En mai 2020, l’expansion d’une mine de fer par Rio Tinto a conduit à la destruction d’un site archéologique ancien à Juukan Gorge, en Australie-Occidentale. Une véritable tragédie pour la communauté autochtone, cette grotte ayant révélé des preuves d’occupation humaine remontant à 47 000 ans. Retour sur cette affaire.

Il y a quatre ans, Rio Tinto, géant minier anglo-australien, a détruit l’abri rocheux ancien de Juukan Gorge, situé sur le territoire du peuple Puutu Kunti Kurrama, dans la région de Pilbara en Australie-Occidentale ; ce dans le cadre de l’expansion légale de l’extraction de minerai de fer.

Cette action a suscité non seulement une vague de colère et de désespoir au sein de la communauté des peuples premiers, mais aussi un mouvement d’indignation international, mettant en lumière de graves lacunes dans la législation australienne au regard de la protection du patrimoine culturel autochtone.

Une destruction irrémédiable pour les peuples des Nations premières

Le scandale a rapidement dépassé les frontières australiennes : associations de défense des droits de l’Homme, scientifiques et citoyens du monde entier ont fermement condamné cet acte de vandalisme culturel en 2020. La multinationale Rio Tinto n’en est pas ressortie indemne, perdant la confiance d’une part de ses clients et investisseurs, conduisant plusieurs dirigeants de l’entreprise à démissionner.

En réponse à la pression de l’opinion publique et des communautés autochtones, le gouvernement australien a annoncé des réformes visant à renforcer la protection des sites sacrés et à donner davantage de pouvoir aux communautés locales dans les prises de décision. Comme ce fut par exemple le cas en Equateur à partir de février 2022. 

Mais malgré cette maigre avancée du point de vue législatif, et bien que Rio Tinto ait subi des pertes financières et que certains de ses dirigeants aient été contraints de quitter leur poste, les sanctions officielles ont été très limitées au regard de la gravité de la situation. L’entreprise a été condamnée à verser des indemnités aux communautés aborigènes concernées, mais l’argent peut-il réellement compenser la perte irréversible d’un patrimoine culturel ?

Surnommé Juukan 2, ce site archéologique était d’une valeur inestimable, montrant des preuves d’occupation par les aborigènes pour la première fois il y a environ 47 000 ans.

« les sites archéologiques ne sont pas de simples objets d’étude, mais des lieux chargés d’histoire et d’émotions »

Les fouilles menées en 2014, six ans avant la destruction du site, avaient révélé la présence de milliers d’objets significatifs, tels que des outils, des artefacts, des restes animaux et une tresse de cheveux humains. Ces découvertes témoignent de l’utilisation continue de l’abri, y compris durant la dernière période glaciaire, jusqu’à quelques décennies avant la destruction de la grotte.

Les résultats complets de ces fouilles ont été publiés pour la première fois dans la revue Quaternary Science Reviews en juillet 2024. Ceux-ci nous rappellent paradoxalement que les sites archéologiques ne sont pas de simples objets d’étude, mais des lieux chargés d’histoire et d’émotions qui méritent d’être respectés et protégés pour leur valeur humaine indéniable. Portant le nom d’un de ses ancêtres, Juukan Gorge était bien plus qu’un simple sujet d’étude pour le peuple Puutu Kunti Kurrama – c’était aussi et surtout un élément essentiel de leur identité culturelle.

Juukan Gorge : de l’importance scientifique à la valeur culturelle et humaine

Système de gorges avec une série de grottes arpentant le territoire de Puuntu Kunti Kurrama, Juukan se trouve à environ 60 kilomètres au nord-ouest de Tom Price, dans la région de Pilbara, en Australie-Occidentale. Juukan 2, l’abri rocheux détruit par Rio Tinto était une de ces grottes, partie intégrante d’un système profond incluant des points d’eau douce, de larges campements entourés de massifs de fer et d’une grande rivière active par intermittence.

