« Je voulais changer ma vie de sorte à ne pas contribuer à la destruction de ce monde que j’aime » nous exprime Rob Greenfield, un écologiste « radical » qui ne fait pas les choses à moitié. À l’heure actuelle, l’empreinte écologique du système alimentaire mondial est colossale. Dans une société où l’alimentation industrielle et mondialisée prédomine, est-il encore possible de vivre en synergie avec son environnement, sans porter préjudice à celui-ci ? C’est la question à laquelle a voulu répondre Rob Greenfield. Déjà connu pour de précédentes actions radicales qui avaient pour but de susciter une prise de conscience collective, il vient de relever un nouveau défi : passer une année entière en se nourrissant exclusivement d’aliments qu’il aurait lui-même cultivés ou cueillis dans son environnement.
Mr M : Ainsi, pendant un an, 100 % de votre nourriture provenait de plantes que vous avez fait vous-même pousser ou que vous avez trouvées dans la nature. Pourriez-vous nous en dire plus sur les débuts de ce projet ? Comment l’idée est-elle née et quelles étaient les motivations premières qui vous ont amené à entreprendre cette mission qui semble impossible pour le consommateur moyen ?
R.G. : Cela fait depuis près d’une décennie que j’accumule des connaissances concernant l’alimentation. C’était aux alentours de l’année 2011 que je me suis rendu compte des problèmes engendrés par notre système alimentaire mondialisé et industrialisé. J’ai réalisé que presque chaque bouchée que je mangeais consumait cette planète que j’aime tant, causant des ravages autant sur l’humain que sur les autres espèces. Lorsque j’ai eu cette prise de conscience, j’ai compris qu’il fallait que je change la manière dont je m’alimentais. Je voulais changer ma vie de sorte à ne pas contribuer à la destruction de ce monde que j’aime. Dès le début, je me suis posé la question suivante : est-il possible de s’écarter de l’alimentation mondialisée ? C’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps et j’ai finalement décidé me lancer. J’allais découvrir si je pouvais tourner le dos à ce système et me passer pendant un an d’épiceries, de restaurants, d’aliments emballés ou transformés, de nourriture importée de pays lointains… et manger seulement ce qui poussait dans mes potagers ou ce que je trouvais dans mon environnement.
J’avais ainsi cette curiosité mais également l’envie tout aussi importante d’être une source d’inspiration pour autrui. J’aimerais que les gens s’interrogent au sujet de la nourriture qu’ils consomment : D’où vient-elle ? Comment arrive-t-elle jusqu’à eux ? Quel impact cela a-t-il sur la Terre, les êtres vivants et en fin de compte, leur propre personne ? S’ils n’aiment pas les réponses à ces questions, j’espère alors les inspirer et leur donner le pouvoir de changer celles-ci, que ce soit en cultivant leur propre nourriture, en soutenant les agriculteurs locaux, en achetant moins d’aliments transformés et emballés ou en s’orientant vers des aliments entiers. Mon but était de faire quelque chose d’extrême, qui attirerait l’attention des gens et les pousserait à l’auto-réflexion.
Mr M : Avant de commencer cette mission, aviez-vous suffisamment de connaissances pour parvenir à cultiver vos aliments ? Quelles compétences et ressources sont nécessaires pour suivre un tel chemin ? À première vue, cela ne paraît pas si simple et vous vivez dans un environnement urbain, ce qui rend le résultat d’autant plus impressionnant…
R.G. : Quand j’ai entamé ce projet, je n’avais quasiment aucune expérience dans le domaine. J’ai toujours voulu faire pousser moi-même ma nourriture mais en tant que personne qui voyage beaucoup, je ne restais pas suffisamment en place pour y parvenir. Lorsque j’ai commencé, je ne connaissais ni les quantités d’eau et de soleil nécessaires pour un potager, ni le temps qu’il fallait pour faire germer des graines. Je partais donc de rien, essayant simplement de comprendre ces choses basiques. Je visitais des potagers, des jardins communautaires, des fermes, j’allais à des réunions locales de permaculture… J’ai passé un certain temps à réunir les informations nécessaires. Aussi, lorsque je suis arrivé à Orlando, ville où je souhaitais entreprendre ma mission, je n’avais pas de terrain, pas de jardin, je partais vraiment de zéro. Il s’est passé dix mois entre le moment où j’ai planté ma première graine et le premier jour de la mission. Ainsi, j’ai réussi à me débrouiller assez rapidement, en m’immergeant complètement dans ce projet, en parlant avec des personnes et en apprenant de la communauté.
