En février 2021, l’Espagne a pris un tournant historique avec l’interdiction de la chasse au loup sur tout son territoire, celle-ci témoignant d’une réflexion nouvelle quant au rapport de l’humain au monde sauvage. La coexistence pacifique plutôt que la persécution, c’est la piste abordée dans le film Amenaza, en cours de réalisation. Y est relaté le quotidien d’un éleveur de brebis dans le Nord-Ouest du territoire espagnol, qui mise sur la cohabitation avec le loup ibérique. Une campagne de financement est en cours.
Passant d’animal vénéré à exécré au cours de l’histoire, victime depuis des siècles d’une crainte hostile véhiculée par le monde agricole et celui de la chasse, le loup a longtemps été persécuté, mais aussi diabolisé dans les imaginaires, devenant un objet majeur de méfiance dans les légendes et contes populaires.
Cette peur anachronique datant du Moyen-Âge, période où le modèle agricole en puissance exigeait un défrichement à large échelle dans un but d’augmentation de surfaces cultivées et d’expansion des communautés humaines, a fini par conduire à l’éradication de certaines sous-espèces de ce canidé en Europe.
Sauvé de l’extermination en 1992 par la législation européenne, Canis lupus a pu reconquérir certains territoires de l’Europe de l’Ouest, quoique timidement, toujours sujet à la haine quasi-viscérale de nombreux éleveurs craignant pour leur bétail, sans parler de la concurrence avec les chasseurs pour les proies sauvages.
Amenaza : cohabiter plutôt qu’éradiquer
La décision madrilène d’interdire la chasse au loup sur le territoire espagnol a constitué un véritable bond en avant au regard des politiques écologistes sur le territoire européen. Vivement décriée par ceux qui refusent obstinément la cohabitation et qui souhaiteraient poursuivre les hostilités, cette mesure salvatrice constitue une victoire, et pas des moindres, pour la biodiversité, à l’heure où son effondrement constitue une des plus grandes menaces pour la planète.
Le nombre d’individus présents dans la péninsule ibérique est estimé entre 2 000 et 3 000. Ainsi, l’Espagne fait partie, avec l’Italie, des régions recelant les plus grandes populations de loups en Europe; même s’il a définitivement disparu d’Andalousie.
Si l’extermination des loups demeure un objectif pour d’aucuns qui peinent à comprendre la nécessité de préserver le monde sauvage, d’autres commencent à envisager une cohabitation durable entre le monde humain et le monde du canidé. C’est le cas du personnage central d’Amenaza, qui fait partie d’un nombre grandissant d’éleveurs et de bergers de la péninsule ibérique qui sont aujourd’hui persuadés qu’une coexistance pacifique avec le loup n’a rien de chimérique. Ce film documentaire racontera ainsi sa relation avec le loup ibérique (Canis lupus signatus), avec qui il cherche à cohabiter sereinement. Amenaza (« la menace » en espagnol) est en cours de réalisation par 12 cinéastes animaliers.
Tourné dans le Nord-Ouest de l’Espagne, zone où ces prédateurs n’ont jamais été totalement éradiqués et qui témoigne depuis longtemps d’une forte collision avec le monde de l’élevage, ce documentaire de 52 minutes a pour objectif de présenter une région qui, à l’inverse de la France où le loup ne revient doucement que depuis 1992, a toujours été soumise à la problématique de la coexistance avec le monde sauvage.
« C’est dans les paysages sauvages et montagneux de la Cordillère Cantabrique que le film prendra place, sous les allures d’un western moderne. Un étalonnage singulier, des ambiances sonores détaillées et une musique de choix viendront sublimer les images du quotidien de Maria et des loups. »
Amenaza prévoit de suivre loup et berger de manière simultanée, montrant leurs liens respectifs avec un même écosystème. Un film en immersion totale dans la réalité de quelques humains et canidés qui cherchent à s’adapter au monde qui les entoure. Loin de basculer dans un récit utopiste, le but d’Amenaza est de mettre en avant le quotidien et les difficultés rencontrées par les bergers, en parallèle du vécu du loup qui tente de survivre face aux dangers multiples auxquels il est sujet. Une cohabitation possible, mais pas des plus simples.
Les tirs de loup : inutiles, voire contre-productifs
Plusieurs études, dont une internationale publiée en 2016, ont démontré que seules les mesures de protection des troupeaux permettent de prévenir les attaques et diminuer les pertes de bétail pour les éleveurs. Tuer des loups produit en réalité l’effet inverse. Dans près de la moitié des cas, les attaques sur les troupeaux augmentent suite à l’abattage d’un loup. Les loups étant des êtres sociaux et leurs meutes étant structurées, la perte d’un membre peut gravement altérer leur fonctionnement.
