Imaginé à l’automne 2023, le projet Périclès a été construit par le milliardaire Pierre-Edouard Stérin avec un seul objectif : faire infuser les idées d’extrême-droite dans toutes les franges de la société française. Médias, politique, justice, administration, cette stratégie tentaculaire, appuyée par 150 millions d’euros sur dix ans, prévoit d’agir dans tous les domaines, en sous-marin et de manière extrêmement agressive.

Tout le monde avait déjà entendu parler de Vincent Bolloré et de son empire médiatique au service de l’extrême-droite. Son emprise a d’ailleurs bien atteint les esprits, comme en témoignent la droitisation de l’ensemble de la presse et les scores galopants du Rassemblement National aux élections. La situation pourrait bien s’empirer avec le projet Périclès, dévoilé par le journal l’Humanité, et mené par une autre grande fortune du pays, Pierre-Edouard Stérin.

Un profil discret, mais pas moins dangereux

Ultraconservateur, catholique intégriste, et ouvertement libertarien, le profil du milliardaire Pierre-Edouard Stérin a de quoi faire frémir, et son projet d’autant plus. Derrière l’acronyme Périclès, se cachent d’ailleurs les mots : patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens libéraux, européens, souverainistes. Tout un programme !

Mais lorsque l’on s’intéresse d’un peu plus près aux objectifs affichés dans un dossier secret consulté par le journal fondé par Jean Jaurès, on peut s’inquiéter encore davantage. Liberté individuelle et d’entreprise, propriété privée, christianisme, préférence nationale et identitarisme d’un côté et fervente opposition au socialisme, au wokisme, à la laïcité agressive, à l’assistanat, à l’islamisme et à l’immigration incontrôlée de l’autre.

Tels sont les termes que l’on retrouve mot pour mot dans ce texte qui sert de base au déploiement de tout un arsenal destiné à asseoir des idées d’extrême droite au sein de la société française. Et pour « sauver la France » (qu’il a pourtant quitté depuis 2012 pour échapper à l’impôt), son instigateur Pierre-Edouard Stérin, semble prêt à mettre énormément de moyens.

Matraquer les esprits

À l’image de Vincent Bolloré, Stérin a très bien compris la toute-puissance des médias sur l’opinion. Même s’il ne dispose pas d’une force de frappe similaire à son homologue breton (1,2 milliard de patrimoine, grâce, entre autres, à l’entreprise Smartbox, contre 11,1 milliards pour Bolloré) il a tout de même commencé à poser les premières pierres de son édifice.

Ainsi, il a déjà investi dans trois médias en ligne : Néo, Factuel et Le Crayon. Ce dernier avait d’ailleurs été décrié plusieurs fois pour avoir invité de nombreux partisans d’extrême-droite et avoir participé à monter une campagne de dénigrement contre Rima Hassan, suite à la publication d’un extrait tronqué.

Plus récemment, l’homme d’affaires avait tenté d’attraper une plus grosse prise en affichant sa volonté de racheter le magazine « Marianne ». Son propriétaire actuel, Daniel Kretinsky, semblait même d’accord pour conclure l’accord. C’était sans compter sur une grève des salariés, ne souhaitant pas subir un sort semblable à celui du Journal du dimanche.

Dans le document révélé par l’Humanité, on apprend d’ailleurs que les organisateurs du projet Périclès ont bien rencontré une dizaine de médias en vue d’un partenariat. Marianne et l’Express sont tous les deux cités comme collaborateurs « probables ».

Bombardements de sondages

Pour assommer l’opinion sur les thématiques chères à l’extrême-droite, le projet entend également se servir abondamment de sondages. On constate qu’il espère, de plus, nouer un partenariat avec l’IFOP et instaurer trois baromètres « monothématiques » concernant « l’islam et l’insécurité », « l’immigration » et « l’extrême-gauche ».

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Dans cette même optique, il est clairement envisagé d’acheter un institut de sondage à part entière. L’occasion, d’ailleurs, de rappeler que les grandes fortunes investissent tout autant dans ces instituts que dans les médias. Et ce n’est pas par hasard puisqu’ils représentent un point d’appui politique d’influence considérable, malgré leurs déroutes récurrentes.

Lever une armée d’idéologues d’extrême-droite

En outre, le projet souhaite apporter une matière intellectuelle sur laquelle les politiciens d’extrême-droite pourront facilement se reposer. Dans cette optique, Périclès désire faire naître un think tank destiné à cette fonction.

