Inverse du Greenwashing, le greenhushing est le fait de camoufler ses engagements environnementaux et éthiques, voire de les supprimer, pour ne pas paraître trop vert. Un recul tout aussi préoccupant pour l’avenir écologique de nos sociétés. 

Alors que le greenwashing – la communication trompeuse sur des actions “vertes” – a longtemps été dénoncé par les ONG, les médias et les consommateurs, une tendance inverse s’impose dans le paysage économique mondial : le greenhushing, ou éco-silence en français.

Ce terme, contraction de “green” (vert) et “hushing” (se taire), désigne la stratégie de plus en plus répandue des entreprises consistant à minimiser, voire à cacher, leurs actions en faveur de l’environnement ou de pratiques vertueuses. 

Par peur des critiques, du “name and shame” ou de poursuites pour éco-blanchiment, de nombreux acteurs économiques choisissent désormais la discrétion, voire la suppression des politiques et des actions éthiques. Encore un mal qui pourrait ralentir la transition écologique et qui concernerait au moins une entreprise sur cinq.

Greenhushing : le silence discret des entreprises qui menace la transition écologique

Apparu pour la première fois en 2008 dans une étude du cabinet Treehugger, Le greenhushing a émergé dans le débat public à la suite de la multiplication des scandales de greenwashing et de la défiance croissante envers les faux discours environnementaux d’entreprise. 

Selon The Conversation, la pratique consiste à revoir ses promesses à la baisse ou à ne pas communiquer sur ses actions écologiques, même lorsqu’elles sont réelles, pour éviter d’être accusé d’exagération ou de mensonge. 

« un quart des grandes entreprises mondiales ayant pris des engagements climatiques “net zero” ne les communiquent plus publiquement »

Un rapport du cabinet South Pole (2022) a révélé que près d’un quart des grandes entreprises mondiales ayant pris des engagements climatiquesnet zero ne les communiquent plus publiquement, un chiffre qui atteint 58 % selon une enquête plus récente menée auprès de 1 400 entreprises dans le monde. Janice Lee, directrice de recherche chez South Pole, explique : Le greenhushing est une stratégie défensive qui traduit un climat de défiance inquiétant.” 

Ce “silence stratégique” touche tous les secteurs : énergie, finance, industrie, agroalimentaire, luxe. Plusieurs banques européennes majeures ont ainsi cessé de publier certains indicateurs de décarbonation, alors que des ONG comme BankTrack dénoncent leur rôle persistant dans le financement des énergies fossiles.

Quant aux entreprises engagées et proposant des services en lien avec le changement climatique, elles communiquent de moins en moins sur leurs propres engagements : elles sont 88 % à déclarer moins communiquer sur le sujet, même si 93 % respectent leurs objectifs en la matière, selon South Pole. 

Aux origines du greenhushing 

« face à l’exigence citoyenne et la crainte d’être publiquement épinglées pour greenwashing, beaucoup d’entreprises – plutôt que de véritablement appliquer leurs promesses – ont préféré revenir sur leurs effets d’annonce »

ONG, médias indépendants et consommateurs, mieux informés sur ces sujets, surveillent de près les exagérations ou omissions qui pourraient endormir l’esprit critique en la matière – à raison.  

Or, face à cette exigence citoyenne et la crainte d’être publiquement épinglées ou poursuivies pour “éco-blanchiment” (greenwashing), beaucoup d’entreprises, plutôt que de véritablement appliquer leurs promesses, ont préféré jouer la carte de la prudence excessive et revenir sur leurs effets d’annonce. 

Exemple parfait du “backlash” – réaction collective, soudaine et critique d’un groupe face à un changement ou une décision – en 2020 : la compagnie pétrolière BP a été critiquée pour sa campagne “Beyond Petroleum” qui présentait l’entreprise comme un acteur majeur de la transition énergétique. Un culot que plusieurs ONG, comme WWF et des médias, ont alors dénoncé comme en “décalage” total avec les investissements réels de BP dans les énergies fossiles. Cette controverse a poussé BP à ralentir sa communication publique sur certains engagements pour éviter de nouvelles accusations.

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L’incertitude réglementaire et juridique

En France, la loi Climat et résilience interdit depuis le 1er janvier 2023 aux annonceurs d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est “ neutre en carbone », “ biodégradable ” ou “respectueux de l’environnement” ; sans publication du bilan d’émissions de gaz à effet de serre (bien que les astuces pour vendre des produits soi-disant écologiques ne manquent pas), risquant alors une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. 

L’encadrement des revendications environnementales se renforce aussi en Europe avec la proposition de directive sur les allégations écologiques (“Green Claims Directive”), présentée en mars 2023. Cette directive vise à lutter contre le greenwashing en exigeant que les entreprises justifient leurs prétentions environnementales au moyen de preuves scientifiques et fassent vérifier ces allégations par des organismes indépendants avant de les communiquer au public. Elle impose également des sanctions en cas de non-conformité.

