Parler de véganisme, végétalisme et végétarisme, impose un rappel de chiffres. Selon la FAO en 2012, on estime que 67 milliards d’animaux (2 000 par seconde) étaient abattus chaque année dans le monde. 1 000 milliards d’animaux marins sont tués chaque année. En 2012, on produisait 1 180 milliards d’œufs dans le monde, 5 fois plus qu’en 1961. Les poules pondeuses pondaient 120 œufs/an en 1950, 300 œufs/an en 2016, contre 12 œufs/an dans la nature. Il faut 15 000 litres d’eau (dont 90% d’eau de pluie) et 12 kg de céréales pour 1 kg de viande de bœuf. À l’échelle mondiale, l’élevage est responsable de 14,5% des émissions de GES (gaz à effet de serre) contre 14% pour le secteur du transport (source FAO 2013). L’élevage est aussi responsable de 91% des destructions de la forêt amazonienne au Brésil depuis les années 1970. Déforestation, pollution, émission de GES, souffrance animale et surconsommation… le bilan est particulièrement lourd et déprimant. C’est pourquoi j’ai décidé de vous raconter une histoire plus sympathique de français qui explorent d’autres voies : celle d’Aurélie et Lucas, deux illuminés courageux qui se sont lancés il y a quelques années dans une folle aventure, le VeggyVan, un Foodtruck sans viande, biologique, éthique et écologique. Édito libre par Adam Contu.
Fabulons
Qui vole un œuf, vole un bœuf, disait-on dans le vieux monde. Autant vous dire qu’au VeggyVan, on ne vous parlera pas d’œuf, et encore moins de bœuf. Réinventer les images, raconter de nouvelles histoires, promouvoir un autre paradi gme. Voilà dans quoi s’inscrit l’idée du VeggyVan. Dans ce nouveau monde, « qui vole un œuf vole un bœuf » deviendra peut-être « à qui vole du Thon offrez-lui du poivron », « à qui vole un poulet de batterie élevé en cage et qui saute sur ses pattes, offrez-lui des tomates », et, « à qui vole la côte d’un porc séquestré dans son enclos sombre, offrez-lui… du… concombre ! ». Pour tout vous dire, dans la communauté des Biopotes (les clients du VeggyVan), on parle plutôt de carottes. Bifurquons, même, disruptons : cap vers le Sud de la France, vers Toulon, à la rencontre d’Aurélie et Lucas, et du VeggyVan !
Le VeggyVan, c’est un genre de camion bazar ambulant, beaucoup d’inspiration, un tout plein d’énergie pour changer le contenu de nos assiettes, afin de changer le Monde (rien que ça!). Je connais Aurélie et Lucas ainsi que le VeggyVan depuis longtemps. Connaissant bien l’anim…, euh…, le végétal, j’ai voulu vérifier de prime abord qu’il n’y avait pas d’anguille sous ro…, euh…, de brindille dans la sandale, et je posai donc cette première question pour bien commencer l’interview :
Vous nous affirmez bien que vous payez vos impôts en France et que vous ne faites pas d’évasion dans un paradis fiscal ? « … hum, hum ».
Je ne révélerai pas le MONTANT ! évoqué dans la réponse quant aux impôts, ni le projet de placer l’argent de leur prochaine campagne de financement participatif directement en Suisse… ?
Bon, qu’est-ce qu’on mange au VeggyVan ?
Alors ! Quoi donc mangeons-nous dans cette taverne itinérante ? Du compotée d’Éthique sur son magnifique parterre Écologique à l’épice Solidaire. Éthique, Écologie, Solidarité, miam ! Je croquai donc à pleine dents dans le célébrissime BioTasty, un énorme burger végan qui détrôna aisément le BigTasty de chez McDonald ! Bref, je salivais comme un po…, euh…, comme un potimarron, et lâchai, la bouche encore pleine : Whouah ! Balancez-moi tout de suite le secret de ce burger, c’est vachem(…), euh, super bon !
Popopop…, avant de parler de courgettes et d’oignons, parlons d’abord du concept du VeggyVan.
L’enjeu pour Aurélie et Lucas, c’était : « monter un commerce avec les valeurs qui étaient les nôtres, en les définissant en couple ».
Et tout cela, ça ne s’est pas fait pas en un claquement de doigt. Paraît qu’Aurélie et Lucas habitaient à l’époque (2013) dans une grande collocation du nom d’Opulis. Là-bas, on parlait du sens de la vie, nuit et jour, pour changer le monde. Changer le monde, ça y est, le concept est lâché.
