C’est une décision qui suscite indignation et colère. Pourtant, le gouvernement sierra léonais a bien décidé de conclure la vente de plus de 100 hectares de forêt vierge et de plage tropicale à la Chine. Pour 55 millions de dollars, les autorités chinoises, désireuses d’assurer l’hégémonie économique et politique du pays, y bâtiront un port de pêche industriel. « C’est une catastrophe », dénoncent plusieurs associations de défense de l’environnement, des groupes de protection des espèces animales et les derniers habitants du site. Un désastre écologique et humain de plus provoqué par l’avidité et l’hypermondialisation du marché. Retour sur cette décision.
La Sierra Leone, classée cinquième pays le plus pauvre du monde, est pourtant riche d’une grande diversité biologique. Le pays africain abrite en effet plusieurs biotopes, entre forêts tropicales, savanes et littoraux. Et après dix ans d’une guerre civile violente et destructrice, l’état côtier semblait avoir décidé de miser sur ses atouts tout en préservant ses richesses naturelles. Qu’en est-il pourtant aujourd’hui ?
Un accord conclu dans l’opacité et le secret
Mais si ces bonnes intentions avaient été saluées sur la scène internationale et par de nombreuses associations militantes, c’est sur un tout autre registre qu’a été accueilli ce nouvel accord. D’un montant de 55 millions de dollars, la vente cède ainsi 100 hectares de bord de mer et de forêt vierge à la deuxième puissance économique mondiale, toujours avide d’étendre son influence politique et économique au delà de ses propres frontières. S’il a été négocié et conclu dans l’opacité la plus complète, c’est le célèbre quotidien britannique The Guardian qui révèle l’affaire.
Plusieurs associations de protection de l’environnement et de la faune sauvage s’indignent contre le projet et le manque de transparence du dossier. Alors que les organisations locales de recherche sur les politiques publiques, l’Institut de recherche juridique et de plaidoyer pour la justice (ILRAJ) et Namati Sierra Leone ont écrit au gouvernement pour lui demander des informations sur ce projet de création d’un port de pêche, ce dernier tarde à remettre les copies des évaluations d’impact environnemental et social exigées pourtant par la loi, ainsi que l’accord de subvention entre la Chine et l’Etat africain.
Un désastre environnemental et humain pour tout le pays
De quoi accroître la colère des opposants au projet, conscients du désastre environnemental et humain qu’il ne tardera pas à provoquer. Basita Michael, juriste pour ILRAJ, déplore cette situation : « Le communiqué de presse était très vague. Nous nous sommes juste demandé comment nous en étions arrivés là et comment se fait-il que nous n’en entendions parler que maintenant. Nous avons le droit d’en savoir plus ! ».
Et pour cause, l’objet du dit contrat n’est autre qu’une partie du littoral sierra léonais, comprenant la Black Johnson Beach, un coin de forêt tropicale et la Whales Bay, le tout s’étendant sur plus de 100 hectares. Cet écosystème précieux abrite entre autre de nombreuses espèces en voie de disparition, comme le pangolin ou encore le guib d’eau (Sitatunga). « Une partie des terres visées est une lagune constituant un lieu de reproduction important pour de nombreuses espèces de poissons. (…) Les jeunes poissons se déplacent ensuite vers l’océan lorsqu’elle devient rivière au moment de la saison des pluies, et se jettent dans la baie des baleines », explique une des associations communautaires à un quotidien béninois.
C’est donc un endroit très spécial, regroupant cinq écosystèmes riches et fragiles à la fois, qui est ainsi menacé. « La pollution de la baie des baleines décimerait des milliers d’espèces terrestres et marines, dont des poissons, des tortues, des dauphins, de nombreuses espèces d’oiseaux et, comme son nom l’indique, des baleines. C’est une zone où les pangolins, une espèce menacée, se reproduisent et existent encore », précise l’association Start Performing.
Des écosystèmes riches et rares destinés à disparaître
En plus du désastre écologique, c’est aussi un drame humain qui s’ajoute à l’addition. Les eaux alentours étant riches en sardines, en barracuda et en mérous, de nombreux pêcheurs locaux viennent y puiser leur revenus. Ce commerce local et traditionnel alimente ainsi plus de 70% du marché intérieur. Tito Gbandewa, est un ancien pêcheur reconverti dans l’écotourisme. Il détient aujourd’hui 1,2 hectare de plage et s’insurge contre le projet : « s’ils font cela, l’eau deviendra sale, il y aura beaucoup d’huile et de bruit, les chalutiers seront partout. Nos propres pécheurs n’auront plus la place de pêcher. Tout sera spoiler », explique-t-il aux journalistes du Guardian.
Sur Twitter, Greenpeace Afrique a également condamné cette décision, arguant que « les communautés de pêcheurs d’Afrique de l’Ouest subissent déjà les effets de la dégradation de l’environnement et de la crise climatique. Autoriser davantage d’activités extractives dans cette région ne fera qu’aggraver la situation ».
Un paradigme politique capitaliste et destructeur
Ainsi, alors que cette décision a suscité indignation et colère de la part des défenseurs de l’environnement, des groupes de défense des droits de l’homme et de protection des animaux et des propriétaires fonciers locaux, le gouvernement s’entête. Emma Kowa Jalloh, Ministre de la pêche, défend malgré tout le projet dans les colonnes du Guardian : « les gens en font tout un plat. Je voudrais juste leur rappeler d’être patient. Nous voulons nous développer, nous voulons grandir, nous voulons être classés comme un pays émergent. Il doit y avoir du développement et quelqu’un doit se sacrifier. »
Ce discours résume peut-être bien l’étendu du problème, au delà même de cet enjeu particulier. L’occident, en mondialisant un système économique capitaliste et en imposant une norme de croissance, pousse ainsi les perdants du système à l’imiter, sans grande chance de véritablement y arriver un jour. Ceux-ci sont alors prêts à tout sacrifier, y compris leurs richesses biologiques ou le bien-être de leur population, dans l’espoir de pouvoir prétendre à davantage de considération sur la scène internationale une fois leur économie redressée.
Mais l’urgence n’est-elle pas plutôt à l’instauration de plus d’égalité et de considération dans les échanges politiques mondiaux, peu importe les derniers chiffres du PIB des pays concernés ? Alors peut-être qu’un autre paradigme politique pourra émerger. Pour le bien-être des sociétés et de la planète, celui-ci devra impérativement déplacer son curseur des impératifs économiques vers un objectif de résilience et de solidarité.
L.A.