Aux États-Unis, la Federal Trade Commission (FTC) a mis à jour ses Green Guides en 2023 pour mieux encadrer les allégations environnementales des entreprises. Ces directives renforcées visent à prévenir le greenwashing et augmentent les risques de poursuites pour les entreprises qui font des déclarations trompeuses ou non vérifiables sur leurs engagements écologiques.

La pression contre le “Woke capitalism”…

Drill baby drill” : cerise sur le gâteau, avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, plusieurs grandes institutions financières américaines, dont BlackRock, ont vu leurs engagements climatiques remis en cause. Trump avait en effet critiqué le woke capitalism et soutenu des positions favorables aux énergies fossiles.

Entre climat d’incertitude et pressions implicites sur les acteurs financiers, certaines institutions comme State street et Vanguard, ont revu leur communication pour éviter les polémiques politiques et les accusations de wokisme, voire la censure ou la fermeture immédiate. 

Conséquence : une transition écologique encore plus lente

Selon The Conversation, la transition écologique est un processus long et surtout,  incertain, or des entreprises honnêtes mais en évolution risquent également de freiner des quatre fers, craignant d’être jugées sur chaque étape, chaque retard ou chaque ajustement. Le greenhushing devient alors une stratégie de gestion du risque réputationnel qui peut, au mieux, rendre les entreprises plus humbles dans l’attente de résultats concrets, au pire rendre frileux de tout engagement.

Conséquence directe de cette retenue : d’ici-là, les entreprises revoient leurs objectifs à la baisse. Ainsi, l’ambition du géant pétrolier BP de réduire de 35 % à 40 % son empreinte carbone pour 2030 a été réduite à 20-30 %. Idem pour Shell qui déclarait cesser d’investir davantage dans les énergies renouvelables.

Le géant Amazon est également revenu sur son engagement de réaliser 50 % de ses livraisons “zéro carbone” en 2030. La multinationale promet à présent une neutralité de toutes ses activités à l’horizon 2040, soit 10 ans plus tard que l’objectif initial.

Le silence appelle le silence

Avec toutes autorisations

Autre conséquence, le greenhushing prive alors le débat public d’informations essentielles sur les progrès et les difficultés de la transition écologique. 

Selon Carbon Market Watch, le silence des entreprises ralentit l’émulation positive, empêche la comparaison entre acteurs et complique le suivi des engagements climatiques à l’échelle mondiale”. 

Surtout, en cachant leurs actions, les entreprises prennent le risque de voir leur crédibilité entamée si leurs efforts sont découverts par d’autres canaux. La transparence, même imparfaite, reste un gage de confiance pour les parties prenantes. 

Aussi, le manque de données publiques sur les émissions, les plans de transition ou les résultats effectifs compliquent le travail des régulateurs, des chercheurs et des ONG, ce qui freine la mobilisation collective nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris ou de la neutralité carbone.

Une réponse : la transparence et la nuance 

@Artem Beliaikin belart84/Unsplash

Plusieurs experts plaident pour une transparence “honnête et nuancée”, qui reconnaît les progrès, mais aussi les difficultés, les échecs et les limites. La communication environnementale doit devenir un outil de dialogue, pas seulement de valorisation opaque de l’image de l’entreprise. 

Le développement de standards internationaux et indépendants, robustes, tels que le SBTi (Science Based Targets initiative), le CDP (Carbon Disclosure Project) et le GRI (Global Reporting Initiative), joue un rôle clé dans la crédibilisation des engagements climatiques des entreprises. Ces référentiels fournissent des cadres normatifs reconnus permettant de structurer, mesurer et communiquer de façon transparente les performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).

Loin d’ouvrir à un renversement rhétorique – à savoir culpabiliser les lanceurs d’alertes, ONG et médias qui discréditent les pratiques abusives à juste titre – cette situation doit mettre en lumière le manque d’obligations et d’ambition réelles s’agissant des multinationales et grands pollueurs. Les critiques contre le greenwashing doivent forcer les entreprises à appliquer leurs déclarations et à consolider la cohérence de leur stratégie globale, plutôt qu’à tout abandonner. Mais leur régression en dit long sur leur volonté réelle d’appliquer un jour leurs promesses. 

En conclusion, les régulateurs doivent encourager la publication d’informations environnementales fiables, tout en sanctionnant les abus. Les ONG et les médias ont un rôle à jouer pour valoriser les démarches sincères et dénoncer les dérives. Pour éviter que le silence ne devienne la norme, il est urgent de repenser la communication environnementale : saluer les progrès réels, reconnaître les difficultés, et instaurer un climat de confiance et d’exigence partagée. La transition écologique ne pourra réussir sans une mobilisation collective bruyante, mais fondée.

–  Maureen Damman


Photo d’entête @

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