C’est une victoire remarquable pour l’écologie sociale et solidaire : la lutte pour la défense des Jardins ouvriers d’Aubervilliers obtient gain de cause contre le projet de piscine olympique des JO 2024, après des mois et des mois de bataille intensive, sur le terrain et face à la justice. Récit d’une nouvelle inspirante.

La lutte paye ! Régulièrement, des mobilisations citoyennes se dressent contre de toutes-puissantes décisions écocidaires venues d’une élite politico-industrielle hors-sol. Face au poids d’un tel système, personne ne donnerait cher de ces contestataires, aussi vaillants soient-ils. Pourtant, à la manière de David contre Goliath, les rassemblements locaux et déterminés parviennent plus souvent qu’on ne le pense à créer une brèche dans la matrice, voire même à la propager.

Le cas des Jardins d’Aubervilliers en est la preuve vivante. Menacés depuis 2021 par un projet de piscine olympique, les jardins ouvriers d’Aubervilliers auraient dû être en partie détruits. Or, ses défenseurs ressortent, depuis ce mardi 15 mars, victorieux de plusieurs mois de résistance acharnée : par occupation des lieux et ténacité juridique. Chronologie d’une aventure collective encourageante.

@AnnePaq – Sauvons les jardins ouvriers d’Aubervilliers.

Mai 2021 : la menace tombe

 « Les jardins ouvriers d’Aubervilliers sont un témoin historique du passé maraîcher francilien et de la mémoire ouvrière de la petite ceinture depuis plus d’un siècle » rappellent les membres de Sauvons les jardins ouvriers d’Aubervilliers.

Les 17 parcelles partagées permettent en effet de nombreux bienfaits alentour : elles réduisent l’intensité des îlots de chaleur urbain, diminuent les risques d’inondations, profitent à la vie citoyenne et locale, favorisent les circuits courts, une certaine autonomie alimentaire et, c’est crucial, « nourrissent la convivialité et le vivre ensemble en ville, comme en temps de pandémie » précisent-ils.

Sachant que la Seine St Denis et Aubervilliers n’offrent qu’1 mètre carré d’espaces verts par habitant.e contre 15 recommandés par l’OMS, ces terres cultivables incarnent sans conteste un archipel respirable, essentiel. 

@TiphaineBlot

Toutefois, après le premier confinement, le couperet tombe : un projet de piscine olympique prévu pour les JO 2024 s’invite sans prévenir. Rien ne laissait le présager, et pourtant, le voilà, prêt à être déployé. Selon ses prévisions ? Pas moins de 4000 m2 des terrains vivriers d’Aubervilliers devront être rasés et bétonnés pour, entre autres, un solarium et un espace fitness.

En somme, le projet porté par la Maire de la ville, mais également Plaine Commune, le département de Seine Saint Denis, l’État et le préfet de Seine Saint Denis, le programme Grand Paris Aménagement, la région Ile de France, la Ville de Paris, le Comité Olympique et la Présidence de la République, menace de faire disparaître près de la moitié des 10 000 m2 d’arbres, de plantes, d’insectes, d’animaux (dont plusieurs dizaines d’espèces protégées) qui constituent les jardins centenaires d’Aubervilliers. 

@TiphaineBlot

Si un des bassins du complexe doit servir aux scolaires, les membres des Jardins à défendre d’Aubervilliers précisent que cet équipement reste dérisoire. Il permet surtout au projet de maintenir la confusion, un prétexte pour justifier le caprice de la ville et éviter toute contestation. Pour rappel : la piscine principale dédiée aux JO est de 50 mètres, contre 25 pour celle utilisable par les écoles. Quant aux installations annexes, qui menacent directement les potagers, elles ne jouissent d’aucune excuse valable qui justifie la destruction de terres communes :

« C’est sous couvert d’une rhétorique mensongère de rénovation urbaine que les autorités publiques tentent de faire valoir l’installation de ces équipements sportifs hors normes et très coûteux (bien plus qu’une piscine municipale classique), alors même que ces équipements ne bénéficieront pas aux habitant.es du quartier et sans jamais prendre en compte leurs demandes » (JAD d’Aubervilliers).

