Dans son dernier ouvrage intitulé Sauvons notre alimentation, Christian Rémésy alerte sur les mécanismes aberrants et les effets nocifs du système agro-alimentaire actuel. Chercheur en nutrition humaine et fils de paysan, l’auteur imagine les contours d’un monde agricole reconnecté aux besoins humains et à ceux de notre planète. Entre partage d’anecdotes personnelles, recommandations nutritionnelles et mises en perspectives des rouages du secteur, l’ouvrage se révèle riche et engageant. À table, citoyens !
« Nous assistons à une lente dégradation de notre alimentation, qui se traduit pour la première fois de notre histoire , en France et dans nombre de pays occidentaux, par un recul de l’espérance de vie en bonne santé ». C’est par ce constat glaçant que Christian Rémésy, ancien directeur de recherche en nutrition humaine à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrea), introduit son nouvel ouvrage Sauvons notre alimentation, publié aux éditions Thierry Souccar.
« Une cinquantaine d’années a suffi à bouleverser notre chaîne alimentaire »
Au fil des 185 pages qui le composent, ce fils de paysan originaire de l’Aveyron met toutes ses connaissances et expériences au profit du lecteur. Analyses fines de l’évolution du secteur agroalimentaire, des croyances nutritionnelles contemporaines et des rouages du monde paysan se succèdent pour nous permettre de saisir l’urgence d’une alimentation citoyenne, au service de la santé humaine et de notre environnement.
« Une cinquantaine d’années a suffi à bouleverser notre chaîne alimentaire, il faut penser dès maintenant à tout reconstruire », explique Christian Rémésy.
Le chercheur développe dans un premier temps, avec patience et détails, les évènements qui ont conduit à l’industrialisation du secteur agroalimentaire. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’agriculture intensive s’impose dans les campagnes : l’utilisation massive des intrants de synthèse et du machinisme conduisent à l’accroissements des rendements et à la réduction des surfaces agricoles, mais aussi à un exode rural sans précédent.
Double pression pour les agriculteurs
Au fur et à mesure que les campagnes se vident, les agriculteurs restants deviennent de « plus en plus dépendants à l’industrie du machinisme agricole et aux fournisseurs d’engrais, de pesticides, de carburant, de semences et de plants », détaille l’auteur. Pris en tenaille entre l’augmentation des coûts de production et la baisse des prix des denrées alimentaires, les producteurs peinent à s’assurer un revenu et des conditions de travail dignes, malgré la noble tâche accomplie.
Quelques décennies plus tard, les résultats de la marchandisation du secteur agricole se révèlent dramatiques : des milliers d’agriculteurs se mobilisent aujourd’hui pour exprimer leur colère et leur détresse dans toute l’Europe.
Alerte dans notre assiette
En parallèle à cela, la qualité nutritionnelle de nos assiettes diminue. « L’industrie s’est mise à abuser des calories vides, privées de leur environnement naturel, pour la confection de ses produits transformés », raconte Christian Rémésy qui alerte également sur leur composition extrêmement riche en gras et en sucre.
Cinquante ans plus tard, l’impact de la dénaturalisation et de la dégradation de nos aliments est vertigineux : près de 2 millards d’être humains seraient en surpoids et un tiers d’entre eux seraient obèses. Le diabète concernerait en 2050 près de 1,3 millards de personnes sur la planète et d’autres pathologies semblent également gagner du terrain : cancers, maladies cardio-vasculaires ou encore maladies rénales chroniques.
« Le plus inquiétant est d’observer quel les troubles métaboliques peuvent apparaitre chez des individus de plus en plus jeunes », souligne l’auteur.
Une révolution est en marche
Face à ces constats, Christian Rémésy appelle à une révolution nutritionnelle et agricole sans précédent. « Mettre un frein aux pratiques agricoles polluantes et adopter des transformations alimentaires plus compatibles avec la santé humaine serait les deux moyens les plus sûrs pour aller vers des systèmes alimentaires résilient dont l’ensemble des pays aurait besoin ».
Pour remettre sur les rails notre chaine alimentaire, le chercheur préconise des mesures fortes mais audacieuses. Citons notamment la sanctuarisation des surfaces agricoles destinées à la vente directe, l’adoption d’un code général européen des procédés de transformation alimentaire respectueux de la santé ou encore la taxation les produits ultra-transformés riches en sucres et en matières grasses au niveau politique.
À l’échelle du citoyen, l’auteur préconise de manger au moins 10 produits végétaux bruts par jour, d’accroître la consommation de légumes secs, de faire un choix exclusif d’huiles vierges et de réduire de moitié la consommation de produits animaux en 10 ans.
Ces changements, qui peuvent sembler radicaux pour certains, sont inévitables pour Christian Rémésy. « Le tournant vers une alimentation naturelle doit être pris, mais il ne pourra l’être que s’il est organisé, si une nouvelle demande des consommateurs pousse les agriculteurs à adapter leur offre, et à se préoccuper des initiatives à prendre pour qu’un large publique puisse en profiter ». Si tourner la page des transformations alimentaires à tout va et à l’industrialisation funeste des moyens de production agricole s’avère long et fastidieux, « le pire serait d’y renoncer », prévient l’auteur.
– L.A.
Photo de couverture de Sweet Life sur Unsplash