L’envie de voyager semble être inscrite dans les gênes d’Eliott Schonfeld, un jeune homme de 25 ans. À peine revenu d’Asie, il repart en Amérique du nord, pour une traversée en solitaire, avec le moins d’impact possible sur l’environnement. 1800 kilomètres de canoë et 900 kilomètres de marche plus tard, il nous propose des images spectaculaires.

Il y a un peu plus d’un an, Eliott Schonfeld nous contactait pour nous partager son expérience, suite à un voyage unique en Mongolie. Aujourd’hui, revenu d’un périple de trois mois en Alaska tout aussi spectaculaire, il nous livre un témoignage personnel au gout de « Into the Wild« 


Bonjour Eliott. Lors de notre dernier échange, tu revenais tout juste d’un long voyage en Mongolie. Indéniablement, pendant ta traversée de l’Alaska, tu as traversé des paysages à couper le souffle. Qu’est ce qu’on l’on ressent lorsqu’on passe plusieurs mois en pleine nature ? 

J’ai grandit dans un milieu urbain. Je considérais la ville comme mon milieu naturel jusque encore très récemment. Donc quand je me rends dans une nature sauvage c’est toujours un choc. Ce n’est pas juste un changement de paysage ou de lieu, c’est un changement de paradigme, dans la manière de penser, d’agir, de comprendre ce qui nous entoure et de concevoir notre place.

Le but de ce voyage était de se fondre dans la nature, je me suis donc fixé quelques règles. Premièrement, je n’avais pas le droit de suivre de route, de chemin, ni même de sentier de randonnée, je devais créer mon propre passage et entrer le plus profondément possible dans le sauvage. J’ai donc planifié mon itinéraire là où il n’y avait aucune route, aucune habitation, aucune infrastructure humaine. En Alaska ce n’est pas si dur à trouver. La deuxième règle était que mon sac devait comporter bien moins de choses que dans mes précédents voyages (finis les réserves de nourriture, les trois pulls, le tapis de sol, le filtre à eau, le réchaud). J’ai éliminé l’utile et n’ai gardé que l’indispensable.

Malgré la faim, la douleur et la fatigue, j’ai réalisé à quel point être là me rendait libre, vivant et heureux.

Ce changement radical a été très dur dans les premières semaines, puis j’ai commencé à m’adapter, à comprendre comment je devais me comporter pour survivre plusieurs mois ici. J’ai appris quelles plantes, quels champignons, quels fruits étaient comestibles, j’ai appris à pêcher, je faisais des feux la nuit pour me réchauffer, je buvais et me lavais dans les rivières. Pour me déplacer plus facilement, j’ai compris qu’il fallait que je suive les chemins formés par les grizzlis et les caribous dans la forêt.

C’était la première fois de ma vie que je me retrouvais aussi longtemps seul dans une nature aussi sauvage. J’avais l’impression de découvrir l’origine du monde, l’origine du vivant. Malgré la faim, la douleur et la fatigue, j’ai réalisé à quel point être là me rendait libre, vivant et heureux. Je n’ai jamais eu le sentiment de survivre mais toujours de vivre pleinement.

J’étais né avec l’idée que la nature était barbare, violente, je découvrais désormais que la barbarie était de s’en éloigner. Alors que je pensais être inséré dans le monde, je réalisais que le contact avec la ville m’avait en réalité « dés-inséré ». J’ai compris que cette beauté, ces animaux, ces plantes, ces paysages, toute cette nature sauvage, a une valeur infiniment supérieure à tout ce que l’on produit en la détruisant. La nature me redonne une joie pure d’exister.

