Après Venise en 2021, c’est au tour d’Amsterdam d’interdire les bateaux de croisière dans son port afin de réguler le flot de touristes dans son centre. D’autres villes comme Gand ou Barcelone envisagent également d’interdire les escales de navires de croisière qui deviennent incontrôlables pour les habitants de ces villes subissant le tourisme de masse.
En plus d’engorger les centres-villes, les navires de croisière ont des conséquences désastreuses sur la pollution des ports où ils passent et s’arrêtent. Cela n’empêche malheureusement pas l’industrie des croisières de continuer à se développer dans la démesure la plus totale.
Des flux de touristes devenus ingérables
En juillet, le conseil communal de la ville d’Amsterdam a décidé d’adopter une motion interdisant les navires de croisière dans son centre-ville. En cause : l’afflux de milliers de touristes qui inondent la ville pour quelques heures et se concentrent généralement aux mêmes endroits, engorgeant le centre et rendant impossible la vie aux habitants des lieux.
Le temps moyen des escales de ces grosses croisières est de 8 heures mais tourne plus autour de 4 heures dans une ville comme Amsterdam, et les consommations dans les établissement locaux ne sont que très limitées puisque ces voyageurs bénéficient de tout ce qu’ils veulent à bord de leur bateau et n’ont généralement pas non plus le temps pour des activités culturelles. Ainsi, en plus de congestionner les centres villes l’espace de quelques heures, la venue des croisiéristes ne serait même pas bénéfique pour les économies locales. Pour le maire d’Amsterdam : « De nombreux croisiéristes sont lâchés en ville le temps de seulement quelques heures. Ils vont souvent manger dans les grandes chaînes internationales de restauration. Ce qui n’apporte pas grand-chose à la classe moyenne d’Amsterdam, ils ont par exemple peu de temps pour visiter les musées ».
Cette décision d’Amsterdam fait partie d’une volonté plus large de freiner le tourisme de masse dans la ville néerlandaise qui, victime de son succès, attire près de 20 millions de visiteurs par an.
Des dégâts environnementaux conséquents
Outre l’afflux de touristes, c’est aussi afin de remédier à la pollution qu’engendrent ces mastodontes que certaines villes européennes ont décidé de les bannir de leurs villes. C’est le cas notamment de Venise qui a dû interdire les bateaux de croisière dans son centre historique en 2021 suite à une mobilisation citoyenne massive et aux recommandations de l’UNESCO qui souhaite classer la ville comme patrimoine mondial en péril. La Cité des Doges paie les conséquences d’années de surtourisme et de passages de paquebots ayant drastiquement abîmé la lagune et érodé les fondations de la ville. D’autres villes, comme Santorin en Grèce ou Dubrovnik en Croatie, ont quant à elles imposé des limitations du nombre de venues quotidiennes de visiteurs par bateau.
Selon le rapport de l’ONG Transport & Environnement (T&E), en 2022, un total de 214 navires de croisière ont émis à eux-seuls 509 tonnes de souffre, plus de 19 tonnes d’oxyde d’azote (NOx), et 448 tonnes de particules fines appelées PM2.5 dans les ports européens, soit une augmentation de 9% d’émissions de soufre, 18% de NOx, et 25% de particules PM2.5 par rapport aux émissions de 2019. Ces particules étant toutes extrêmement nocives pour le climat et la pollution atmosphérique. Les émissions de CO2 ne font pas exception à la règle: entre 2019 et 2022, une augmentation de 17% a été observée en atteignant un total d’émissions de CO2 équivalent, à titre de comparaison, à celui de 50.000 vols entre Paris et New-York.
La première compagnie de croisières en Europe, MSC Croisières, est pointée du doigt avec ses 19 navires qui ont émis presque autant de souffre que la totalité des voitures circulant en Europe la même année. En 2022, c’est le port de Barcelone qui s’est retrouvé en tête des ports les plus pollués d’Europe. Le port de Venise est quant à lui passé de port le plus pollué d’Europe en 2019 à la 41ème place de ce classement en 2022, les émissions en souffre ayant baissé de 80% depuis, démontrant bien l’efficacité de l’interdiction des bateaux de croisière dans la diminution de la pollution de l’air.
T&E alarme aussi sur l’utilisation accrue de gaz naturel liquéfié (GNL) par ces navires considéré comme des « alternatives » aux énergies fossiles habituelles. Or ce GNL n’en est pas moins nocif pour l’environnement. Au contraire, si les bateaux fonctionnant au GNL émettent moins de pollution de l’air, ils causent d’avantage de dommages à l’environnement à cause du méthane rejeté par leurs moteurs. Ce changement d’énergie, en plus d’être plus avantageux financièrement, permet aux compagnies de croisière de diminuer leurs émissions de CO2 ainsi que de soufre et PM2.5 et de promouvoir cette évolution à coups de greenwashing, mais le méthane est un gaz à effet de serre encore plus nocif que le CO2 et aggrave donc davantage le dérèglement climatique.