Mr M : Qu’en est-il du fourrageage ? Dans ce monde moderne, abîmé par la main de l’Homme, est-il encore possible de trouver de la nourriture en abondance dans notre environnement ?
R.G. : Il existe une abondance incroyable tout autour de nous. Durant cette mission, j’ai cueilli environ 200 espèces de plantes différentes. C’est extraordinaire, que ce soit en ville ou dans les bois, on trouve des aliments qui poussent en tous lieux. L’une des choses dont les gens ne se rendent pas compte c’est que dans nos propres jardins il y a ce que l’on appelle « des mauvaises herbes » qui sont pourtant délicieuses et nutritives. Les pissenlits en sont un excellent exemple. La plupart des gens les considèrent comme de simples plantes nuisibles mais ce sont, au contraire, des aliments très sains (alors que d’autres sont mortelles!!). Les plantes comestibles se comptent par centaines. Les glands, fruits du chêne, constituent un autre exemple : ils font partie des aliments les plus importants de l’histoire de l’humanité et pourtant, ils sont aujourd’hui très peu consommés. Bien entendu, je ne dis pas que 7 milliards de personnes pourraient simplement se balader et cueillir tous leurs aliments sans causer de dégâts à la nature. Mais en ce qui concerne l’incroyable abondance que la Terre nos offre, la question ne se pose même pas. Nous devons simplement commencer à coopérer avec elle, plutôt que de constamment œuvrer contre elle.
Mr M : Le fait de tourner le dos à l’alimentation mondialisée et industrialisée vous a-t-il donné une sensation de liberté ?
R.G. : Cela a sans aucun doute été extrêmement libérateur. Le fait est que je connais beaucoup de personnes qui ne se sentent pas à l’aise dans leurs vies, elles se sentent un peu coupables au regard de leurs actions quotidiennes. En ce qui me concerne, j’ai acquis la liberté de me réveiller chaque matin et de me coucher chaque soir en me sentant bien avec la vie que je mène et ce projet a grandement contribué à cette sensation de liberté. Le système alimentaire est l’un des pires destructeurs de notre planète. De toutes les choses que l’on fait, la façon dont on se nourrit est l’une des plus impactantes. Retirer ce pouvoir de l’agriculture industrielle et constater que j’étais capable de m’occuper de moi-même sans avoir besoin de ce système a été quelque chose de très émancipateur. Maintenant que l’année de la mission est terminée, je me sens en meilleure santé et plus heureux qu’avant. Je n’ai pas perdu de poids, j’ai pu bénéficier de tous les nutriments dont j’avais besoin, ce qui m’a permis de voir que j’avais le pouvoir de vivre sans l’industrie agroalimentaire.
Mr M : Avez-vous rencontré des difficultés durant cette mission ? Vous êtes-vous senti découragé par moments ? Étiez-vous tenté de revenir au mode de vie « classique » ?
R.G. : C’était difficile, il n’y a pas de doute là-dessus. Ce n’était pas tant un aliment en particulier qui me manquait mais plutôt la commodité. Je veux dire par là que l’une des choses que l’on peut affirmer aujourd’hui, c’est qu’il est possible d’acheter de la nourriture où que l’on soit. On n’a pas réellement besoin de planifier les choses à l’avance, les aliments sont à notre disposition, préparés et emballés. Ainsi, réaliser tout ceci en partant de zéro, devoir récolter, préparer… et ainsi de suite, cela prend énormément de temps. J’avais vraiment soif de commodité, régulièrement. Socialement parlant, ce n’était pas facile non plus en sachant que la nourriture est au centre de nos vies sociales. Je mangeais tout seul la plupart du temps alors que j’avais l’habitude de préparer des repas sains avec mes amis auparavant. Étant donné que cette fois je mangeais différemment, c’était un peu plus compliqué.