« Circuits courts, petits maraîchers, local, légumes de saison oblige, un respect total du client, des salariés, bio, végan, fait maison, le tout dans un emballage parfaitement écologique ! »
Pour Aurélie, il fallait : « rendre accessible, à tous, la nourriture biologique et végan ». Et Lucas : « Nous, on s’inscrit dans la restauration du 21ème siècle, une alternative aux années 90 où l’on assistait à l’explosion des grandes chaînes et des fastfoods. Place aux petits restaurateurs, alternative logique à la malbouffe ».
Clairement, au VeggyVan, il y a la volonté de s’inscrire dans un nouveau monde, une nouvelle dynamique à instituer d’urgence.
« Bio Tasty /VS/ Big Tasty »
Bon alors, qu’est qu’on mange vraiment au VeggyVan ?
Aurélie et Lucas : « burger, frites, falafels, salades, desserts (etc). On a des produits phares comme le burger au steak de châtaignes et son faux gras, une alternative parfaite à un « burger de noël ». Et ensuite, LE BURGER de l’année, le Bio Tasty », concurrence directe à McDo et son Big Tasty, « y’a qu’une lettre qui change ! C’est quand les légumes d’été arrivent, aubergine, courgettes…etc, c’est un gros burger avec une superbe sauce fumée qu’on fait nous-mêmes, et avec des frites, des vraies ! Parce que maintenant, si tu fais encore des frites surgelées, t’es un plouc dans ton établissement ! »
Mais euh… pas de viande, pas d’œuf, pas de fromage, comment dire, après on n’a vraiment plus faim ? Petit silence. Puis tout le monde éclate de rire !
Non, plus sérieusement, est-ce que vous avez quelques petits clichés bien « gras », quelles sont les réactions des gens ?
« Mais, c’est des vraies frites ? »
Aurélie et Lucas : « Ah ça, des pépites, on en a eu entre 2013 et 2014 quand les gens ne nous connaissaient pas ! C’est lequel le plus gros burger ? Ou alors : mais c’est bon ça ? Ou bien : mais, euh, ça marche, QUAND MÊME ? Après y a ceux qui demandent ce que c’était comme viande ».
Aurélie : « Y en a une qui est vraiment pas mal, c’est quand les gens nous demandent : mais, c’est des vraies frites, avec des patates ?! »
Et Lucas de répondre : « Eh oui, c’est parce que les gens au début confondaient tout ! Entre le bio, la malbouffe, éthique, écologique, bien manger, faire un régime… ! Non, nous on obéit juste au cahier des charges BIO et végan. Après les frites, ça reste gras en soi ! En voyant l’enseigne, les gens s’attendent parfois à des frites de céleris cuites à la vapeur et poussées un soir de pleine lune face au nord (rires !).
« Une majeure partie de la production en céréales est monopolisée par l’élevage »
Concrètement, pourquoi végétalien, végan ?
Aurélie : « je me suis dit waouh ! en fait j’ai pris conscience qu’en devenant végétarienne puis végétalienne, j’avais les moyens de faire quelque chose à mon petit niveau au quotidien pour changer la donne, en consommant mieux ».
Lucas : « Le film à l’époque qui m’a vraiment fait prendre conscience de cette aberration écologique et moral, c’est HOME, de Yann Arthus Bertrand, qui explique qu’une majeure partie de la production en céréales est monopolisée par l’élevage ». 70% des surfaces agricoles sont utilisées pour l’élevage (source FAO 2006). Un scénario remplaçant l’alimentation actuelle par une alimentation 100 % végétale permettrait de diminuer les émissions de GES liées à l’alimentation de 49 % et nécessiterait 76 % de surfaces en moins. Cela représente 3,3 milliards d’hectares, soit une surface équivalente à la somme des USA, de la Chine, de l’Australie et de l’Union européenne (source). Lucas : « Quand on est en quête de sens dans un monde qui n’en a plus trop, on se dit que ces chiffres (ressources agricoles) sont tout simplement dingues, surtout quand on sait qu’on en a besoin pour notre survie ».
Aurélie : « On s’est mis à devenir végétarien puis végan à l’époque pour diminuer notre impact sur la planète ».