Juukan 2 constituait l’un des plus anciens habitats connus des populations autochtones d’Australie. Bien que des sites encore plus anciens aient été découverts, notamment à Madjedbebe dans le Territoire du Nord et au large des côtes occidentales de l’Australie, peu d’endroits aussi anciens que Juukan ont été identifiés à l’intérieur du continent.

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Situé à environ 500 kilomètres de la côte actuelle, Juukan Gorge était, il y a environ 10 000 ans, à près de 1000 kilomètres de la mer. Cela témoigne de l’extraordinaire adaptation des populations locales à la vie dans le désert, une capacité confirmée par leur occupation continue de la grotte pendant la dernière période glaciaire (entre 28 000 et 18 000 ans environ). Très peu de preuves directes de présence humaine durant cette période ont été retrouvées sur d’autres sites.

Généralement, une poignée d’artefacts suffit à établir la présence humaine sur un site archéologique. Or, Juukan 2 a permis de trouver des milliers d’objets, dont de nombreux outils recouverts de résine de spinifex, probablement utilisée comme une sorte de colle.

Le site a également révélé des informations précieuses sur la faune de la région au fil des siècles. Des ossements d’animaux morts naturellement et d’autres, liés à la consommation de kangourous, d’émeus et même d’échidnés par les humains ont aussi été découverts. Les fouilles ont permis de trouver l’outil en os le plus ancien connu à ce jour en Australie, fabriqué avec un os de kangourou, il y a environ 30 000 ans.

Parmi les vestiges, une tresse de cheveux humains datant d’environ 3000 ans a également été identifiée. Une analyse ADN a révélé qu’elle appartenait probablement à des membres du peuple Puutu Kunti Kurrama.

L’équipe de chercheurs à Juukan Gorge en 2014 – @ Scarp Archaeology/PKKP Aboriginal Corporation

Juukan Gorge : une cicatrice dans l’âme des autochtones

Ce site ayant été une véritable encyclopédie à ciel ouvert, la destruction de Juukan Gorge aura de nombreuses répercussions sur les futures générations. Les peintures rupestres, les outils et les ossements qui y ont été découverts témoignaient de l’évolution culturelle et technologique du peuple Puutu Kunti Kurrama pendant des millénaires.

Avec la destruction de ces vestiges, c’est une partie essentielle de leur histoire et de leur identité qui a été effacée à tout jamais. Les connaissances transmises oralement de génération en génération finissent par se perdre lorsqu’il n’y a plus de preuves matérielles pour les étayer. Un traumatisme collectif, destiné à satisfaire la soif d’enrichissement éphémère des industriels.

Cette tragédie aux conséquences durables a mis en évidence notamment la fragilité du patrimoine culturel des peuples premiers face aux intérêts économiques privés. Mais au-delà de l’aspect humain, la destruction de Juukan Gorge soulève également des questions fondamentales quant à la souveraineté des peuples autochtones, victimes depuis des siècles de l’oppression occidentale.

Quid de la suite des événements ?

Depuis la destruction de 2020, les chercheurs ont entamé de nouvelles fouilles sur le site. Au cours des deux dernières années, ils ont retiré 150 mètres cubes de décombres qui constituaient autrefois le toit et le mur arrière de la grotte. Sous ces débris, ont été découvertes des traces de matière organique, puis des vestiges du sol d’origine de la grotte.

Les fouilles ont désormais atteint le niveau initial du sol sur la majeure partie du site, et de nouveaux éléments fascinants sont graduellement mis en évidence. Cela inclut de nouvelles tresses de cheveux, des perles de coquillages qui proviendraient de la côte, et des fragments de mâchoire de diable de Tasmanie, un animal disparu du continent australien depuis plus de 3000 ans.

Si l’explosion minière a produit des conséquences irrémédiables, les scientifiques n’en sont pas pour autant découragés. Selon les chercheurs, la publication de ces résultats de 2014 n’est que le début d’un nouveau chapitre dans l’archéologie de Juukan 2.

Elena M.


Image d’entête @HeraldSun Vidéo 

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