Mr M : Vous avez également tourné le dos à l’industrie pharmaceutique alors que nous vivons dans un monde où les maladies chroniques sont devenues une norme. Avez-vous eu des soucis de santé durant cette mission ?
R.G. : Effectivement, durant cette année, 100 % de ce que je consommais était ce que je cultivais ou ce que je cueillais, mes remèdes ne faisaient pas exception. Aussi, la nourriture est mon médicament. N’ingérer que des aliments sains dans notre organisme et ne pas y mettre des choses qui ne devraient pas y être, c’est se soigner. Et il n’y a pas que cela : l’air frais, l’eau potable, la nourriture saine, l’activité physique… Tous constituent différentes sortes de médicaments selon moi.
Mr M : Étiez-vous seul lors de cette mission ou avez-vous reçu de l’aide de la part d’autres personnes ?
R.G. : J’ai réalisé ce projet seul dans le sens où je cultivais et je cueillais ma propre nourriture. Mais en fin de compte, je n’étais pas seul du tout. Je n’aurais pas pu réaliser cette mission sans communauté. Mes connaissances étaient acquises grâce à d’autres personnes, mes plants étaient issus de pépinières, mes graines provenaient de producteurs de semences… J’ai visité des fermes et des potagers, je suis allé à des cours de fourrageage avec des cueilleurs locaux et j’ai eu beaucoup de soutien de la part d’autrui. Des volontaires m’ont aidé et je leur ai donné des cours en échange. Mes potagers étaient installés chez d’autres personnes et en échange, elles pouvaient manger autant de nourriture qu’elles le voulaient. Il y a eu des moments où je me suis retrouvé seul mais globalement, ce projet était très axé sur la communauté.
Mr M : L’individualisme est omniprésent dans notre société brisée. Diriez-vous que la coopération fait partie intégrante des solutions essentielles pour rendre notre monde meilleur ?
R.G. : Absolument. Je pense que la communauté est la clé de tous nos problèmes. Je doute que nous puissions parvenir à quoi que ce soit en restant isolés. L’idée que l’individualisme existe est complètement délirante : les gens pensent être indépendants parce qu’ils gagnent de l’argent et paient pour des choses mais de l’autre côté du billet de dollar, il y a des personnes qui travaillent, d’autres êtres vivants qui font partie de tous ces systèmes, et un environnement naturel duquel proviennent toutes les ressources. L’idée que l’argent nous rend indépendant est un délire total, nous sommes entièrement dépendants des autres personnes. J’essaie de ne pas avoir recours à l’argent autant que possible dans ma vie, ce qui me rend dépendant de l’humanité et c’est ce dont j’ai envie parce qu’en fin de compte, nous le sommes tous. C’est simplement plus visible dans ma manière de vivre. Beaucoup de personnes sous-traitent et cachent cette dépendance mais elle ne disparaît pas pour autant.
Mr M : Vous avez effectué cette mission à Orlando, en Floride. Pensez-vous que ce mode de vie peut être applicable à d’autres pays/climats ?
R.G. : Oui, absolument. Chaque climat est favorable à la pousse de divers aliments, sans quoi les êtres humains ne se seraient jamais déplacés dans ces endroits. C’est une question d’adaptation. Lorsque les gens voient mon travail, certains me disent : « tu peux le faire simplement parce que tu es là-bas », mais le message que je porte est « que peux-tu faire, là où tu es ? ». Personnellement, je ne peux qu’être l’exemple de la situation dans laquelle je me trouve. Les plantes poussent dans des climats spécifiques et je sais que où que l’on soit, on peut adapter certaines choses de manière à vivre plus durablement avec notre environnement. N’importe où en Europe, vous trouverez des cueilleurs locaux, pas besoin de se déplacer très loin pour cela, que vous habitiez en ville ou dans la campagne. Partout dans le monde, on peut trouver des personnes qui vivent en accord avec la terre, qui cultivent et cueillent leur propre nourriture. A l’avenir, j’aimerais refaire cette mission mais dans un climat plus tempéré cette fois, dans un endroit où il y a de vrais hivers.