En effet, on sait aujourd’hui qu’un végan émet en moyenne 2,5 fois moins de GES que quelqu’un qui consomme régulièrement de la viande.
Lucas : « Ça me semblait moralement compliqué de continuer à cautionner ce mode d’utilisation des espaces forestiers et agricoles pour nourrir du bétail et engraisser du bovin qui n’est pas nécessaire à notre alimentation ».
« Végan, c’est les extrémistes qui font chier ! »
Entre hier et aujourd’hui, le monde a changé
Aurélie et Lucas : « Au début c’était assez dur en fait. Parce que justement les gens qui étaient dans une démarche de mieux manger n’avaient pas du tout en tête de venir manger dans un camion, parce que pour eux ça représentait la malbouffe, donc il a fallu faire le chemin inverse…. Une fois, une dame est arrivée, et elle a dit : c’est végétarien ? Ah non, non, non, je suis désolée je ne peux pas ! On a aussi le : je suis malade, il me faut de la viande. Ce n’était pas encore dans les mœurs en fait. Et on ne parle même pas du modèle végan, on était les extraterrestres, les extrémistes qui font chier… »
Lucas : « Alors qu’aujourd’hui, c’est plutôt : eh regarde, c’est un foodtruck végan, ah bah oui, il faut goûter ! »
« Avec la nourriture tu fais tomber pas mal de barrières »
Lucas : « En 2020 les gens n’ont pas du tout le même regard. Les gens sont curieux et presque déjà convaincus. Même ceux qui n’ont pas l’habitude de manger ainsi, ils disent : ah bah oui, bah évidemment c’est un snack bio végan, c’est dans l’air du temps, faut goûter. Et il y a quand même de plus en plus de gens qui rejoignent cette idée qu’il faut défendre la planète et l’agriculture saine. Y a un grand changement de regard ».
Aurélie : « Après on ne fait pas du camion quelque chose de politique, on n’est pas là pour dire aux gens : quoi ! vous mangez de la viande tous les jours ? Et quoi de mieux que la nourriture pour rassembler. C’est un besoin vital. Tu peux amener de la réflexion autour de la nourriture parce que manger bio, fait maison, et végétalien ça implique beaucoup d’autres choses derrière. Si tu arrives à convaincre les gens, juste par le goût, que tu peux très bien manger, qu’en plus c’est bio et qu’il y a une éthique derrière, ça montre qu’autre chose est possible. En fait, avec la nourriture tu fais tomber pas mal de barrières, parce que si tu passes ce cap-là, bah peut-être que tu vas réfléchir à autre chose. »
Est-ce que c’est difficile de respecter ses valeurs ?
Aurélie : « Non, au départ peut-être parce qu’il faut trouver tous les fournisseurs. Mais, petit à petit, tu crées ton réseau ».
Lucas : « Les fournisseurs, c’est du détail matériel, ce n’est pas compliqué. Là où c’est dur, c’est le rapport société/valeurs. Comme dirait Francis Cousin, « est-ce que dans l’échange (commercial/capitaliste), on peut respecter son éthique ? » La question qui se pose au bout c’est : Qu’est-ce que je dois faire pour continuer le plus longtemps possible à proposer ma cuisine éthique au long terme ? »
En termes d’approvisionnement, vous trouvez tout ce que vous voulez ? ?
Lucas : « Pour le pain, c’est nous qui le faisons. 99% de la masse de pain est faite par nous. Depuis la création du VeggyVan, on a dû faire presque 80 000 à 90 000 pains !! C’est beau, tu crées une vraie valeur au sens théorique du terme ! »
Aurélie : « Ça fait partie de l’identité du VeggyVan. Les pains c’est nous qui les faisons, c’est nous qui travaillons la pâte ».
Quant aux fruits et légumes, au VeggyVan, ils sont toujours de saison. C’est plus simple finalement, et c’est bien meilleur !
« On s’inscrit vraiment dans la restauration du 21ème siècle »
En termes d’emballages, couverts et assiettes, comment ça se passe ?
Aurélie : « tout est biodégradable ! »
Lucas : « Non ! »
Aurélie : « Hein ?! Mais si… »
Lucas : « non mais attends, ça c’est une « entourloupe » du green washing ! Je préfère dire : tout est écologique. Tout est issu des sous-produits de l’industrie, notamment de la pulpe de canne à sucre. En fait, c’est un déchet qui est revalorisé, recyclé, venant combler une case vide dans un processus de production. On n’a plus de plastique depuis 2 ans et demi. À peu près 30% de nos ventes sont du verre consigné. Plus d’aluminium non plus. On a pour quelques spécificités du plastique de maïs (bio plastique), on s’inscrit vraiment dans la restauration du 21ème siècle ».