Il existe aujourd’hui de nombreuses mesures préventives (dont les clôtures électriques et les chiens de garde) qui, lorsque mises en place adéquatement, se sont avérées bien plus efficaces que les abattages. Bien qu’encore insuffisantes, il existe des subventions pour ces méthodes de protection dans de nombreux pays européens, dont la France et l’Espagne.
La négligence demeure le principal facteur des attaques de loups sur les troupeaux comme en témoignent notamment certains bergers de la péninsule ibérique. Qui plus est, ces prédateurs ont pour proies de choix les ongulés sauvages qui sont également « régulés » par les chasseurs. Réduire le nombre de proies sauvages pour les loups, qui ont le rôle de régulateurs naturels de la faune sauvage, ne peut ainsi avoir que pour effet une augmentation des attaques sur les animaux d’élevage.
Des êtres essentiels aux écosystèmes
Prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire, n’en déplaise aux humains qui voudraient que le monde leur appartiennent, les loups jouent un rôle crucial dans les équilibres écosystémiques et leur présence peut avoir de nombreux effets bénéfiques en cascade sur la biodiversité. En s’attaquant aux proies les plus faibles, les loups contribuent à diminuer la propagation des maladies au sein de diverses populations animales (ce qui, soit dit en passant, vaut également pour les troupeaux d’élevage). Prévenir d’éventuelles épidémies permet ainsi de veiller à la santé globale des espèces chassées par ces canidés.
D’autre part, ils évitent la surpopulation de certains herbivores et donc ipso facto la surexploitation par ces derniers des ressources végétales, contribuant ainsi à la diversité des plantes dans une zone donnée. Cette diversité conduit à des écosystèmes plus résilients, capables de mieux résister aux perturbations et divers changements environnementaux.
En outre, la présence des loups influe sur les paysages, allant de la densité des forêts à la structure des cours d’eau (ce qui influence à son tour l’élaboration d’habitats pour d’autres espèces du fait de la disponibilité de cette ressource vitale) comme le montre notamment le fameux exemple du parc naturel régional de Yellowstone (à ce sujet, nous recommandons le superbe documentaire Arte « Les loups, sauveurs du parc de Yellowstone ») où leur réintroduction a eu des conséquences extraordinaires en matière de biodiversité et de rééquilibrage géographique.
De surcroît les loups, par leurs caractères sociaux et territoriaux, ont la capacité innée de s’auto-réguler, ce qui signifie qu’aucune intervention humaine n’est nécessaire pour veiller à l’équilibre de leurs populations. Une dynamique naturelle qui ne manque pas d’être perturbée par des activités humaines telles que la chasse et la destruction des habitats.
Au temps de la collaboration…
Dès la Préhistoire, les loups et les humains partageaient des territoires de chasse communs. En témoignent l’art préhistorique et les indices archéologiques qui ont mis en évidence une certaine dépendance entre le loup et l’humain. Selon une théorie émise il y a une dizaine d’années par la paléoanthropologue américaine Pat Shipman, ce n’est rien d’autre que l’alliance entre Homo Sapiens et Canis lupus pour la chasse des grands herbivores (mammouths, bisons) qui aurait causé la disparition de l’homme de Néandertal il y a 40 000 ans.
Les loups auraient eu pour mission de traquer et d’épuiser les proies pour que l’Homo Sapiens puisse ensuite les achever à l’aide des armes de l’époque. Cette alliance représentait un moindre danger pour les loups qui n’avaient plus besoin d’attaquer les animaux au péril de leurs vies. Les humains, à leur tour, se retrouvaient à dépenser moins d’énergie pour traquer leurs proies. La viande aurait ensuite été partagée.
Des millénaires de cohabitation ont conduit à une vénération du loup dans de nombreuses religions païennes, des croyances polythéistes profondément enracinées dans le lien de l’humain avec son environnement. Le développement de l’agriculture, et plus particulièrement de l’élevage, a aussi été un point de départ dans le changement de la perception du loup, qui est peu à peu passé de créature mythique admirée à menace pour le bétail qui doit être éradiquée.
L’expansion du christianisme a, quant à elle, signé l’arrêt de mort de religions païennes profondément respectueuses de la nature à travers l’Europe. À ce jour, le suprémacisme humain continue de régner à travers la planète dont il ravage éhontément chaque recoin.
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– Elena M.
Photo de couverture : Flickr