Face aux accusations anti-chasse, les chasseurs renvoient parfois à un argument qui peut surprendre : l’impact de nos animaux domestiques sur leur environnement, notamment les chats, qui serait bien plus préoccupant. Mais ce whataboutisme est-il fondé ? Comparaison.
La question du pire impact sur la biodiversité entre les chasseurs et les animaux domestiques suscite des débats passionnés, alimentés par des chiffres, des études scientifiques et des témoignages contrastés selon le bord.
En effet, de nombreux sites de chasse en ont fait leur cheval de bataille : Chassons.com titre en 2023 « Les chats domestiques, tueurs de masse de la biodiversité », Chasse Passion publie en 2024 « Quand le chat part à la chasse, c’est rarement pour rien », quant à Willy Schraen, président de la Fédération nationale des Chasseurs (FNC), il clamait haut et fort en 2020 son « problème avec les chats », pour lesquels il allait « falloir trouver une solution ».

Mais alors qui, des chasseurs ou des animaux domestiques, portent factuellement la plus lourde responsabilité dans l’érosion de la biodiversité française et mondiale ? Verdict.
Les animaux domestiques : un impact insidieux mais massif

En France, une étude de science participative menée par le Muséum national d’Histoire naturelle et la SFEPM relate des chiffres alarmants : entre 2015 et 2022, 5 048 chats de compagnie ont rapporté 36 568 proies, soit une moyenne de 27 proies par chat et par an, dont environ 68 % de petits mammifères et 21–22 % d’oiseaux.
La LPO (la ligue de protection des oiseaux) estime ainsi à 75 millions le nombre d’oiseaux tués par des chats en une année en France. Chiffre qui ne sort pas d’un chapeau, à l’inverse de celui annoncé sur le site Le Chasseur Français, évoquant “800 millions d’oiseaux croqués” par les chats chaque année.
Toutefois, dans certains contextes (notamment urbains), il n’est pas la cause principale du déclin des oiseaux. D’autres menaces qui ne sont ni imputables aux chasseurs, ni aux animaux domestiques, jouent un rôle central, comme la perte d’habitat, la pollution de l’air et lumineuse, les pesticides ou la raréfaction des insectes.
Les animaux domestiques à l’échelle mondiale
Un article paru dans Reporterre fait état d’une étude australienne, décrivant également les chiens comme les grands carnivores les plus répandus au monde et considérés comme une vraie menace environnementale « importante et multiforme ». Comme l’indique le professeur Bill Bateman, principal auteur de l’étude :
« Outre leur comportement prédateur vis-à-vis des animaux sauvages, les chiens laissent des odeurs, de l’urine et des excréments qui peuvent perturber le comportement des autres animaux longtemps après leur départ »
Selon France Nature Environnement, une étude américaine de 2013 publiée dans Nature Communications estime que les chats tuent chaque année aux États-Unis entre 1 et 4 milliards d’oiseaux et entre 6 et 22 milliards de petits mammifères. Ce sont surtout les chats errants ou harets (redevenus libres) qui sont responsables de la majorité de cette prédation.
« D’après une étude de 2023, chats et chiens sont identifiés comme des espèces invasives majeures »
Ainsi, chats et chiens sont identifiés comme des espèces invasives majeures d’après une étude parue dans le journal scientifique Nature Communications en 2023. Les premiers étant déjà responsables de l’extinction de 63 espèces (principalement des oiseaux), 21 espèces de mammifères et 2 espèces de reptiles. Les seconds, selon un article dans The Conversation et selon les chiffres de l’UICN, sont quant à eux directement responsables de l’extinction de 11 espèces et menacent actuellement près de 188 autres espèces dans le monde.
Autres impacts sur la biodiversité
Chats et chiens peuvent être vecteurs de maladies pour la faune sauvage, contribuant à la fragilisation des populations locales, comme c’est le cas en Ethiopie, où les chiens menacent directement les loups d’Ethiopie par la transmission de maladies. Sans compter qu’ils peuvent tous deux détruire des habitats (terriers, nids, etc.) et modifier les territoires, ce qui perturbe davantage les écosystèmes locaux.
D’ailleurs, l’impact est particulièrement fort sur les îles (où la faune n’est pas adaptée à ces prédateurs) et dans les villes où les animaux domestiques sont nombreux.
Impact par ricocher, comme on peut le lire dans Il est temps de manger le chien, de Brenda et Robert Vale, l’énorme consommation de viande d’un chien de taille moyenne avait un impact sur la planète deux fois supérieur à celui d’un SUV conduit sur 10.000 km, selon une reprise de l’AFP.
Un portrait peu glorieux de nos animaux de compagnie préférés. Le fléau étant bien évidemment leur sur-nombre et non leur existence, alimenté par un marché inconscient et irresponsable qui nuit également à leur bien-être (abandons, maltraitance, épuisement en élevage,…)
Si toutefois ces chiffres peuvent donner l’envie de protéger la biodiversité des griffes des animaux domestiques, il n’en est rien comparé aux menaces de la chasse.
