Présenté comme l’avenir de la mobilité, le véhicule autonome est souvent perçu comme étant porteur de promesses en termes de sécurité, de services et d’écologie. Mais à l’heure où les high techs gourmandes en ressources montrent de plus en plus leurs limites, de nombreuses interrogations subsistent. Pour évaluer les impacts réels du véhicule autonome, la Fabrique Ecologique publie un rapport exhaustif sur le sujet. De la voiture individuelle aux flottes de robots-taxi, plusieurs scénarios pour l’avenir sont très sérieusement envisagés par le think-tank, qui alerte sur les conséquences écologiques potentiellement désastreuses du déploiement des véhicules autonomes.

Dans un contexte de raréfaction des ressources pétrolières, la voiture électrique a le vent en poupe. La plupart des constructeurs proposent désormais ce type de modèle, avec toujours plus d’assistance à la conduite. L’objectif à terme : se passer de conducteur. Avec des centaines de milliards d’euros investis et des Etats qui se lancent à leur tour dans la course, le véhicule autonome voulu électrique ne relève aujourd’hui plus du mythe, si ce n’est celui de la « croissance verte » et de la technologie salvatrice.

Une innovation qui définira l’avenir de la mobilité

Apparu d’abord en réponse au taux élevé de mortalité sur les routes puis comme un moyen de libérer le temps des déplacements et d’alléger les frais des assurances, le véhicule autonome constitue à n’en pas douter une innovation majeure, qui pourrait définir l’avenir de la mobilité. Il est aussi souvent présenté comme une solution écologique, dans sa version électrique, mais le Forum Vies Mobiles a voulu évaluer de manière plus précise sa contribution aux changements qui s’imposent pour un monde plus durable. Cet institut de recherche sur la mobilité, soutenu par la SNCF, a donc fait appel à la Fabrique Écologique.

Face à l’engorgement des villes et à la nécessaire réduction des émissions, les véhicules autonomes apparaissent parfois comme une alternative. Denny Aulia on Unsplash

Se présentant comme un Think et Do-Tank, cet organisme s’est donné pour objectif de promouvoir l’écologie et le développement durable sur la base de propositions pragmatiques et concrètes. C’est ainsi qu’il publie diverses notes et études considérées comme des références sur les sujets traités. Son rapport dernièrement publié sur le véhicule autonome ne fait pas exception à la règle. Plusieurs informations capitales en ressortent, et l’esquisse des différents scénarios qui s’annoncent devrait permettre une réflexion essentielle sur l’évolution de cette technologie.

Des coûts qui seront portés par la collectivité

Les experts de la Fabrique Ecologique commence par définir les différents types de véhicule autonome sur route (ils ne s’intéressent pas aux transports de marchandise), qui peuvent être individuels ou partagés. S’il n’est pas forcément lié à un certain type d’énergie, il a été pensé dès l’origine comme un véhicule électrique, et son développement suit une logique d’adaptation des voitures classiques. D’autres éléments sont à prendre en compte pour évaluer l’impact du véhicule autonome, comme les multiples équipements (caméras, radars, logiciels…) dont ils ont besoin ainsi que l’infrastructure nécessaire à leur fonctionnement, qui impliquera d’après le think-tank un déploiement massif de la 5G. Ce qui explique en partie les importants investissements actuels en la matière tant les enjeux économiques sont importants.

Ces exigences technologiques nécessitent donc des dépenses considérables. S’il est difficile de les chiffrer, une étude du cabinet The Brooklyn Institution estime que 80 milliards de dollars ont été investis pour le véhicule autonome rien qu’entre 2015 et 2017, essentiellement en recherche et développement. Ces coûts colossaux, qui reposent pour le moment en grande partie sur le secteur privé, vont peu à peu devoir être supportés par les États et les collectivités, à mesure que les infrastructures nécessaires à la circulation se développeront (équipement numérique, aménagement de voies séparées, panneaux de signalisations, etc.). À l’inverse, le développement du véhicule autonome permettra de réduire certains coûts pour les opérateurs de transport, au prix de la suppression et de la délocalisation des emplois des conducteurs, ainsi qu’en matière d’assurance.

Une compétition économique mondiale

Mais si les investissements sont si élevés, c’est avant tout parce que les retombées économiques sont encore plus importantes. Le renouvellement du parc automobile promet en effet l’espoir d’une nouvelle croissance et des profits considérables pour les acteurs de cette industrie. Les constructeurs et les équipementiers y voient l’occasion de vendre des véhicules équipés de toujours plus de fonctionnalités, tandis que les grandes entreprises du numérique (Google, Uber, etc.) visent l’autonomie totale. Cela leur permettrait d’assurer leur contrôle sur la valeur ajoutée liée à la production et à la circulation des données, autre eldorado du numérique.