Fanny Pointet, membre de T&E France, précise : « Passer du pétrole au gaz, c’est comme décider d’arrêter de fumer pour se mettre à boire. Cela peut aider les navires de croisière à réduire la pollution atmosphérique, mais c’est terrible du point de vue du climat. Les compagnies de croisière doivent arrêter d’investir dans le GNL et donner la priorité aux technologies à zéro émission, telles que les piles à hydrogène, les batteries, l’installation de voiles et les carburants de synthèse. En parallèle, les pouvoirs publics doivent aider à développer plus rapidement les branchements des navires à quai, afin que ces derniers coupent leurs moteurs lorsqu’ils sont dans les ports ». Ce techno-solutionnisme n’est malheureusement qu’une chimère, il serait plutôt nécessaire de réguler drastiquement l’industrie du tourisme.
Risques sanitaires et ras-le-bol de la population
Les risques pour la santé de cette pollution ne sont pas à négliger, au contraire. Les émissions de soufre, par exemple, peuvent causer des maladies cardiovasculaires et respiratoires, et mener à des morts prématurées, tout comme le NOx qui pénètre les voies respiratoires. La faune et la flore sont également affectées par les émissions de souffre et NOx qui contribuent à l’acidification des pluies ce qui nuit fortement à l’équilibre des écosystèmes.
Parmi les habitants des villes lassés de subir ce surtourisme et de respirer ces gaz d’échappement, la colère monte. À Marseille, le collectif Stop Croisières plaide activement pour stopper l’activité de ces navires dans le port de Marseille et ailleurs : « Au niveau environnemental comme au niveau humain, rien ne justifie le maintien de ces villes flottantes absurdes, énergivores et toxiques. Nous, collectifs et habitant·es de la région marseillaise et d’ailleurs, rassemblé·es sous STOP CROISIÈRES avons décidé d’en finir avec cette industrie désastreuse pour notre santé et les écosystèmes. Notre air, nos mers et notre santé ne sont pas à négocier. »
Folie des grandeurs et bénéfices XXL de l’industrie des croisières
Malgré les réticences de grandes villes à accueillir ces flots de touristes et les conséquences environnementales néfastes qui y sont liées, l’industrie des croisières a encore de beaux jours devant elle… Après un arrêt forcé pendant la pandémie de Covid, les réservations ont repris de plus belle et ce sont plus de 40 millions de voyageurs qui sont attendus à bord de bateaux de croisières d’ici cinq ans, à savoir 10 millions de plus qu’avant la pandémie.
Le plus grand bateau de croisière jamais construit, le « Icon of the Seas », devrait d’ailleurs commencer à naviguer dès janvier 2024 dans les Caraïbes. Ce colosse est symptomatique de la démesure occidentale et contemporaine : 365 mètres de longueur, 250 000 tonnes (soit 5 fois le poids du Titanic) et pas moins de 20 étages, 40 restaurants, sept piscines pour accueillir près de 7000 passagers à bord. Ironie de la situation, alors que la pollution émise par les navires de croisières et le nombre de bateaux en circulation a augmenté par rapport à 2019, le nombre de passagers par paquebot a, lui, diminué : plus de pollution pour transporter moins de gens en 2022.
Cerise sur le gâteau : les compagnies de croisière de luxe sont pour la grande majorité enregistrées dans des paradis fiscaux à coups de structures d’entreprise complexes. En 2016, des journalistes d’Univisión Noticias révélaient après 6 mois d’enquête que parmi les navires des 3 plus grandes compagnies de croisière (Carnival Corporation, Royal Carribean International et Norwegian Cruise Line qui représentent 82 % du marché mondial des croisières), ayant pourtant leurs sièges aux Etats-Unis, 70% étaient enregistrés aux Bahamas, au Panama, aux Bermudes ou à Malte.
Ces montages permettent aux compagnies d’échapper non seulement à une taxation importante mais aussi de ne pas être soumis à la législation américaine sur le travail, aux contrôles environnementaux plus stricts et même aux contrôles de sécurité. Résultat des courses : paiement d’impôts à des taux dérisoires et bénéfices optimaux pour les compagnies maritimes, failles de sécurité des bateaux et employés juridiquement peu protégés.
Une industrie déconnectée de la réalité actuelle
Alors que l’urgence climatique pousse à se tourner vers du tourisme responsable et restriction de voyages, l’industrie des croisières a sa réalité bien à elle : de plus en plus de navires en circulation, toujours plus grands et luxueux, pour moins de passagers et, bien sûr, une augmentation de la pollution engendrée d’année en année.
L’interdiction des certaines villes à l’accès à leur port et le ras-le-bol des habitants de ces destinations ravagées par le tourisme de masse démontrent bien la désuétude de cette façon de voyager : des villes navigant sur les flots dont les passagers ne visitent les destinations par lesquelles ils passent l’espace de quelques heures à peine, le temps d’engorger les centres historiques et de polluer les ports.
– Delphine de H.
Photo de couverture : Port d’Ancône en Italie. Wikimedia
Sources :
« The Return of the Cruise », Transport & Environment, Juin 2023.
« Tourisme de croisière, une sobriété difficile à envisager », WeDemain.
« L’érosion, la pollution et le sur-tourisme poussent les villes à interdire les bateaux de croisière », Rosie Frost, Euronews, 21/04/2023.
« Enquête. Croisières : la face sombre d’une industrie de rêve », Courrier international, 21/07/2016.