Chasseurs : faux gestionnaires de la biodiversité, vrais destructeurs ?

Si certains chasseurs sont peut-être les témoins conscients des changements liés aux dérèglements climatiques, et prennent parfois le temps de gérer certains espaces verts en milieux ruraux, il faut rappeler qu’ils sont majoritairement urbains. Le mythe du chasseur rural est infondé, mais sert encore à redorer l’image de la FNC (Fédération nationale des chasseurs) et de ses représentants comme Willy Schraen.
S’il n’existe pas de données officielles sur le nombre d’animaux tués, un article de 30 millions d’amis exprime: “ Ces calculs, basés sur les données de référence de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (devenu aujourd’hui l’OFB), coïncident avec les « 22 millions d’animaux tués chaque année », annoncés par l’OFB dans une enquête publiée en 2019 (portant uniquement sur la chasse à tir).”
Or, comme l’enquête l’explique, ces données sont restreintes à la chasse à tir. Quid des blaireaux, déterrés et tués à l’arme blanche, ou des ongulés tués par les chiens de chasse, achevés au couteau, entre autres, ou encore des portées de renards tuées dans leurs terriers parce que “nuisibles”. En effet, les renards représentent par exemple pas moins d’un demi-million de spécimens chassés par an.
Ces chiffres n’incluent pas non plus le braconnage, ni même les animaux dits domestiques utilisés comme appâts, élevés pour la chasse, comme les chiens de chasse tués et maltraités, ou encore les animaux humains – chasseurs ou non.
La chasse : des chiffres opaques mais un spectre large d’animaux visés
En effet, chaque année, environ 20 millions d’animaux sont élevés en captivité puis relâchés pour servir de gibier en France, dont 14 millions de faisans et 5 millions de perdrix. Ces animaux, souvent élevés dans des conditions déplorables (cages exiguës, mutilations), sont généralement abattus rapidement après leur lâcher. Rien qu’à eux, ils représentent une part considérable du nombre total d’animaux tués par la chasse.
Bien qu’il ne soit pas comptabilisé dans la “biodiversité”, on ne se demande pas si les chiens et chats sont victimes de la chasse : la réponse est oui, comme le montrent de nombreux faits divers. Des animaux domestiques (chiens, chats, animaux d’élevage) sont victimes de tirs « accidentels » ou d’attaques de chiens de chasse, mais là encore, il n’existe pas de comptage officiel, même si la presse rapporte régulièrement de tels incidents.
Quant aux chiens de chasse, ils sont en effet fréquemment blessés ou tués lors des battues : par les animaux chassés qui se défendent, par des accidents de tir, ou encore par les dangers du terrain (ronces, taillis, etc.). Il n’existe aucune statistique officielle de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) sur cette réalité, mais les témoignages rappellent que le phénomène est loin d’être anecdotique. Ce sont également, après la saison, le troisième type de chiens le plus abandonné en France.
L’ampleur totale de la mortalité animale liée à la chasse est donc bien supérieure aux seuls prélèvements de gibier déclarés.
Zoom sur le braconnage
Les chasseurs s’en défendront, la chasse n’est pas le braconnage. Mais si aucune distinction n’a été faite entre les chats domestiques ou errants pour quantifier leurs dégâts, le braconnage doit être inclus dans l’analyse globale de l’impact de la chasse. D’autant plus que la limite est floue, puisque le respect de la réglementation dans ce domaine est peu surveillé.
Le braconnage, c’est-à-dire la chasse illégale d’espèces protégées ou en dehors des périodes autorisées, compromet la survie de nombreux animaux, notamment les grands carnivores comme l’ours, le lynx ou le loup, mais aussi des oiseaux, reptiles et poissons. Par exemple, en France, près de 2 millions d’oiseaux, dont de nombreux passereaux protégés, sont braconnés chaque année selon Conservation-Nature.
Le braconnage est aussi responsable de la raréfaction ou de la disparition d’espèces emblématiques comme le bouquetin des Pyrénées ou la civelle. Les chiffres du braconnage sont difficiles à établir précisément, car cette activité est clandestine et souvent sous-estimée dans les bilans officiels. Selon l’association Ferus, pour le loup, un rapport suggère entre 15 et 20 % de braconnage en France.
Les chiffres de la chasse et du braconnage à l’échelle mondiale
Malheureusement, il n’existe pas de chiffres sur la chasse à l’échelle mondiale, mais l’on retient quand même, à titre de comparaison, que la France autorise 87 à 91 espèces chassables (oiseaux et mammifères confondus), un record en Europe. Par ailleurs, en 2020, 31 espèces chassables sur 82 en France étaient menacées ou quasi-menacées. Les chiffres du braconnage mondial sont colossaux et concernent une grande diversité d’espèces.
Selon les données les plus récentes et les synthèses d’organisations internationales : hors de notre périmètre d’étude, environ 600 millions de requins et poissons tropicaux sont tués chaque année par braconnage, 56 millions d’animaux à fourrure (comme les visons, renards, etc.) sont victimes du braconnage chaque année, 6 millions d’oiseaux sont tués annuellement, 2 millions de reptiles (principalement pour le commerce de peaux) et 30 000 primates sont braconnés chaque année. De même, plus de 100 000 pangolins sont capturés annuellement, ce qui en fait le mammifère le plus braconné au monde (sources : wwf, national geographic).
