Utopie à la Belge. À contre-sens des décisions politiques du gouvernement belge en matière de réfugiés et d’intégration, les associations battent le pavé régulièrement, mais pas que. Des centaines de bénévoles s’organisent chaque jour pour apporter une aide matérielle, morale ou financière aux réfugiés et aux personnes sans-papiers, sur le terrain. Un petit groupe de personnes a même décidé sur un coup de tête de lancer une boisson militante pour récolter des fonds. Et en Belgique, quoi de mieux qu’une bière pour rassembler à la fois les esprits et les financements ?
Autour d’une bière, je rencontre François, qui me parle de son projet baptisé 100 PAP. « Le nom 100 PAP, ça vient de « sans-papiers en fait ». » Je prends la bouteille entre mes mains, et j’ai sous les yeux une étiquette à l’allure de carte d’identité. Date de naissance, provenance, et nom : “100 PAP”. Sous l’égide de Bruxelles Initiatives dont il est administrateur délégué, et avec une petite équipe de membres hyperactifs, François Halleux est à l’initiative de la bière solidaire. « Ca faisait 2 ans que j’ouvrais des occupations temporaires pour les sans-papiers. Et à un moment il a fallu trouver un moyen de financer ces occupations de bâtiment. On allait en réunion pour discuter de ça, trouver un moyen de gagner de l’argent, et là quelqu’un a dit ‘ j’ai oublié les bières.’ On s’est tous regardé, ça s’est fait en dix secondes. Ensuite bien sûr, il y a eu la réflexion : comment est-ce qu’on fait une bière etc. Mais surtout on s’est rendu compte que si c’était aussi limpide, c’est que c’était clair pour tout le monde. » De là, en 2017, en un temps record, la bière 100 PAP voit le jour, avec pour but d’injecter tous les bénéfices des ventes dans le fonctionnement des occupations temporaires.
L'étiquette de la 100 Pap: carte d'identité de la bière et du projet qu'elle soutient @cncd111111 @BXLRefugees @JBCVAntoine #100pap #beer #beernews #bxl @MaltAttacks pic.twitter.com/AhCZGRwpLk
— Julien RENSONNET (@JulienRENSONNET) January 11, 2018
À Bruxelles, cinq collectifs de bénévoles travaillent chaque jour pour loger des personnes sans-papiers dans des bâtiments inoccupés. Ils s’appellent La voix des Sans-Papiers, le Bateau, ou encore Ebola, et abritent 460 personnes. Si l’idée d’occuper un bâtiment abandonné paraît simple, au quotidien, c’est un exploit. Il faut y organiser la vie à l’intérieur, et mener des négociations parfois difficiles avec les propriétaires (le plus souvent de grosses sociétés d’investissement), maintenir l’espace sécurisé et un minimum confortable. Dans la capitale belge, le système d’occupation temporaire se développe petit à petit entre associations, propriétaires, et communes pour offrir des nouveaux lieux de vie communautaire, ou à utilité sociale. Signée au départ pour deux ans, l’occupation engendre des frais de fonctionnement, sans lesquels les conditions peuvent vite devenir invivables. À ce problème de financement des espaces, une solution s’est imposée : fabriquer un produit original, socialement utile et utiliser les bénéfices pour pérenniser des occupations. Pour François, une solution sur 2 ans, c’est déjà beaucoup, « deux ans ça laisse le temps de construire quelque chose. Pour le collectif la Voix des Sans-Papiers par exemple, ils changent d’endroit tous les 6 mois. Avant c’était même tous les 4 mois. Donc c’est dingue. »
Depuis que les premières bouteilles de 100 PAP ont été mises en vente – au nombre de 5 000 au départ – les clients n’ont fait qu’augmenter et les partenariats se développent de plus en plus. Encore peu présente dans les commerces, la bière se répand surtout grâce aux événements associatifs partenaires dans la région. L’étiquette, le goût, et le message attire également les particuliers qui peuvent venir retirer des caisses dans un point de vente unique à Bruxelles. Mais François ne cache pas que pour atteindre les objectifs fixés, il faut encore multiplier les ventes.
Un milieu qui fait des bulles
Seul frein au projet : le manque de ressources humaines. D’après l’engouement des clients et des bars, le potentiel de la 100 PAP serait énorme et pourrait permettre des chiffres de vente bien plus grands. Avoir des personnes employées devient une nécessité, mais l’idéal de la 100 PAP, c’est que les bénéfices soient uniquement alloués aux sans-papiers. Les potentielles salaires doivent donc venir de subsides, selon François. Mais, cercle vicieux oblige, pour monter des dossiers, continuer à faire tourner la machine, et trouver des nouveaux partenaires, il faut du temps et une certaine connaissance du milieu. Formés pour la plupart sur le tas, les personnes qui s’occupent de la vente, la communication, la livraison viennent tous de milieux extérieurs au militantisme pour les sans-papiers, et offrent une grande partie de leur temps pour faire avancer le projet tant bien que mal. Jusqu’ici, la bière 100 PAP a pu remplir nos ventres grâce à des prêts d’argent. Un an et demi plus tard, et des centaines de caisses vendues, les remboursements d’emprunts touchent à leur fin. « On se développe de plus en plus, mais ça devient très compliqué de savoir combien exactement on pourra donner à partir de septembre aux sans-papiers, de sortir un chiffre comme ça. Mais on est arrivé aujourd’hui, à devoir faire un geste pour eux. »
Il faudrait environ 6000€ par mois pour financer les cinq occupations. La 100 PAP est encore loin de dégager ce bénéfice actuellement. Les bâtiments occupés nécessitant parfois beaucoup de travaux, la somme nécessaire est donc plus susceptible de s’allonger que le contraire. Pour autant, quand je demande à François s’il est optimiste quant aux retombées pour les sans-papiers, il répond sans hésitation : « Oui clairement. On pensait avoir plus d’impact à court terme, mais en fait c’est un projet de fond, qui doit prendre de l’élan avec le temps. […]Pour un projet de bière qui vient juste de se lancer, arriver à vendre 5 000 bouteilles par mois et les tenir, c’est juste extraordinaire. »
Précisons qu’en Belgique comme dans le monde, le marché de la bière est un secteur sans pitié. Les grands groupes comme AB InBev ou Heineken, qui détiennent la plupart des marques vendues en supermarché, ont bien compris que racheter des brasseries indépendantes pour pouvoir afficher fièrement « craft beer » sur leurs étiquettes se révélait salutaire. Les consommateurs avides de boire et manger “responsable” et les scandales autour des grandes marques ne suffiront sûrement pas à renverser la tendance, mais peuvent contribuer au développement d’initiatives à taille et caractère humains. Nous terminons notre conversation avec François, un jeune couple nous interrompt. Grand sourire aux lèvres, ils viennent justement chercher deux caisses de 100 PAP.
– Léa Marchal
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Sources : bbc.com / ab-inbev.com / maloan.fr / maloan.fr / mediapart.fr
Photographie d’entête par Julien RENSONNET / Twitter