Des chercheurs canadiens révèlent que les orangs-outans ont des « personnalités vocales » distinctes et en constante évolution. Cette nouvelle étude démontre également que l’évolution du langage de ces grands singes est intimement façonnée par leurs interactions sociales. Outre l’avancée scientifique sur les connaissances liées à la culture des primates, cette étude permet également d’approfondir notre compréhension de l’origine du langage humain. L’Homme oublie en effet bien souvent qu’il n’est qu’un mammifère parmi d’autres. Explications.
La nouvelle étude publiée par des chercheurs canadiens dans la revue Nature Ecology and Evolution[1]révèle que le langage des orangs-outans est constitué non seulement de différents types d’argots, mais est également en constante évolution.
En étudiant les cris d’alarme de 70 individus de communautés sauvages de Bornéo et Sumatra pendant près de 6 120 heures, et ce dans six stations d’observation différentes, les primatologues ont découvert que les orangs-outans étaient capables de composer de nouvelles versions de leurs cris, variant en intensité et en longueur.
La fréquence des sons serait, quant à elle, influencée par la densité des communautés locales. Selon Adriano Lameira, auteur principal de l’étude et chercheur au département de psychologie de l’Université de Warwick, « dans les zones à faible densité, les orangs-outans sont plus ‘’conservateurs’’ et ont un répertoire d’argot qu’ils revisitent et utilisent constamment. Dès qu’un nouveau cri est utilisé, tout le monde l’entend et la variante est rapidement incorporée, ce qui enrichit l’argot »[2], a-t-il déclaré dans une interview accordée à The Guardian.
Par ailleurs, l’étude rapporte que certaines communautés de grands singes présentaient parfois des nouvelles variations de cris similaires, alors même qu’il n’y ait pas eu d’échange connu entre ces populations, et qu’elles soient très éloignées géographiquement les unes des autres.
Un langage élaboré et diversifié
Tout comme les langues humaines, cette étude rapporte de nouvelles preuves que les répertoires linguistiques des grands singes sont composés de consonnes et voyelles, qui peuvent non seulement être soigneusement contrôlées, mais également combinées pour former des syllabes et utilisées pour communiquer sur des évènements du passés.
Selon Lameira, « ces nouvelles observations confirment que les grands singes sont des espèces modèles uniques et indispensables pour améliorer notre compréhension de l’origine de la langue ».
De plus, l’étude des différentes vocalisations révèle également que les populations plus denses d’orangs-outans présentaient une plus grande diversité et une plus grande expérimentation de nouveaux sons dans leur vocabulaire. Dans ces communautés à forte densité, les animaux expérimentaient spontanément de nombreux nouveaux sons en variant la hauteur et la durée des cris et couinements. Toutefois, beaucoup d’entre eux tombaient rapidement en désuétude. En revanche, bien que les plus petites populations d’orangs-outans inventaient de nouveaux cris moins fréquemment, ils avaient tendance à les conserver plus durablement une fois utilisés.
Ces nouvelles découvertes confirment donc également les théories selon lesquelles le langage humain a évolué progressivement sur le long terme, et la communication entre nos ancêtres simiesques était fortement influencée par des facteurs sociaux[3].
L’importance de redoubler les efforts de conservation
Lameira souligne également l’importance de protéger les orangs-outans, non seulement pour le bien-être de ces grands singes, mais également pour que les scientifiques puissent en apprendre davantage sur l’évolution des primates.
« Les grands singes et leur habitat doivent être préservés si nous voulons avoir une chance de dévoiler d’autres pièces du puzzle de l’évolution du langage. En effet, de nombreux autres indices nous attendent dans la vie de nous plus proches parents vivants, pour autant que nous parvenions à garantir leur protection et leur préservation à l’état sauvage. Chaque population qui disparaît emportera avec elle des aperçus irrémédiables de l’histoire de l’évolution de notre espèce »[4], a-t-il déclaré.
Selon le dernier recensement de l’UICN, l’ensemble des populations des différentes espèces d’orangs-outans ne cessent de diminuer, et sont actuellement toutes considérées comme étant « en danger critique d’extinction »[5]. En cause, un mode de vie « humain » toujours plus gourmand en ressources naturelles.
Les grands singes sont confrontés à une perte d’habitat considérable, leurs forêts étant détruites au profit de l’agriculture animale (élevages à viande) et de la culture d’huile de palme, ainsi que par l’exploitation forestière illégale qui en découle. Selon The Orangutan Project[6], près de 80% de leur habitat a disparus au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, plus de 50% des orangs-outans vivent dans des forêts non protégées, gérées par des sociétés d’huile de palme, de bois et d’exploitation minières, causant la mort de pas moins de 6 000 de ces grands singes chaque année. L’huile de palme étant la principale cause de d’extinction de ces espèces gravement menacées.
Or, « jardiniers » de la forêt, les orangs-outans jouent un rôle essentiel pour la préservation des forêts tropicales de Bornéo et Sumatra. En dispersant les graines des nombreux fruits dont ils se nourrissent, ils contribuent directement au reboisement de la forêt, et jouent donc un rôle fondamental pour la régénération de ces écosystèmes essentiels dans la lutte contre le réchauffement climatique.
En précipitant la disparition de ces grands singes, nous nous privons donc non seulement d’un acteur essentiel au bon fonctionnement d’un écosystème déjà gravement menacés par nos activités, mais également d’une partie de l’histoire de l’humanité. Nous éradiquons en pleine conscience nos plus proches parents tout en semant les graines de notre propre extinction. Mais beaucoup d’humains continuent de penser qu’il serait trop « radical » de renverser le modèle économique et culturel à l’origine de ce désastre organisé…
W.D.
[1] Lameira, A. R., et al., Sociality predicts orangutan vocal phenotype, Nature Ecology & Evolution, 21 mars 2022, disponible sur : https://www.nature.com/articles/s41559-022-01689-z
[2] Davis, N., “Orangutans use slang to ‘show off their coolness’, study suggests” in The Guradian, 21 mars 2022, disponible sur: https://www.theguardian.com/science/2022/mar/21/orangutans-use-slang-to-show-off-their-coolness-study-suggests
[3] Domenech, C., « D’après une étude, les orangs-outans utilisent l’argot pour ‘montrer leur côté cool’ » in GEO, 22 mars 2022, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/dapres-une-etude-les-orangs-outans-utilisent-largot-pour-montrer-leur-cote-cool-208926
[4] Wetzel, C., “Orangutan’s vocabularies are shaped by socializing with others, just like humans” in Smithsonian Magazine, 23 mars 2022, disponible sur: https://www.smithsonianmag.com/smart-news/orangutans-vocabularies-are-shaped-by-socializing-with-others-just-like-humans-180979778/
[5] IUCN, Red List – Orangutan, disponible sur : https://www.iucnredlist.org/search?query=Orangutan&searchType=species
[6] The Orangutan Project, Orangutan Facts, disponible sur: https://www.theorangutanproject.org.uk/about-orangutans/orangutan-facts/; Booth, J., “Orangutans ‘show off their coolness’, using slang, study finds” in Plant Based News, 30 mars 2022, disponible sur: https://plantbasednews.org/culture/weird-wonderful/orangutans-show-off-their-coolness-slang/