Tandis que Donald Trump ne cessait de réclamer l’obtention du prix Nobel de la paix, il a finalement été attribué à María Corina Machado, une opposante au gouvernement vénézuélien. Or, en plus d’être très proche de l’agenda politique du président américain, ses décisions ont déjà entraîné la mort de plusieurs personnes et elle a défendu l’action génocidaire des autorités israéliennes. Portrait.
Dans l’imaginaire collectif, un prix Nobel de Paix devrait revenir à une personnalité qui s’est opposée à la guerre ou qui a tout fait pour apaiser les tensions. Dans ce cadre, de nombreux activistes pour Gaza auraient par exemple pu le décrocher. Personne n’aurait, en revanche, l’idée de proposer un individu partisan de tentatives de putsch, de sanctions économiques contre son propre pays ainsi que d’une action génocidaire en Palestine. Et c’est pourtant bien le profil de María Corina Machado.
« Je dédie mon prix à Donald Trump »

Depuis plusieurs mois, les médias de masse rebondissaient sur le lobbying intensif de Donald Trump pour obtenir le prix Nobel de la paix, et ils se sont d’ailleurs davantage intéressés à sa déconvenue qu’à l’identité de la lauréate.
Pourtant, les premiers mots de cette dernière en disaient très long. Elle dédiait en effet sa victoire au président américain, « soutient décisif » à la cause de l’opposition vénézuélienne.
Or, Donald Trump, dans la droite ligne de tous les dirigeants américains depuis l’élection d’Hugo Chávez en 1999, ne cesse de multiplier les ingérences et les sanctions économiques à l’égard du pays d’Amérique latine.
Issue de la grande aristocratie vénézuélienne
Si María Machado défend aujourd’hui les intérêts des grandes entreprises privées et une vision économique ultra-libérale, ses origines familiales n’y sont sans aucun doute pas pour rien. De son nom complet Machadao-Zuolaga, celle-ci appartient à la grande aristocratie locale qui a bâti une partie de sa fortune sur l’esclavage dès le XVIIIe siècle.
LE PÈRE NOBEL EST UNE ORDURE 🇻🇪
Maurice Lemoine revient sur l'attribution du Prix Nobel á Maria Corina Machado. Un article essentiel pour comprendre qui est Machado et ce que cache ce prixhttps://t.co/4TpkLGQqht
— Romain Migus (@RomainMigus) October 14, 2025
Tout au long du XXe siècle, cette même famille investira massivement dans de nombreuses entreprises publiques afin de conserver une forte influence sur le pouvoir politique et défendre ses intérêts économiques. Biens nationaux que cette dynastie n’a pas hésité à vendre à l’étranger, au détriment du peuple du pays.
Une opposition farouche au socialisme
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant d’observer que María Corina Machado s’inscrit depuis sa jeunesse dans une opposition farouche au pouvoir socialiste depuis l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999. Opposition qui va grandir d’autant plus lorsque l’ancien président, décédé en 2013, a fait nationaliser les compagnies pétrolières de son pays.
Après l'Argentine, l'extrême-droite mondiale s'active pour faire gagner au Venezuela 🇻🇪 sa nouvelle chouchou : Maria Corina Machado.
Inhabilitée à être candidate aux présidentielles cette année, présentée comme « persécutée par le régime », la réalité est toute autre ⬇️#Thread pic.twitter.com/ZedCCd3FZw
— Christian Rodriguez (@ChrisRodrigAl) February 19, 2024
Car c’est bien là que se situe le cœur du problème de ce pays d’Amérique du Sud. Si les États-Unis mettent autant d’acharnement à lutter contre le gouvernement local, c’est bien parce que le Venezuela détient la plus grosse réserve de pétrole au monde. Et au-delà des poncifs médiatiques sur cet État, il est impossible de comprendre sa situation sans avoir conscience de cet enjeu économique énorme et de la pression insoutenable exercée par les USA depuis plus de vingt-cinq ans.
Une situation géopolitique très complexe, souvent décryptée avec brio par Le Monde Diplomatique, et sur laquelle il reste difficile de s’informer sans tomber dans le récit américain largement relayé par les élites occidentales.
Relais de Washington
Dans les faits, María Corina Machado a toujours été le relais de cette ingérence américaine, qui se manifeste depuis des années par des sanctions économiques asphyxiantes, mais aussi plusieurs tentatives de coups d’État dont la plus notable remonte à 2002.
Pendant 48h, une fédération patronale, soutenue par les USA, s’était même autoproclamée à la tête du pays, avant d’être chassée par le peuple. Machado faisait partie des signataires de ce putsch qui aura causé 19 morts et 200 blessés.
En 2004, elle fera aussi partie des fondateurs du mouvement Súmate, déstiné à chasser Hugo Chávez du pouvoir. Il contribuera par exemple à la collecte de signatures pour un référendum révocatoire, le tout, partiellement financé par le pouvoir américain. María Corina Machado rencontre d’ailleurs à cette époque Georges W. Bush avec qui elle ne cache pas sa proximité.