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2021-2022 : L’ère de la résistance 

18 septembre 2021 – Manifestation pour la défense des Jardins d’Aubervilliers – Aubervilliers @Julien Gate/Flickr

Pendant un an, les activistes transforment donc la zone en JAD, jardins à défendre. Sans jamais baisser les bras, ils occupent, cultivent et préservent collectivement ce bout de nature. Et pour ne rien gâcher, ils fournissent même aux décideurs une proposition de projet alternatif, plus raisonnable et moins impactant. Une solution qui réunit près de 100 000 soutiens.

Ils résument leur engagement : « Face à la surdité obstinée des pouvoirs publics et au mépris des décideurs, une occupation du lieu a été initiée à partir de mai 2021 pour faire vivre un projet citoyen de jardins ouverts à tous et toutes : JAD, Jardins à défendre, créant une zone inclusive en opposition aux logiques autoritaires et de domination du dehors, et un véritable espace de réflexion sur l’écologie et la sobriété qui se voyaient mises en pratique » 

Toutefois, les protestations menées de front, ainsi que l’élaboration constructive d’une issue plus juste et cohérente avec l’urgence climatique et sociale, ne suffisent pas de suite.

En septembre 2021, après plus de 5 mois d’occupation, les forces de l’ordre sont envoyées sur le terrain afin d’expulser, non sans violence, les JADistes. L’occasion pour Spie Batignolles d’introduire ses bulldozers et d’entamer ses premiers travaux.

Expulsion des Jardins d’Aubervilliers @TiphaineBlot

Si une suspension est simultanément obtenue par les JAD auprès de la justice pour « vices de forme dans le permis de construire », elle ne fait pas long feu. Après correction, les machines reprennent de plus belle. 

 

Février 2022 : s’accrocher

En réponse aux premiers dégâts commis de force, le 2 février 2022 au matin, un blocage d’envergure est organisé par les habitant.e.s : 30 personnes motivées bloquent les Jardins contre le démarrage d’une phase de bétonisation irréversible.

Bien que globalement altérés, et même à certains endroits ravagés, les jardins sont remplis d’espoir : les retards causés par les actions directes et infatigables des occupant.e.s gonflent la facture du projet au point de le rendre bientôt caduc.

 

« Nous voulons que notre ville soit une ville verte, vivrière, inclusive, respirable avec une pratique sportive qui ne rime pas avec destruction de la nature et du vivant.

Nous voulons que nos enfants croquent les fruits mûris au soleil de leur ville, nagent dans les eaux dépolluées de nos canaux et grimpent aux arbres pour regarder les oiseaux et les papillons ».

 

Quelques temps après, le 10 février, les Jardins d’Aubervilliers remportent une première victoire juridique importante face au projet de piscine olympique : « La Cour d’appel administrative de Paris considère que les projets d’urbanisation concernant plus d’un hectare des jardins (centre aquatique + gare + bureaux) sont excessifs et incompatibles avec les documents administratifs officiels (SDRIF) » annonce fièrement le collectif d’Aubervilliers.

 

La victoire finale : enfin.

Ce 9 mars, l’arrêt immédiat des travaux est acté d’urgence. « Noyau primaire de biodiversité traversée par un corridor écologique », les jardins n’auraient su être plus longtemps mis en péril par un projet aux effets imprévisibles. 

Ce mardi 15 mars, force de persévérance, les JAD d’Aubervilliers obtiennent également la remise en état des zones détruites par les premières opérations de construction.

@TiphaineBlot

Les jardins populaires, 85 en tout et pour tout, font office de symbole de victoire citoyenne, sociale et environnementale. Ils sont et resteront ainsi une ressource d’entraide et de transmission, pour les plus jeunes qui peuvent y apprendre le fonctionnement du Vivant et des cultures maraîchères, comme pour le voisinage en demande de sociabilisation et d’espaces durables et solidaires. L’association, née en 1935 et chargée de gérer les lieux, continuera de leur donner vie.

Bientôt, si rien ne change, ces fiefs de résistance et de nature pourraient devenir nos seuls refuges. Mais, heureusement, preuve en est que nous savons les protéger. 

-S.H

Sources : 

Sauvons les jardins ouvriers d’Aubervilliers

La justice suspend les travaux de la piscine pour les JO-2024 sur les jardins ouvriers d’Aubervilliers – L’OBS

https://lareleveetlapeste.fr/victoire-les-jardiniers-daubervilliers-obtiennent-larret-des-travaux-et-la-remise-en-etat-du-site/ 

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