L’effet papillon de la chasse
Chaque année, les chasseurs français dispersent entre 6 000 et 8 000 tonnes de plomb dans la nature, principalement via les cartouches de chasse. En Europe, ce chiffre grimpe à 21 000 tonnes, et jusqu’à 30 000 à 40 000 tonnes selon l’Agence européenne des produits chimiques.
Le plomb est un métal lourd extrêmement toxique : il provoque le saturnisme chez de nombreux oiseaux (notamment les anatidés qui ingèrent les billes de plomb en fouillant les sédiments), contamine les sols, les eaux et peut remonter dans la chaîne alimentaire jusqu’à l’humain. Cette mortalité par contamination n’est pas comptabilisée dans les chiffres.
Outre le plomb, la chasse dissémine chaque année des millions de cartouches et de douilles en plastique et en métal dans les milieux naturels, accentuant la pollution des sols et des habitats.
La dispersion du plomb expose aussi les chasseurs eux-mêmes et leurs familles : on estime que 14 millions de personnes en Europe, dont 1 million d’enfants, sont exposés au plomb via la chasse, soit par contact direct, soit par consommation de gibier contaminé. (Face à ces constats, une transition vers des munitions sans plomb est en cours, mais leur adoption reste limitée malgré l’existence de substituts efficaces (acier, bismuth, tungstène).
L’agrainage est également un problème pour les écosystèmes. L’agrainage, c’est-à-dire l’épandage de maïs pour attirer les sangliers et limiter les dégâts agricoles, a des conséquences écologiques souvent contre-productives. Il favorise la surpopulation de sangliers en perturbant les cycles naturels, dégrade les habitats, affecte la flore, la faune terrestre, et fragmente les territoires.
Enfin, la fabrication des armes de chasse, des munitions et des accessoires implique l’extraction de métaux, la consommation d’énergie et la production de déchets industriels, contribuant indirectement à la pression sur les ressources naturelles et à la pollution. Bien que moins quantifié, cet impact fait partie du bilan écologique global de la chasse, tout comme les très nombreux déplacements des chasseurs pour aller « prélever ».
L’argument de la régulation
Aux arguments de régulation qui contrediraient l’impact négatif sur les animaux : les arguments en faveur de la chasse comme outil de gestion de la biodiversité sont aujourd’hui remis en question par de nombreux experts et associations.
La Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et le Conseil d’État rappellent que l’efficacité de l’élimination d’espèces classées « nuisibles » n’est pas démontrée. Les dégâts imputés à la faune sauvage sont rarement établis avec précision, et la régulation létale n’évalue pas l’impact sur l’état de conservation des espèces ni leur rôle écologique.
De plus, la chasse, surtout lorsqu’elle est pratiquée en dehors des périodes naturelles de régulation, peut déranger la faune en pleine période de reproduction et nuire à la dynamique des populations.
Le cas du loup

Des études menées en France et en Europe démontrent que le retour du loup a un impact positif en cascade sur l’ensemble de l’écosystème :
- Selon WWF, en régulant les populations d’ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers), le loup favorise la régénération des forêts, la croissance des jeunes arbres et la diversification des habitats, ce qui profite à de nombreuses espèces animales et végétales, y compris des espèces rares ou menacées.
- La présence du loup limite la surabondance d’herbivores, réduit la pression sur la végétation et contribue à la santé globale des populations d’ongulés, car -contrairement au chasseur – il prélève en priorité les individus faibles, malades ou âgés.
- Le loup a aussi un effet indirect : il régule les populations de « méso-prédateurs » (renards, martres), ce qui permet à de petits animaux, comme les oiseaux forestiers, de prospérer.
- Enfin, la présence du loup peut réduire les accidents de la route impliquant des ongulés, générant des bénéfices économiques pour la société.
Les recherches actuelles et les retours d’expérience en France et ailleurs en Europe montrent donc que la coexistence avec les prédateurs naturels, comme le loup, est une solution plus durable et bénéfique pour la biodiversité que la régulation artificielle par la chasse.
Or, la chasse n’étant pas un régulateur positif, il est raisonnable de qualifier son impact sur la biodiversité de fléau global et incomparable qui – contrairement au cas des chats – ne se limite pas seulement aux oiseaux ou à la petite faune.
En outre, les défenseurs des animaux et les écologistes sont formels : une cause n’empêche pas l’autre et les stratégies d’homme de paille ne fonctionnent pas. Le respect des vies animales et de leur équilibre étant une priorité, les associations œuvrent autant pour la stérilisation des chats et la régulation des adoptions que contre l’ampleur de la problématique cynégétique en France.
– Maureen Damman
Image d’entête de gauche à droite @Sebastian Pociecha/Unsplash & @katerinavulcova/Pixabay