Mr M : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui aimerait suivre votre voie ?
R.G. : L’un de mes conseils est de commencer petit. Ne pensez pas que vous devez absolument être capable de cultiver et de cueillir la totalité de votre nourriture ou d’avoir un mode de vie durable du jour au lendemain. Vous pourriez commencer, par exemple, par installer un parterre surélevé devant votre maison ou quelques pots sur votre balcon. D’autre part, je conseille de faire de cette aventure quelque chose de communautaire, vous n’avez pas besoin de le faire tout seul. Certains pensent qu’ils sont les seuls à vouloir vivre ainsi mais c’est peut-être simplement parce qu’ils n’en parlent pas à autrui et de ce fait, personne ne le sait. Peut-être y a-t-il des gens dans votre voisinage qui aimeraient faire de même mais là encore, personne ne le sait et chacun vit dans la solitude. Essayez de voir, par exemple, s’il existe un jardin communautaire près de chez vous ou des groupes de rencontre locaux. Il n’y a aucune raison de faire cela tout seul, il est tellement plus facile de coopérer avec autrui.
L’autre chose, ce sont les ressources locales. Bien qu’il y ait des chaînes Youtube et des contenus internet qui peuvent être une véritable source d’inspiration, je recommande vivement de vous concentrer sur ce qu’il y a de local. Par exemple, si vous souhaitez faire pousser votre propre nourriture et que vous ne savez pas quels types d’aliments cultiver, n’allez pas vous inspirer de ce que vous aimez acheter au supermarché. Au lieu de cela, trouvez des personnes qui cultivent avec succès des aliments dans votre région et demandez-leur quels sont ceux qui poussent le plus facilement, de manière à ce qu’ils en aient toujours en abondance.
Mr M : Vous vivez actuellement dans une tiny-house, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Est-ce également un moyen pour vous de vous détourner du système et être autonome ?
R.G. : L’idée de la tiny-house (micro-maison) est de vivre dans la simplicité et de manière durable. Pour moi, il s’agit simplement d’une habitation qui permet de répondre à mes besoins quotidiens de base. Comme l’a dit Gandhi : « Vis simplement pour que les autres puissent simplement vivre. ». Alors que dans nos vies nous voulons toujours plus et plus, le monde n’a que des ressources limitées à offrir. Donc en voulant plus, cela signifie que ce que nous prenons, nous le prenons aux autres êtres vivants. Je pourrais vivre dans une maison et posséder beaucoup de choses mais je n’en ai pas envie. Dans la tiny house, j’ai installé des toilettes à compost et une douche à l’eau de pluie. Fondamentalement, la plupart de mes actions quotidiennes ne consomment aucune ressource et au lieu de cela, ajoutent de la valeur à l’environnement, améliorent la fertilité de la terre sur laquelle je vis. Dans une société où nous accumulons toujours plus, la solution, c’est la modération.
Mr M : Et maintenant, quelle est la suite des évènements ?
R.G. : La prochaine étape est le « 2020 World Solutions Tour » : je vais me déplacer à travers le monde – de manière la plus écologique possible – et m’exprimer. Le but est d’aider les gens à prendre conscience du pouvoir dont ils disposent et de leur montrer que les solutions sont à portée de main, ils peuvent commencer à changer le monde qui les entoure en commençant par eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin d’attendre que le gouvernement ou les entreprises se bougent, ils peuvent dès à présent avoir un impact positif sur leur communauté. Je vais également proposer des solutions. Je vais me connecter à d’autres personnes, visiter des communautés, mais aussi des organisations locales qui sont sources de changements positifs. Je compte partager ces histoires et aider les gens à devenir une partie intégrante des solutions. Je serai en France en mars, j’y mènerai des conférences et j’espère y rencontrer beaucoup de lecteurs de Mr Mondialisation et de personnes qui suivent mon parcours. Pour connaître les dates, rendez-vous sur mon site, tous les évènements y seront listés.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Elena M.