Cet institut regrouperait ainsi des intellectuels et des chercheurs d’extrême-droite chargés de fournir des documents et des réflexions allant dans le sens de cette idéologie. Par là, il préparerait le terrain à de futures réformes, mais pourrait aussi servir de « caution intellectuelle » aux militants d’extrême-droite pour appuyer leurs idées en particulier sur les sujets économiques, de sécurité et d’immigration. De même, les « études » produites par cet organisme pourraient également alimenter les médias identitaires et faire circuler ses préceptes dans la population.

Faire changer la peur de camp

Pour arriver à ses fins, Périclès compte, de plus, livrer bataille sur le front judiciaire pour « faire changer la peur de camp ». Autrement dit, les instigateurs souhaitent que ce ne soit plus l’extrême-droite qui soit visée par la justice pour ses sorties de route, mais bien ses adversaires idéologiques.

Le projet entend ainsi lancer des actions judiciaires (au moins 20 procédures par an) contre « l’islamisme, l’immigration, l’attaque à la liberté d’expression, la théorie du genre ». Pour ce faire, elle compte sur un collectif d’avocats, mené par Aymeric de Lamotte, lui-même juriste bien connu des milieux réactionnaires et complotistes. Si le but est ici de se défendre de ses adversaires, l’objectif final est surtout de « changer la loi ».

Mettre la main sur le pouvoir pour changer le pays

Et pour concrétiser ces aspirations, Pierre-Edouard Stérin entend bien sûr changer les lois du pays en profondeur pour le transformer selon ses orientations. Pour y parvenir, il compte s’appuyer sur une bonne partie d’élus notamment chez les Républicains, Reconquête et surtout le Rassemblement National.

Le texte désigne de plus Marine Le Pen et Jordan Bardella comme « personnalités définies comme prioritaires » et avec lesquelles le groupe établit une relation de confiance et une influence réelle. Le projet prévoit d’ailleurs de nouer des contacts du même type avec des individus comme Éric Zemmour, Laurent Wauquiez, Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy, François-Xavier Bellamy ou encore Marion Maréchal.


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À l’époque de la création du document, l’équipe espérait en outre « influencer les sujets traités pendant les Européennes ». Difficile d’établir sa responsabilité dans le phénomène, mais le fait est que les thématiques imposées durant la campagne ont directement débouchés sur les résultats de ces élections. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont été sans appel quant à la victoire idéologique de l’extrême-droite.

Plusieurs scrutins en ligne de mire

Pour la suite, l’objectif est clair : aider l’extrême-droite à « l’emporter ». Le groupe estime ainsi que le Rassemblement National pourrait rafler « un millier de mairies » aux municipales de 2026. Plus loin encore, il entend bien faire gagner le RN aux élections présidentielles de 2027 et dégager une majorité absolue à l’assemblée.

Évidemment pour y parvenir, l’organisation a conscience qu’il faudra s’appuyer sur des individus solides et compétents. Or, comme on a pu le constater lors des dernières législatives, le RN a beaucoup de mal à trouver des personnes capables, de nombreuses candidatures touchant au ridicule et à l’amateurisme complet.

Pour remédier à ce problème, le projet Périclès souhaite créer une « école de formation des futurs dirigeants politiques partageant ses valeurs » d’où sortirait un bon millier d’initiés d’ici les prochaines élections. Selon le programme prévu, la première promotion de cette école devrait être lancée dès septembre 2024.

S’installer pour ne plus jamais repartir

On l’aura compris, le projet Périclès s’avère être un plan extrêmement ambitieux de transformation profonde du pays pour faire triompher durablement la doctrine d’extrême droite. Et même si le RN a finalement été largement rejeté aux dernières législatives, on ne peut définitivement pas nier que ses idées de ne cessent de progresser dans notre société.

La faute incombe sans aucun doute aux partis libéraux qui servent de véritable marchepied des identitaires de par leurs mesures antisociales. Mais elle repose aussi sur les plus fortunés qui s’accommodent parfaitement de l’extrême-droite.

Lorsque l’on voit les aspirations de Pierre-Edouard Stérin à combattre le « socialisme », on peut d’ailleurs y observer une preuve formelle que ce camp politique ne fera absolument rien pour les classes populaires. Charge aux médias indépendants du grand capital comme Mr Mondialisation de continuer à le marteler sans relâche.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Wikimedia

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