Découvrir le Belize… c’est poser les yeux sur une des plus belles merveilles naturelles de notre planète, la plus grande barrière de corail de l’hémisphère nord, agrémentée d’une formation géologique exceptionnelle. Un monument naturel de mieux en mieux protégé depuis l’interdiction de toute activité pétrolière dans les eaux territoriales. Alors qu’ailleurs la logique est à la privatisation, ici, on n’hésite pas à placer ce trésor sous la protection des biens collectifs.
Au lever du jour, un soleil rosé caresse les côtes de ce petit pays tranquille. Si le Belize n’est plus « le pays où personne ne va jamais » (décrit ainsi il y a une décennie par l’écrivain chilien Alberto Fuguet), le tourisme de masse n’est pas encore venu ombrager les splendeurs turquoise de ce paradis sous-marin. 100 fois moins fréquenté que le Mexique voisin, 200 fois moins que la France, 20 fois moins que la Belgique (!!), le Belize abrite pourtant un véritable trésor : la 2e plus grande barrière de corail au monde et son « Great Blue Hole » (Grand Trou Bleu), curiosité naturelle quasiment unique au monde. Il s’agit d’un cénote sous-marin d’un diamètre et d’une profondeur impressionnants. Il s’agissait à l’origine d’une grotte calcaire inondée lors de la montée des eaux à la fin de la dernière période glacière.
Aujourd’hui, le sens d’un voyage réussi pour la plupart des gens, c’est évidemment de poser le regard sur les splendeurs naturelles qui façonnent notre planète. Ce qui participe paradoxalement à une course effrénée à la consommation d’émotions visuelles, donc de la production de pollutions qui les mettent en péril. Ces merveilles ne devraient-elles pas aiguiser notre conscience des grands changements, des destructions, des enjeux pour leur conservation ? Étrange paradoxe des temps.
Pour observer ce « Trou Bleu » et en tirer un témoignage vibrant, Pascale Sury a eu la chance de le découvrir de ses yeux. « Le Blue Hole est une des principales attractions touristiques du Belize », explique Howell Grange, le pilote. « C’est la seule manière de le percevoir réellement. Vous allez voir, c’est une sensation incroyable. Beaucoup de touristes vont y plonger et viennent le survoler le lendemain. » Est-ce donc le prix à payer pour préserver les lieux de l’exploitation pétrolière sans mettre en péril l’économie précaire de l’île ? Faudra-t-il un jour l’interdire également aux curieux ?
Pendant 30 minutes, le récif corallien s’étend sous les yeux des visiteurs, un paysage qu’on croirait dessiné par un grand peintre classique. Ce chef-d’œuvre naturel les accompagne jusqu’au Blue Hole, à 100km des côtes. 50 nuances de bleu tracent les contours de la 2e plus grande barrière de corail au monde après l’Australie. Un enchaînement d’atolls, de mangroves, de caves de sable, d’estuaires ; 1400 espèces animales et végétales peuplent ce monde sous-marin sur 380 km de long. Le regard vissé sur ces splendeurs, les touristes ont déjà oublié les 180 euros déboursés pour l’aventure.
Près de 200 000 Béliziens dépendent du récif pour leur survie. Et 15% du produit intérieur brut du pays provient du seul récif. Une barrière naturelle qui protège également les côtes des tempêtes et autres catastrophes naturelles. « Conserver l’environnement ne nuit pas aux opportunités économiques », déclarait récemment Roberto Troya, directeur du WWF pour l’Amérique latine et les Caraïbes, bien au contraire. « Il faut construire durablement sur les atouts irremplaçables de ces lieux. Les menaces qui pèsent sur des sites du patrimoine mondial comme ceux-ci montrent à quel point les risques courent et devraient nous unir dans nos efforts pour protéger ces zones essentielles. »
Soudain le voilà. Quelques nuages s’effacent et le laissent apparaître : un trou de 300 mètres de diamètre parfaitement dessiné par la nature, d’un bleu profond, mesuré à 124 mètres de fond. Une merveille naturelle protégée, comme tout le récif corallien, par les autorités locales et l’Unesco : « Récemment, le Belize est devenu encore plus protecteur envers son récif corallien » se réjouit Howell Grange. « Il y a des endroits où l’on peut plonger et pêcher, mais la plupart de la zone est protégée. Désormais, l’objectif est de bannir la pêche aux filets maillants, assez destructeurs. » Étape par étape donc.