Quelques déceptions ou pas du tout ?
Lucas : « Il faudrait que les institutions puissent mener une politique de soutien aux toutes petites entreprises qui créent une vraie valeur comme la nôtre. Ça permettrait de valoriser les gens qui essayent de faire les choses bien. Tandis que certains malheureusement continuent de tomber dans les griffes de Coca/Orangina/Harris… Pourtant, toute la structure de fournisseurs est prête à accueillir du bio/local… »
Aurélie : « Parce que quand t’es invité pour faire du bio, et qu’à côté ils font un goûter pour les enfants avec du Coca, du Fanta, et un brownie papy brossard… »
De nouveaux « possibles »
Aurélie et Lucas : « En 7 ans les mentalités ont changé. On est vraiment spectateur d’un changement ! Y a une prise de conscience, les gens se disent : on fait n’importe quoi sur la planète et on fait n’importe quoi avec ce monde de dingue. Les gens attendent que ça qu’on leur propose un nouvel imaginaire ! Et nous, on se dit qu’on fait un peu partie de ce nouvel imaginaire ».
« Y a une prise de conscience »
Tout ça, finalement, ça vous inspire quoi ?
Lucas : « On a optimisé les processus de production vers le green tout ça, c’est bien. Maintenant, il faut qu’on optimise les processus de pensées, que les gens se rendent compte que dans 1, 2, 15 décennies, je n’en sais rien, on aura plus besoin de ces intermédiaires ».
Lesquels ?
Lucas : « du système, de l’argent… »
Amorcer un nouveau monde, dans un Foodtruck, au contact des gens, en faisant des burgers, voilà le projet !
Le VeggyBox, en route pour de nouvelles aventures !
Alors, la suite c’est quoi ?
Aurélie et Lucas : « Eh bah, le VeggyBox !! Un box bio à Toulon ! », un « restaurant » dans un Food-court sur la zone du Cargo ! « Avec le VeggyBox, on va pouvoir apporter cette lumière dans un lieu où on sera les seuls à brandir l’étendard végan, bio et local. »
« On lance notre campagne de financement participatif pour notre restaurant : Le VeggyBox ! »
Comment on peut vous aider ?
« Au camion on a déjà été aidé une première fois grâce à notre premier financement participatif. Les clients ils adorent voir la plaque des remerciements où tous les gens qui nous ont aidé sont affichés. Y a 280 visages derrière nous et notre employée. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières ! »
Après 7 ans derrière les fourneaux du VeggyVan, Lucas et Aurélie décident désormais d’occuper un tout autre terrain. Ils ouvrent finalement ce qu’on pourrait appeler leur premier restaurant : Le VeggyBox. Pour ce faire ils lancent un financement participatif comme la première fois avec le VeggyVan, qui avait été un franc succès. Pour eux, l’idée du « participatif », c’est aussi de pouvoir embarquer les gens dans l’aventure. Aujourd’hui il est possible de s’affranchir partiellement d’une partie du système, des crédits, des banques. Les gens veulent de nouveau s’approprier l’opportunité de choisir en autofinançant leurs propres projets.
Alors si vous voulez leur donner un gros coup de pouce, c’est le moment, vous pouvez vous rendre directement sur leur page et aider au financement participatif du VeggyBox !
Pour conclure
Il me tenait à cœur de vous emmener dans ce petit bout de terre, là-bas dans le sud, où derrière une forme de sobriété, deux braves Gens, dans un simple Foodtruck, font tout bonnement des burgers végans pour changer le monde. L’idée d’un nouvel imaginaire fait vraiment son bout de chemin, ce désir enraciné de reconstruire de nouvelles histoires, de nouveaux mythes, pour se redonner la force de (re)bâtir une nature déjà bien esquintée. De nouvelles images, de nouvelles icônes, pour un futur plus sobre, mais plus humain.
Pour ma part, j’ai en tête une petite phrase qui résume autrement cette histoire :
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde »
– Gandhi
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Interview et rédaction par Adam Contu.
Avec la participation d’Aurélie et Lucas pour le VeggyVan.
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