Depuis plusieurs siècles maintenant, la société moderne grandit avec l’idée que la nature est notre opposée, qu’elle est un ennemi, qu’il faut absolument la contrôler, la dominer, la détruire sous peine qu’elle le fasse à notre place. Cette vision, même inconsciemment, est très ancrée chez nous, on a peur de la nature, on la considère comme hostile et on est tellement conditionné à vivre dans des habitats urbains qu’on peine à s’imaginer comment vivre autrement, à percevoir des alternatives. Ce voyage m’a prouvé qu’on peut se réconcilier avec la nature, qu’il existe des alternatives plus heureuses où l’on est plus autonome, où l’on apprend à faire plus de choses soi-même.

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Peux-tu en dire un peu plus sur la manière dont tu t’es nourri et sur les éventuelles difficultés que tu as rencontré ? 

Un des objectifs de ce voyage était pour la première fois d’atteindre une autonomie alimentaire en parvenant à me nourrir par mes propres moyens. C’est à dire avec ce que je trouvais dans la nature. Je me suis acheté une canne à pêche et j’ai appris à pêcher. Pour manger les poissons je devais me dépêcher parce que l’odeur attire les ours. Dès que je passais par une crique où une petite rivière où je pouvais voir nager des poissons, je m’arrêtais pour attraper mon déjeuner ou mon diner. Pour les plantes et les champignons, j’ai acheté un livre sur la flore alaskienne dans le village de Dawson où je suis passé en canoë. Grâce à cela, j’ai pu reconnaître des champignons comestibles, mais je cueillais surtout des myrtilles et des groseilles. Il y en a partout dans la toundra, c’est une des sources d’alimentation principale des ours. Malgré tout, j’avais presque toujours faim et je continuais à me ravitailler en riz les quelques fois où j’ai pu croiser un village. 

Il y a aussi une fois, environ au milieu de ma marche, où j’ai découvert au bord d’un lac, une mine abandonnée. Les cabanes des mineurs n’étaient pas très loin et en y entrant j’ai pu constater sur le calendrier que l’activité du lieu s’était arrêté à la fin des années 80. En continuant à visiter ce minuscule village fantôme, je suis arrivé dans la cuisine et là j’ai cru rêver. En ouvrant les placards je suis tombé sur des tonnes de nourriture, riz, pâtes, confitures, beurre de cacahuètes, céréales, farine… Je suis resté plusieurs jours à manger, à lire la collection de National Geographic des années 70 et 80 et à dormir dans les cabanes des mineurs.


Quel est ton meilleur souvenir du voyage ? 


Maintenant, en grandissant, je réalise aussi que l’objectif qui est celui de mes voyages, à savoir se réconcilier avec la nature ne passe pas forcément par des longs voyages aux quatre coins du monde. Parvenir à s’occuper des plantes, à avoir un potager, quelque part en France, qui me permettra de vivre en autonomie me fait aujourd’hui autant rêver que d’aller parcourir le monde.

La journée du 15 aout 2016. Au début, ça s’annonçait comme une des pires journées de mon voyage. Depuis plusieurs jours, je marchais sur le versant d’une petite montagne qui plonge dans une rivière, la Wild River. Chaque pas demande un effort considérable, la végétation m’empêche d’avancer, je suis dans un état d’épuisement très avancé. Les jours précédents, j’étais parvenu à accepter toute cette douleur, cette fatigue. Mais ce jour-là, je me suis senti à bout de force et je me suis vraiment demandé comment j’allais faire pour surmonter tout cela. Je ne pouvais plus abandonner à ce stade. J’étais trop loin du dernier village, cela faisait 15 jours que je n’avais vu aucun signe du reste de l’humanité, même pas un avion dans le ciel, même pas un déchet, et il fallait que je continue.

Et puis j’ai décidé de traverser la rivière à la nage pour voir s’il était plus facile d’avancer sur la rive opposée. Ce fut le cas. De l’autre côté, je trouve des sentiers créés par les ours et les orignaux à travers la forêt et j’ai pu marcher très vite et surtout j’ai repris plaisir à être là, en plein milieu de la nature sauvage d’Alaska. J’ai eu l’impression de revivre, d’être libéré. Le chemin fait par les animaux était si bon que je pouvais même courir parfois. Je n’avais plus besoin de me battre avec la végétation, plus besoin de faire attention à chacun de mes pas pour éviter de chuter, plus besoin de lutter contre la douleur. À nouveau disponible, mon esprit aussi s’est libéré. Des dizaines de pensées, des souvenirs, des rêves, des interrogations, se sont mises en route dans tous les sens et j’ai marché des heures et des heures sans voir le temps passer.

