Les chiffres sont tombés : le géant du nucléaire a annoncé une perte record de 4,8 milliards d’euros pour 2014. Un gouffre financier qui a poussé Areva à annoncer plusieurs milliers de suppression d’emplois pour éviter la faillite. Comment en est-on arrivé là ? Nos explications dans ce dossier.

Ce naufrage, c’est celui du nucléaire français qui refuse depuis de nombreuses années tout débat, toute critique et toute transparence. Areva est souvent présenté comme le « fer de lance du nucléaire français » malgré ses milliards de pertes depuis 4 ans, malgré Fukushima dont elle livrait le combustible, malgré les échecs retentissants de l’EPR, malgré les accusations de corruption en Afrique, malgré les nombreux avertissements et rapports des ONG, journalistes et scientifiques. Areva est plus que jamais au bord de la faillite. Et maintenant ? Serait-ce le bon moment pour démocratiser enfin le débat énergétique en France, accaparé depuis plusieurs décennies par le lobby du nucléaire ?

4,8 milliards d’euros en 2014, 500 millions d’euros en 2013, 2,4 milliards d’euros en 2011…les pertes d’Areva, leader mondial du nucléaire, sont gigantesques. Le géant est tombé, lourdement, emportant avec lui une bonne fois pour toutes les revendications de « modèle industriel français » que beaucoup brandissaient, malgré les nombreux problèmes et accusations énoncées ci-dessus. Sans rentrer dans l’anti-nucléaire dogmatique, nous allons tenter de reprendre point par point les problèmes qui ont aboutit à cette catastrophe économique et industrielle qui coutera, comme souvent avec le CAC40, très cher au contribuable français – le groupe étant détenu à 87 % par le CEA et l’État.

Fukushima : une catastrophe qui concerne directement Areva

Areva est l’un des acteurs principaux de la catastrophe de Fukushima, survenue le 11 Mars 2011 au Japon. Le groupe français fournissait à Tepco (l’opérateur de la centrale japonaise) le combustible utilisé dans les réacteurs : le MOX. Très critiqué par les écologistes et certains scientifiques, le MOX est un assemblage d’uranium appauvri et de plutonium issu du retraitement des déchets des centrales françaises ou des stocks d’armement nucléaire américain.

Considéré comme très toxique et hautement instable à cause du plutonium, il fait partie du combustible qui a fondu durant la catastrophe de Fukushima, ce qui a mis fin aux exportations du dangereux produit au Japon et ralenti son utilisation dans le monde, pour laquelle Areva est en situation de monopole avec 90% de parts de marché.

« Ce combustible est un million de fois plus radioactif que l’uranium de base. Sa radioactivité et sa plus grande chaleur rendent sa manipulation complexe. En cas de perte du système de refroidissement, sa présence dans le réacteur et dans les piscines aggrave les conséquences possibles » , explique Bernard Laponche, physicien nucléaire et cofondateur de l’association scientifique Global Chance.

Malheureusement, suite à de nombreuses pressions diplomatiques, Areva a obtenu le droit d’exporter à nouveau du MOX au Japon en Avril 2013, contre l’avis de nombreux experts, des ONG environnementales et surtout de la population japonaise, encore traumatisée par les évènements. L’économie d’abord. Mais quelle économie ?

Comble du cynisme, Areva a décroché en 2011 le contrat de décontamination de l’eau radioactive utilisée en quantité phénoménale à Fukushima pour refroidir les cœurs des réacteurs endommagés. Son système de décontamination accumula malheureusement les problèmes et n’atteint pas ses objectifs. Pire : il se contamina lui-même et cessa d’être utilisé par Tepco dès 2012…d’où une très grande frilosité des japonais à réutiliser des produits « made in Areva » à l’avenir.

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L’uranium : une ressource polluante et non renouvelable…

C’est surement le problème central du nucléaire actuel, et un sujet très peu abordé par Areva et les autorités françaises : l’approvisionnement en Uranium. Ce minerai est par définition limité en quantité et dans le temps, et pourtant indispensable au fonctionnement des centrales. Ce qui fait du nucléaire une source d’énergie non renouvelable, au même titre que les énergies fossiles. Une situation qui rend, de plus, la France totalement dépendante de l’importation du minerai pour fournir ses centrales – le pays a fermé sa dernière mine d’uranium en 2001, mettant fin au mythe de l’indépendance énergétique. Le nucléaire ne peut donc pas faire partie de la transition énergétique (mais il pourrait l’accompagner temporairement, en support au renouvelable), qui se veut propre, durable et soutenable socialement et économiquement. Autant de critères que ne respecte pas l’uranium.

Importé du Niger ou du Kazakhstan, le combustible est extrait dans des mines dégageant une très forte pollution radioactive et chimique, contaminant villages, sols, nourritures et cours d’eau. Les mines et usines d’uranium sont parfois elle-mêmes alimentées par des centrales à charbon extrêmement polluantes. Les rapports scientifiques des ONG sur les graves atteintes à l’environnement au Niger s’accumulent depuis des années dans un silence assourdissant.

En 2010, la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) a publié un rapport accablant sur les pollutions générées par les sociétés SOMAÏR et COMINAK, filiales du groupe AREVA exploitant des gisements d’uranium en bordure de villes au nord du Niger : matériaux radioactifs dispersés dans l’environnement, contamination de l’air par du radon 222, contamination et sur-exploitation des nappes phréatiques…ainsi que 30 millions de tonnes de résidus radioactifs accumulés. Lire ici les explications de Bruno Chareyron, responsable du laboratoire de la CRIIRAD, qui travaille en partenariat avec l’association nigérienne AGHIR IN MAN.