Les voitures autonomes nécessitent toute une série d’équipements et infrastructures sur le véhicule et sur la route. Steve Jurvetson — originally posted to Flickr as Hands-free Driving, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=8271620

Ces différents acteurs se sont lancés dans une compétition mondiale, récemment rejointe par les États. Si cette course au développement du véhicule autonome est aujourd’hui dominée par les États-Unis et la Chine, l’Europe s’emploie à renforcer sa présence sur ces marchés. La France ambitionne ainsi de devenir le pays à la pointe de l’accueil des véhicules autonomes, suivant une stratégie qui vise d’abord à préserver son industrie automobile, deuxième employeur du pays.

Trois scénarios possibles pour l’avenir

Les experts de la Fabrique Ecologique envisagent trois scénarios pour le développement du véhicule autonome. Le premier, porté par les constructeurs automobiles, correspond à une mobilité individuelle avec des voitures à usage privé. Cette première perspective est celle qui promet l’impact environnemental le plus désastreux, lié au développement en masse de véhicules high-tech. Elle risque par ailleurs de s’accompagner d’un accroissement de l’étalement urbain mais aussi des inégalités sociales, puisque les véhicules privés ne seront accessibles qu’à la frange la plus aisée de la population.

Le deuxième scénario est celui d’une mobilité à la demande s’appuyant sur des flottes de robots-taxis, et porté par les acteurs du numérique. Cette configuration pourrait également accroître les inégalités sociales et territoriales, ainsi que la congestion routière s’il ne fait que s’ajouter au trafic routier actuel sans le remplacer. Au niveau de l’empreinte énergétique, si ces différents effets-rebonds pourraient faire au mieux diminuer de moitié la consommation d’énergie, celle-ci pourrait également être amenée à tripler. Des projections auxquelles il faut ajouter l’impact considérable de la circulation d’énormes quantités de données entre les véhicules, et des émissions liées aux objets et infrastructures nécessaires.

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L’idéal du véhicule individuel en décalage avec l’urgence climatique

Le dernier scénario envisagé par la Fabrique Ecologique correspond à une mobilité collective avec des navettes autonomes pour le transport collectif des voyageurs. Portée par les acteurs publics, cette configuration pourrait permettre des usages vertueux du véhicule autonome, mais son déploiement risque aussi de préparer le terrain pour un développement massif des usages les plus problématiques, tant en termes d’environnement que d’inégalités sociales. Comme le note le rapport, « restreindre le développement du véhicule autonome à sa zone de pertinence nécessiterait une régulation très forte de la puissance publique qui pour le moment, délaisse les usages les plus vertueux. »

Des prototypes de véhicules autonomes collectifs sont testées dans certaines villes européennes, comme ici à Bruxelles. © Stib

Les experts déconstruisent également l’idée selon laquelle le déploiement du véhicule autonome constituerait une réponse à l’urgence climatique. Si les acteurs de l’industrie, Elon Musk en tête, n’hésite pas à brandir des échéances très proches pour la circulation de ces véhicules en toutes circonstances (pluie, brouillard, nuit, présence de piétons et cyclistes…), les normes internationales adoptées par 58 des pays de l’ONU, dont la France, imposent aux véhicules autonomes des conditions de circulation très éloignées de ce discours. Ni les chercheurs ni les pouvoirs publics n’envisagent ainsi un déploiement massif de véhicules complètement autonomes avant 2050. Comme le conclut le rapport, « le véhicule autonome ne peut donc clairement pas contribuer valablement à la course contre le changement climatique dans laquelle sont engagés les pays d’ici 2030 et 2050 ».

Une contribution marginale voire négative

Alors que le développement du véhicule autonome exige des investissements considérables tant privés que publics, ce rapport démontre ainsi que sa contribution à la décarbonation de la mobilité ne peut être au mieux que marginale. Pire, sa diffusion risque à l’inverse d’augmenter fortement les émissions de CO2 liées au transport. D’après les experts de la Fabrique Ecologique, « cette situation est symptomatique d’une forme de schizophrénie des pouvoirs publics qui articulent difficilement enjeux économiques, sociaux et écologiques. Pourtant, une approche transversale permettrait une appréhension globale des enjeux liés à la mobilité et pourrait ouvrir la voie à de nouveaux leviers moins coûteux et plus efficaces, réalistes et inclusifs. »

En conclusion, au-delà de l’horizon du véhicule autonome, la seule perspective réellement écologique consisterait inciter les pouvoirs publics à concevoir un système de mobilité combinant transports collectifs ferrés et routiers, voitures légères et low-tech, en plus de repenser l’aménagement du territoire pour limiter les déplacements carbonés inutiles. Malheureusement, les ambitions actuelles ne semblent pas aller dans le sens d’une modération volontaire.


Source : Le véhicule autonome : quel rôle dans la transition écologique des mobilités? Une recherche menée par LA FABRIQUE ECOLOGIQUE sur commande du FORUM VIES MOBILES

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