Depuis le début, elle sera identifiée comme une représentante du néolibéralisme et des intérêts américains, mais plus encore à partir de 2012, lorsqu’elle fonde son propre parti, Vente. Elle ne parviendra toutefois jamais à inquiéter Hugo Chávez, qui tient bon jusqu’à sa mort en 2013.
Le néolibéralisme chevillé au corps
Mais avec la mort de Chávez, la donne évolue quelque peu dans le pays. Si Nicolas Maduro est issu du même courant politique, il doit faire face à des crises multiples et à des sanctions économiques renforcées de la part des États-Unis, sur fond de résultats électoraux systématiquement remis en cause par Washington et par l’opposition. Dans une conversation téléphonique enregistrée à son insu, Machado appelle même clairement à un nouveau coup d’État.
Dans ce contexte, elle appuie de toutes ses forces les sanctions économiques américaines, contre son propre peuple. Et peu importe la souffrance engendrée localement. Des millions de personnes sont alors plongées dans la misère, et les services publics sont touchés de plein fouet. En 2016, les pénuries de médicaments, engendrées par les USA et l’élite économique du pays, vont même faire exploser la mortalité infantile : 40 000 enfants supplémentaires perdront la vie. Les sanctions sont évidemment directement responsables, mais Machado applaudit.
Apôtre de la violence
Le prix Nobel de la paix récompense aussi surtout une personne qui n’a jamais hésité à appeler à la violence. En 2014, elle fait partie des dirigeants d’opposition qui appellent à prendre les armes contre le pouvoir. Bilan : 45 morts et plus de 800 blessés, dont une bonne partie ne faisait même pas partie de leurs opposants.
Pour comprendre qui est l'oligarque d'extrême droite et nouveau Prix Nobel de la Paix, pro-Netanyahu, pro-génocide, co-organisatrice de tous les coups d'état organisés par les USA contre le gouvernement élu du Venezuela https://t.co/bKdf9CXW2b
— Thierry Deronne (@venezuelainfos) October 12, 2025
Elle soutiendra alors toutes les insurrections au sein de la nation, appelant régulièrement des forces étrangères à intervenir dans le pays, prenant même la Libye en exemple. En 2020, elle va jusqu’à signer un accord de coopération avec le Likoud, parti d’extrême droite israélien d’un certain Benjamin Netanyahou. Comble de l’ironie, elle osera alors évoquer un « génocide » au Venezuela.
Soutien du génocide en Palestine et extrême droite décomplexée
Ironique, puisque quelques années plus tard, elle apportera son soutien inconditionnel à ce même gouvernement israélien dans son action à Gaza, évoquant un « droit à se défendre », allant jusqu’à le féliciter encore très récemment. Comme Donald Trump, elle avait également promis de baser l’ambassade vénézuélienne à Jérusalem si jamais elle arrivait au pouvoir.
La nouvelle prix Nobel de la paix appelle Benjamin Netanyahu… et le félicite pour « ses actions durant la guerre » https://t.co/RBits59SLp
— RTL info (@rtlinfo) October 18, 2025
Donald Trump n’est, par ailleurs, pas la seule figure d’extrême droite soutenue par Machado. On l’a ainsi vue s’afficher avec le parti identitaire espagnol Vox, mais elle a aussi participé à une convention avec des individus comme Javier Milei, Giorgia Meloni ou Viktor Orbán.
Qui se cache derrière le prix Nobel ?
Lorsqu’elle l’a propulsée comme figure d’opposition au Venezuela, l’élite occidentale ne s’est cependant pas vraiment souciée de l’idéologie profonde du personnage. Ce qui comptait, c’était avant tout qu’elle défende les intérêts économiques de l’Occident. Et ce, quoi que l’on puisse penser du gouvernement de Nicolas Maduro. Une mise en lumière qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’Alexeï Navalny, opposant russe à Vladimir Poutine, starifiée en occident et ce malgré ses propos ouvertement racistes et nationalistes.
« la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ».
Car cette récompense pose au fond la légitimité du prix Nobel de la paix et du jury qui en décide. Alfred Nobel, son fondateur, souhaitait que cette récompense revienne à « la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ».
Blanc seing pour la guerre ?
De quoi rire jaune, lorsque l’on pense au profil de María Corina Machado. Mais il existe aussi des raisons de s’interroger sur les cinq membres du jury, désigné par le Parlement norvégien. Lorsque l’on sait le retentissement de cette récompense, on pourrait remettre en cause ce processus de nomination pour le rendre un peu plus représentatif de l’humanité, et non pas seulement des intérêts d’une certaine classe politique occidentale.
Enfin, au-delà de la honte symbolique provoquée par cet événement, (ce n’est d’ailleurs pas une première), il y a surtout de quoi s’inquiéter pour le peuple vénézuélien et sa souveraineté. Depuis des années, les États-Unis semblent chercher le moindre prétexte pour intervenir massivement dans le pays. Donald Trump a d’ailleurs récemment réitéré ses intentions de frapper la région militairement. En offrant une telle légitimité aux yeux de l’opinion mondiale à María Machado, ce prix Nobel de la paix risque bien d’engendrer la guerre.
– Simon Verdière