Le Belize a fait sensation à la fin de l’année 2017 grâce à un vote retentissant. Le petit pays est devenu récemment le seul au monde à bannir totalement l’exploitation pétrolière dans ses eaux territoriales. Résultat immédiat : l’Unesco a retiré ce joyau de la liste du patrimoine en péril : « Le Comité a estimé que les mesures de sauvegarde prises par le pays, notamment l’instauration d’un moratoire sur l’exploration pétrolière dans l’ensemble de la zone maritime du Belize et le renforcement de la réglementation forestière permettant une meilleure protection des mangroves, justifiaient le retrait du site du de la liste du patrimoine mondial en danger. »
L’institution avait placé le site sous surveillance en 2009 suite à des destructions avérées du corail, des épisodes de blanchissement des coraux en pointant « la destruction de mangroves et d’écosystèmes marins, de l’extraction de pétrole en mer et du développement de projets de construction non durables. »
En tournant le dos aux ressources pétrolières, le pays renonce soudainement à 17% de ses revenus annuels, mais mise sur son or bleu : ses eaux paradisiaques attirant de plus en plus de visiteurs. De nouveau, le paradoxe est complet, et la survie des habitants en dépend. Selon les derniers chiffres de la Banque mondiale, les revenus du tourisme représentent près de 20% du PIB bélizien (l’attrait pour le pays ne se limitant pas au Trou Bleu). Avec de tels décors « carte postale », le tourisme nature a en effet de beaux jours devant lui : « le Great Blue Hole, c’est fantastique », nous dit notre voisin chinois. « En 61 ans de vie sur cette planète, c’est une de mes plus belles expériences, c’est incroyable », enchaîne un voyageur libérien. Ressources ou Tourisme ? Mais d’où vient le pétrole qui les a emmené jusqu’ici, au milieu de « nulle-part » ?
Observant cette contradiction manifeste, le groupe rejoint le bateau des « Amigos del Mar » où des plongeurs les attendent. Cette agence emmène une poignée de touristes, professionnels et journalistes plonger chaque jour dans le Blue Hole. Comme Charles Darwin ou le commandant Cousteau, les plongeurs du monde entier sont fascinés par cet endroit unique au monde. Deux bonnes heures de navigation sont nécessaires pour y arriver depuis Ambergris Caye, l’une des îles les plus prisées du Bélize. « Venir ici, c’est exactement comme aller en Égypte », dit Georges Rodriguez, l’un des maîtres de plongée, « Vous regardez les pyramides et vous pouvez vous dire ‘Ça existe vraiment, ce n’est pas seulement dans les livres !’ Voir le Blue Hole reste un mystère, c’est en plongeant ici que vous découvrez que le Blue Hole était une grotte sèche il y a 13000 ans ».
La plongée n’est pas dangereuse : 40m de profondeur sans courant, sans danger ; mais les plongeurs sont concentrés. Juan Carlos Ramirez est l’un d’entre eux, il vient du Costa Rica avec sa compagne pour plonger dans les eaux béliziennes. Il plonge dans « le trou » et disparaît sous le regard des habitants des lieux : « C’est vraiment incroyable, fou… » nous dit Juan Carlos en remontant, « c’est un autre monde avec des falaises, des formations rocheuses, c’est réellement magique ! Pas énormément de faune sous-marine, si ce n’est tout de même des requins. C’est vraiment à faire un jour dans sa vie si on aime la plongée. » La visite se fait de manière peu intrusive, sans interférence avec les espèces locales.
Même si les enjeux restent énormes, cette barrière de corail « respire » à nouveau un petit peu plus grâce aux différentes mesures de protection. Le récif qui s’étend de la péninsule du Yucatán au Mexique aux îles de la Baie du Honduras est surveillé par l’Initiative « Des récifs sains pour des personnes en bonne santé » (HRI – Healthy Reefs for Healthy People Initiative (HRI) : « La quantité de poissons est en augmentation dans les zones protégées au Belize », dit le dernier rapport. « Le Belize compte plusieurs zones protégées établies de longue date, ainsi que plusieurs nouvelles zones, ce qui a probablement permis de réduire l’impact global. Il y a aussi de bonnes nouvelles pour le récif qui a amélioré sa santé globale. »
Sur le pont, Edgar Lima, le capitaine du bateau veille sur le groupe et regarde tendrement l’horizon bleu turquoise : « En tant que Béliziens, nous sommes très fiers de nos coraux, de la barrière de corail. On veille à ce que les touristes se comportent bien car on sait que nous pouvons avoir un impact négatif sur la nature. Cet endroit, c’est une des plus belles choses que nous possédons. C’est l’or bélizien, une beauté, on adore ! »
Reste à gérer durablement le développement touristique pour que les nageurs, les plongeurs, les vacanciers qui se rêvent Robinson Crusoé ne deviennent pas la prochaine menace de cette merveille naturelle ! Car c’est à la fois la beauté des lieux qui vaut aujourd’hui sa protection, autant que sa popularité.