Sources : amnesty.ch / nytimes.com / the guardian.com