Existe-t-il vraiment des seuils au deçà desquels l’exposition aux pesticides est totalement sans danger, sans même parler de l’effet cocktail récemment pointé du doigt pour l’INRA ? En rappelant que l’essentiel des pesticides retrouvés dans les assiettes des Européens sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens pour lesquels une exposition, quelle qu’en soit la quantité, peut interférer sur le système hormonal, l’ONG Générations Futures relance le débat.
Quand on parle des perturbateurs endocriniens, on fait souvent allusion aux cosmétiques, plastiques et autres objets du quotidien. Il en existe également que nous ingérons régulièrement à travers notre nourriture. Des traces de pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens se retrouvent dans les assiettes des Européens, selon un rapport publié en septembre par l’ONG Générations futures qui s’inquiète des effets d’une exposition répétée et qui en appelle en conséquence à une plus grande vigilance ainsi qu’à des politiques plus ambitieuses sur le sujet. L’alimentation est le principal facteur d’exposition à ces substances et le risque est donc chronique pour de nombreux consommateurs de produits conventionnels non-bio.
Les Limites Maximales en Résidus nous protègent-elles ?
Pour arriver à ces conclusions, l’ONG a épluché le dernier rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à propos des résidus de pesticides dans les aliments et dont les conclusions se veulent rassurantes. En effet l’agence de l’Union européenne se fondant sur des chiffres datant de 2016 collectés à partir de contrôles nationaux, conclu que 96,2 % des échantillons examinés isolément (fruits, légumes, céréales, produits animaux et aliments pour bébés) respectent les Limites Maximales en Résidus (LMR). La très grande majorité des échantillons ne contient pas de reste de pesticide quantifiable (51 %), l’ONG s’est intéressée au 49 % restant.
Selon les calculs de l’ONG, parmi les pesticides quantifiés dans l’alimentation des Européens, 6 sur 10 seraient des pesticides perturbateurs endocriniens suspectés. Pour arriver à ce résultat, les auteurs du rapport ont pris comme référence la base de données TEDX, qui répertorie toutes les molécules considérées comme perturbateur endocrinien dans au moins une étude. Ils l’ont ensuite comparée aux 350 molécules différentes repérées par l’EFSA dans les plus de 40.000 échantillons analysés.
Contrairement à l’EFSA, Générations Futures ne considère pas que le danger soit « faible », notamment parce que l’ONG réfute la thèse selon laquelle tous les pesticides et précisément ceux considérés comme perturbateurs endocriniens n’auraient pas d’effet en dessous de certains seuils (les LMR évoqués ci-dessus). Par ailleurs, la plupart des études se penchent sur les effets de chaque pesticide isolé. Ors, dans la réalité, nous ne sommes pas exposé qu’à un seul pesticide. Nous consommons de très nombreuses molécules chimiques différentes dans nos différents aliments. « Les pesticides PE [perturbateurs endocriniens. NDLR] ne répondent pas forcément au principe généralement admis en toxicologie classique selon laquelle, la dose fait le poison », développe ainsi le rapport qui précise que le danger résulterait surtout de « la période d’exposition ». Ce principe est admis par plusieurs autres organismes, détaille « Le Monde ». Pourtant, l’idée que la dose fait le poison a su s’imposer dans les discours médiatiques et politiques sans cette nuance quand il est question des pesticides.
Des substances nocives pour la santé
Rappelons que les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques qui peuvent aussi bien avoir une origine naturelle qu’artificielle. Ils peuvent interférer avec le système hormonal – ou système endocrinien – et avoir des effets nocifs sur la santé d’un individu exposé ainsi que celle de ses descendants. Ils peuvent en particulier avoir une incidence négative sur la reproduction, la croissance ou encore le métabolisme. Selon l’âge, le danger varie : les fœtus et les enfants jusqu’à la post-puberté sont tout particulièrement concernés par les risques liés aux perturbateurs endocriniens, car en plein développement. Parmi les conséquences possibles : altérer la reproduction, le comportement ou la croissance. Ils participeraient également à l’apparition de cancers, du diabète et de l’autisme. Mais la responsabilité précise de ces substances reste difficile à démontrer, ce qui laisse un vide scientifique confortable pour les industriels.
Générations Futures, spécialisée sur la question des pesticides et autres polluants chimiques, leurs risques sanitaires et environnementaux et sur leurs alternatives, alerte depuis plusieurs années l’opinion publique et les décideurs sur ces problématiques. Pour dénoncer l’impact et l’exposition aux polluants chimiques, Générations Futures mène régulièrement des campagnes d’analyses et réalise des rapports d’expertise sur le sujet. Depuis 5 ans, la série d’enquêtes EXPPERT « montre l’omniprésence de très nombreux PE dans notre environnement engendrant une exposition importante de la population ».
Mais les choses évoluent malgré tout. Depuis 2014, la France s’est dotée d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, permettant de bannir certains d’entre eux, comme le bisphénol A dans les biberons. La poursuite de ce premier volet est en cours de discussion et Générations Futures appelle à des « mesures fortes » pour « prendre en compte prioritairement ces données [du nouveau rapport] au niveau national et communautaire ». La majorité En Marche va-t-elle prendre sérieusement en main cette question alors qu’elle implique d’interférer avec le libre marché tant aimé ? Une chose est certaine, de puissants intérêts industriels sont en jeu et ce sont les citoyens des classes sociales les plus fragiles qui payent le prix de toute inaction.
Pour consulter le rapport, ici.
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Afin de perpétuer ce travail, soutenez-nous aujourd’hui par un simple thé ?☕