J’ai quitté la forêt, puis j’ai fait mes premiers pas dans la toundra, cette partie du monde où il fait si froid que plus aucun arbre n’y pousse. J’ai avancé dans une immense plaine parsemée de mousses et de lichens, de toutes les couleurs imaginables, comme si je marchais sur une peinture, l’horizon dégagé à des kilomètres sur les somptueuses montagnes de Brooks, vers lesquelles je me dirige.

Un peu plus tard, j’ai été extirpé de mes pensées. Un énorme grizzly m’a chargé du haut d’une colline et a foncé vers moi en courant avant de s’arrêter à 15 mètres de distance. Le temps s’est arrêté, j’ai senti mon cœur s’emballer. On s’est regardé pendant environ dix secondes, j’étais partagé entre la peur et la joie de me retrouver à quelques pas d’un des animaux les plus beaux et dangereux que j’ai rencontré. Sans aucun doute les dix secondes les plus intenses de ma vie. Puis il est repartit en courant, comme un enfant, ravi de m’avoir effrayé. Seulement une heure plus tard, j’ai aperçu mon premier loup arctique. Grâce au vent de face, il a mit très longtemps avant de m’entendre et de me sentir alors j’ai pu m’approcher et l’observer de très près pendant de longues minutes, jusqu’à ce qu’il m’aperçoive et s’enfuie.

En reprenant la marche, je tremblais de joie et j’ai eu l’impression pour la première fois, de faire partie de ce monde sauvage, d’y appartenir, et de ce qui m’apparaissait le matin même comme un chaos invivable, se dégageait maintenant une forme d’harmonie.

Depuis notre dernière rencontre, tes recommandations à ceux qui voudraient partir à l’aventure ont-elles changées ?

Une chose importante est de bien connaître son corps, de connaître ses limites pour ne pas se mettre en danger. Mis à part cela, la seule chose importante pour réaliser ce type de voyage est l’envie. C’est d’une banalité affligeante de dire cela mais c’est pourtant vrai. Si l’on a réellement envie de réaliser un tel projet, si l’on a suffisamment confiance en soi et qu’on est déterminé, alors on a toutes les chances d’y parvenir. Les préparatifs et l’organisation sont des détails, il suffit de lire des livres, de se renseigner sur internet, de parler avec des gens qui ont un peu d’expérience et ensuite on peut y aller.



Depuis plusieurs siècles maintenant, la société moderne grandit avec l’idée que la nature est notre opposée, qu’elle est un ennemi, qu’il faut absolument la contrôler, la dominer, la détruire sous peine qu’elle le fasse à notre place.

Je pense que pour avoir la détermination nécessaire à la réalisation d’un projet il faut trouver du sens à ce projet. Or c’est mon cas, lorsque je voyage de cette manière là, je fuis les problèmes du monde et j’ai l’impression de trouver ses solutions. En faisant ce que je fais, j’ai l’impression de changer le monde, à mon échelle bien sûr.

Maintenant, en grandissant, je réalise aussi que l’objectif qui est celui de mes voyages, à savoir se réconcilier avec la nature ne passe pas forcément par des longs voyages aux quatre coins du monde. Parvenir à s’occuper des plantes, à avoir un potager, quelque part en France, qui me permettra de vivre en autonomie me fait aujourd’hui autant rêver que d’aller parcourir le monde.


Sources : Propos recueillis par l’équipe de Mr Mondialisation / Toutes les images à la discrétion d’Eliott Schonfeld

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