Dégradation des sols et artificialisation à outrance, concentration des terres et disparition des paysans,… Autant de maux qui rongent littéralement les terres agricoles françaises, d’après le premier rapport de l’association Terre de Liens. Publiée à l’occasion de la 58ème édition du Salon International de l’Agriculture, cette étude sur l’état des terres agricoles en France tire la sonnette d’alarme : dans moins de dix ans, un quart des agriculteurs français auront pris leur retraite et plus de cinq millions d’hectares, soit près de 20 % de la surface agricole française, vont changer de main. Pour que cette bascule historique profite à la transition environnementale et sociale du secteur agricole, Terre de Liens appelle à un véritable engagement politique : pour préserver l’usage alimentaire des terres, favoriser les pratiques vertueuses et aider à l’installation d’une nouvelle génération de paysans. Décryptage d’un secteur sous haute tension.
Depuis près de 20 ans, Terre de Liens s’engage pour enrayer la disparition des terres agricoles et faciliter l’accès au foncier pour de nouvelles installations paysannes. Grâce à un réseau d’accompagnement des jeunes paysans, une entreprise d’investissement solidaire ouverte aux citoyens et une fondation reconnue d’utilité publique, l’association achète des terres agricoles en perdition en vue d’y installer une nouvelle génération d’agriculteurs et d’y garantir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
Inversons la tendance
A l’occasion de la 58e édition du Salon de l’Agriculture qui s’est tenue à Paris du 26 février au 6 mars dernier, l’association a publié son tout premier « rapport sur l’état des terres agricoles françaises ».
Et le constat qu’elle y dresse est sans appel : des millions d’hectares agricoles s’apprêtent à changer de main d’ici à 2030. Pour le meilleur, comme pour le pire…
En effet, si cette bascule historique du secteur agricole peut constituer un levier puissant de réorientation de notre modèle agroalimentaire, elle peut également s’avérer dramatique en accélérant les dynamiques de dégradation des sols et de disparition des terres cultivables, et avec elles le projet d’une agriculture diversifiée, résiliente et autonome.
Sous le béton, la terre…
Premier motif d’inquiétude pour Terre de Liens : l’artificialisation galopante des terres agricoles française.
Entre 1982 et 2018, les espaces artificialisés ont ainsi augmenté de 72% en France métropolitaine, passant de 2,9 à 5 millions d’hectares selon les données du ministère de l’Agriculture. Si les rythmes évoluent quelques peu en fonction des périodes analysées, la dynamique reste constante : 57 600 ha supplémentaires ont été artificialisés chaque année en moyenne, soit une surface équivalente à plus de cinq fois la ville de Paris.
En outre, deux-tiers de ces surfaces forestières ou agricoles spoliées de leur état naturel sont imperméabilisées. Alors principalement revêtus ou stabilisés, destinés aux routes, trottoirs, parkings, habitations ou aéroports, ces sols se coupent définitivement de leurs fonctions écosystémiques naturelles et nécessaires à la vie terrestre telle que nous la connaissons, comme la production de biomasse, la régulation de la qualité de l’eau ou du climat.
Un modèle fondamentalement capitalistique
En cause principalement : l’appât du gain.
« Considéré sous le seul prisme de la rentabilité, un espace construit est un espace qui produit plus de valeur ajoutée par unité de surface. D’un côté, les loyers cumulés empochés par le propriétaire d’un logement loué, même au tarif social, sont toujours plus profitables que la production agricole des terres les plus fertiles sur la même surface », décryptent les auteurs du rapport.
L’habitat individuel a ainsi conquis au final plus de la moitié des surfaces artificialisées entre 2006 et 2014. De quoi rendre l’étalement de la population, bien plus que la croissance démographique, un des plus importants facteurs de pression sur les sols demeurant encore à l’état naturel.
A cela s’ajoute également la dégradation des terres qui se voient chaque jour victimes de nos activités polluantes ou déstabilisatrices, entrainant des modifications durables de leur composition chimique et physique avec la survenance de phénomènes tels que l’acidification ou l’érosion des sols.
Où sont passés les paysans ?
Mais au delà de la disparition des terres agricoles, un autre effondrement se profile… La France compte aujourd’hui 38 9000 fermes selon le dernier recensement agricole de 2020, soit environ 100 000 de moins qu’en 2010, ce qui représente une baisse de 20% en dix ans. Dans le même temps, la taille moyenne des fermes a augmenté de 25% pour atteindre 69 ha de surface, soit le double d’il y a 30 ans.
Cette modification du paysage agricole s’explique par deux phénomènes : la concentration des terres agricoles et le manque d’accès à la profession de paysan.
« C’est le fruit des politiques agricoles françaises et européennes qui ont, dès les années 1960, organisé cette concentration permettant l’essor de l’agriculture dont nous héritons aujourd’hui, tournée sur la commercialisation d‘une production agricole de masse. Si les effets destructeurs de ce modèle d’agriculture sont largement documentés, la concentration des terres se poursuit, poussée par une logique qui s’auto-alimente jusqu’à l’emballement », explique Terre de Liens, qui met en cause des coûts d’installation beaucoup trop élevés des terres agricoles pour les jeunes agriculteurs, avec un prix moyen de 6080€ par hectare en 2020.
Résultat : les fermes françaises sont de moins en moins nombreuses, mais de plus en plus grandes, et donc quasiment intransmissibles à une nouvelle génération de paysans.
Pourtant, dans 10 ans, plus d’un quart des chef d’exploitation seront partis à la retraite. A défaut de trouver des repreneurs, ceux-ci se retournent déjà vers leurs pairs, désireux d’agrandir encore leurs unités de production ou vers de nouveaux investisseurs, parfois loin du secteur agricole (production de biomasse pour les énergies renouvelables, emplacements pour panneaux solaires, exploitation de matières premières, etc.). Et c’est l’emballement…
S’engager politiquement pour les terres agricoles
Pour freiner ces tendances dévastatrices, l’association Terre de Liens sollicite un engagement politique sans précédent sur la question :
« Nous appelons l’ensemble des élus et décideurs politiques à prendre conscience de l’état des terres agricoles et à s’engager dans une réforme substantielle de nos politiques agricoles et foncières ».
Avec l’adoption d’une « grande loi foncière », l’organisation espère ainsi créer un cadre réglementaire appelé à préserver les sols et leur usage de production alimentaire, tout en facilitant l’accès aux terres aux personnes porteuses de projets et en favorisant des pratiques agricoles vertueuses.
Bien entendu, une réforme substantielle de la politique agricole commune européenne (PAC) au service de l’agroécologie et de l’emploi agricole est indispensable à la transition de ce secteur. L’association souligne également que « la démocratie foncière, c’est-à-dire le renforcement du pouvoir citoyen sur les choix concernant l’avenir des terres agricoles, en est une condition sine qua non » [ndlr : à l’émergence d’un nouveau modèle]. Car, comme aime à le rappeler Terre de Liens, ce que nous faisons des terres agricoles aujourd’hui préfigure ce que nous mangerons demain.
L.A.
Pour lire l’intégralité du rapport : https://ressources.terredeliens.org/les-ressources/etat-des-terres-agricoles-en-france
Rejoindre Terre de Liens : https://terredeliens.org/
Photo de couverture @pexels-rodolfo-clix