Ranger_Uranium_Mine_02Mine d’uranium Australie – source : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ranger_Uranium_Mine_02.jpg

…entachée par la corruption et le pillage des pays producteurs

Autre point très sensible : le fonctionnement autoritaire et corrompu du « système Areva » en Afrique. Comment se fait-il que le Niger, qui dispose d’importantes ressources minières, demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète alors que son sous-sol est si riche et exploité depuis des décennies ? La réponse n’est malheureusement guère surprenante : le pays est littéralement exploité par Areva sur fond de corruption et d’évasion fiscale, dans le plus pur style de la françafrique. Les revenus générés par  les mines d’uranium profitent avant tout à Areva et à quelques responsables nigériens, mais pas à la population nigérienne, qui vit dans une grande précarité.

Le 21 janvier 2015, la Cour d’appel de Paris a débouté Areva qui avait attaqué en diffamation l’Observatoire du nucléaire, association française produisant travaux et analyses dans le domaine. L’Observatoire du nucléaire a accusé Areva en 2012 d’avoir offert la somme de 26 millions d’euros au Président du Niger, M. Issoufou, ancien cadre d’Areva, qui s’en est servi pour s’acheter un avion. Une somme versée au moment des négociations pour maintenir les avantages fiscaux dont bénéficient Areva depuis des années pour extraire l’uranium. Pour le moment, aucune enquête n’a été menée sur ce probable scandale politico-financier.

Réacteur EPR : un échec économique et industriel retentissant

Il devait être le « renouveau » du nucléaire français, la « vitrine technologique » d’Areva et des firmes françaises dans le monde : l’EPR (réacteur pressurisé européen) est devenu au fil des années, des retards et des accidents, une catastrophe économique et industrielle. 5 ans de retard, un budget passé de 3,5 milliards d’euros à 8,5 milliards d’euros, Bouygues condamné pour la mort d’un ouvrier, le chantier n’en finit pas d’accumuler les lacunes et les pertes. Pire encore :  le prix du mégawattheure (MWh), estimé au départ autour de 46 euros, dépasse désormais les 116 euros. Soit plus que les énergies renouvelables (dont les prix baissent chaque année) et que le nucléaire actuel.

Trois autres EPR sont en construction dans le monde : deux en Chine et un en Finlande. Ce dernier accumule également les problèmes et devrait être mis en service en 2018, avec neuf ans de retard sur le calendrier initial et un budget passé de 3,5 à 8 milliards d’euros. Selon Mediapart, le chantier finlandais a couté à lui seul 720 millions d’euros de pertes à Areva en 2014.

Moins connu mais tout aussi abyssal, le scandale Uramin a plombé les comptes d’Areva de 3 milliards d’euros. En 2007, Areva a racheté ce groupe minier pour la somme de 2,5 milliards d’euros. Sauf que…ses mines étaient inexploitables. Rien, pas d’uranium en vue. D’enquêtes judiciaires en études complémentaires, ce scandale aura couté 3 milliards d’euros à l’entreprise publique.

eprChantier de l’EPR – source : batinews.fr

Et maintenant : place à la transition énergétique ?

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette multinationale, des 300 millions de tonnes de déchets radioactifs abandonnés sur le territoire français en passant par son greenwashing omniprésent, ses manœuvres politiques, son « musée de l’uranium » (sic), sa tentative avortée d’exploiter des mines d’uranium en terre aborigène…mais nous nous arrêterons là

Place à l’avenir ! Cet échec retentissant ne doit pas empêcher de voir le futur énergétique de manière positive. Au contraire : il souligne l’absolue nécessité de procéder à la transition énergétique, propre, équitable, démocratique et renouvelable. Trop de milliards ont été gaspillés dans les EPR et le seront encore pour le démantèlement des vieilles centrales et le confinement des déchets. Ces mêmes milliards de fonds publics qui manquent cruellement dans la recherche et l’investissement pour développer et améliorer les énergies renouvelables, qui malgré tout, deviennent année après année plus performantes et abordables. Si on prend l’exemple de la France, elle dispose d’une quantité phénoménale d’énergie propre et durable sous-exploitée : sa façade maritime. Vagues (Énergie houlomotrice), marées (énergie marémotrice) et courants sont autant de possibilités pour produire de l’électricité.

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Concrètement, plusieurs ONG telles que négaWatt ont publié des rapports scientifiques sur des scénarios de transition énergétique, avec à moyen terme l’objectif de sortir totalement des énergies fissiles et fossiles. Ces scénarios chiffrés précisément se basent sur 3 axes : sobriété, efficacité énergétique et développement des énergies renouvelables. Mais comme énoncé plus tôt, ces scénarios ne seront réalisables qu’à condition de démocratiser le débat énergétique (et décentraliser la production énergétique), aujourd’hui aux mains de quelques grands groupes et d’une poignée de responsables politiques.

En France, la coopérative Enercoop fournit déjà de l’électricité 100% renouvelable. Idem pour Ecopower en Belgique. Le futur énergétique est à nos portes, sous nos yeux. A nous d’en faire une réalité généralisée et connue du plus grand nombre.


Sources : Mediapart / Bastamag / CRIIRAD

 

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