Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Amérique latine, 50 % des mères en sous-instruction ont eu leur premier enfant avant 20 ans. Au Chili, en 2017, ce sont 7,8 % des enfants qui sont nés d’une mère âgée de moins de 19 ans. Pas loin d’un enfant sur dix. Le peu d’accès à l’éducation sexuelle et les restrictions qui pèsent sur le corps des femmes entretiennent un cercle vicieux de pauvreté et d’isolement des familles précaires. Pourtant, la société aurait tout à gagner à accompagner ces adolescents vers l’éducation et l’autonomie.

La grossesse chez les adolescentes est un problème de santé publique en Amérique latine. Elle est étroitement liée au niveau socio-économique et puise ses racines dans la culture populaire. Malgré ça, les gouvernements sont inefficaces pour contrebalancer l’influence familiale et font payer un lourd tribut à ces jeunes filles et ces jeunes hommes peu instruits, qui se retrouvent à alimenter une logique systémique de pauvreté et d’exclusion. Le Chili, une des économies les plus prospères et les plus stables d’Amérique latine, n’échappe pas à la règle.

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Un problème en baisse, mais qui a de graves répercussions

Même si le nombre de grossesses adolescentes baisse lentement, ce chiffre reste important. Un jeune sexuellement actif sur 5 vit une grossesse non planifiée, et cette situation affecte davantage les jeunes filles : près d’un tiers d’entre elles se retrouvent enceintes sans l’avoir voulu. Cette situation mène à l’accueil d’un enfant avant l’âge de 20 ans dans 32 % des cas.

Pour eux, être parent jeune n’est pas toujours une bonne nouvelle. Les répercussions sont multidimensionnelles et fortement liées entre elles. Une grossesse est une raison invoquée pour abandonner les études pour les deux membres du couple, mais c’est plus souvent la jeune fille qui arrête de fréquenter l’école. Ses perspectives d’avenir sont plus facilement compromises dans un contexte de pauvreté déjà installée. Une situation qui maintient des familles dans la précarité à long terme, car les segments sociaux ayant un niveau d’instruction inférieur et des conditions socio-économiques moindres sont davantage touchés par le phénomène. Cela les rend également plus vulnérables, en particulier car ces grossesses précoces mènent souvent à la formation de familles monoparentales. Enfin, du point de vue sanitaire, la maternité chez les adolescentes les rend plus sensibles aux risques périnataux et à la dépression, et il est nécessaire de les suivre de plus près pour éviter de répéter une grossesse non désirée dans l’année suivante.

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Cerise sur le gâteau, les jeunes femmes enceintes doivent faire face à des problèmes d’images corporelles. L’adolescence est un âge marqué par de nombreux changements avec lesquels il peut être difficile de vivre, et les déformations du corps liées au cycle normal de la grossesse ajoutent du stress supplémentaire, risque de dépression et d’isolement. De même, être enceinte très tôt peut rendre difficile le processus de définition de son identité personnelle. Non seulement la répartition des rôles est plus forte et enferme ces femmes dans des schémas préétablis, mais elle peut aussi prendre une forme grave et conduire à des taux de mortalité infantile plus élevés. Enfin, la mère doit faire face aux jugements arbitraires des autres.

Ingérence de l’état et pression familiale

Une des principales causes de cette situation est le peu d’éducation sexuelle dispensée aux enfants et adolescents chiliens. Au Chili, la loi ne prévoit pas de programme obligatoire et efficace. Les jeunes sont abandonnés à leur sort et certains n’hésitent pas à profiter de cette « naïveté » sexuelle. La première tentative d’une politique publique d’éducation sexuelle date de 1968, mais elle a été totalement arrêtée sous la dictature de Pinochet. Il aura fallu attendre jusqu’en 1995 pour voir apparaître les Journées de conversation sur l’affectivité et la sexualité (JOCAS) qui ne peuvent pas totalement s’apparenter à de l’éducation sexuelle, mais plutôt à de « l’éducation sociale » générale.

Une maigre tentative qui ne fera finalement pas partie du programme scolaire. Par contre, cette proposition va créer une grande controverse nationale dans les secteurs conservateurs et au sein de l’Église catholique. C’est seulement en 2009 que vient, en même temps que l’autorisation de distribution de la pilule du lendemain, l’obligation des programmes d’éducation sexuelle dans l’enseignement secondaire. Le programme de sexualité, d’affectivité et de genre est né, mais sa mise en œuvre n’est pas claire ; il n’y a pas de contrôles et le programme n’est pas appliqué. Au final, à l’exception de certaines institutions privées, les adolescents chiliens ne reçoivent toujours pas d’éducation sexuelle de base inscrite dans les programmes scolaires. Ce qui est grave, c’est que les adolescents sont en demande d’information, et qu’ils vont chercher leurs réponses sur internet qui leur renvoie une image hyper-sexualisée et permissive totalement déformée (pornographie).

L’état de la loi sur l’avortement participe aussi à augmenter les naissances chez les jeunes filles qui vivent une grossesse non désirée. En 1875, le Code pénal considérait toujours l’avortement comme un crime, quelle qu’en soit la raison. En 1931, le Code de la santé a été modifié pour légaliser l’interruption volontaire de grossesse uniquement à des fins thérapeutiques. Avant la dictature, la législation avait été assouplie, mais le coup d’État rendra soudainement l’avortement totalement illégal sous toutes ses formes et dans toutes les conditions. Malgré le retour à la démocratie en 1990, ce n’est qu’en 2017 que le gouvernement de Michelle Bachelet a décriminalisé l’interruption volontaire de grossesse dans trois situations : le viol, le risque de mort de la mère et la non-viabilité du fœtus.

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À ce jour, l’accès concret à l’avortement reste difficile. La droite ultraconservatrice a obtenu de la Cour constitutionnelle la reconnaissance d’une « objection de conscience institutionnelle » pour certaines cliniques privées qui peuvent refuser d’aider les femmes et jeunes filles. Certaines institutions ont même des accords avec le ministère de la Santé pour ne pas avoir à appliquer la loi. Une situation perçue comme profondément injuste pour les femmes qui ont une assurance privée et ne peuvent pas choisir leur centre de soins librement. L’accès à l’avortement est donc inégal et renforce les différences entre les plus riches et les plus pauvres. Les femmes les plus aisées peuvent choisir leur clinique ou aller à l’étranger. Celles qui ont des moyens limités doivent subir un avortement clandestin dans de mauvaises conditions ou s’abstenir. Une pratique à risque. Au Chili, plusieurs femmes en meurent chaque année. Cela décourage de nombreuses adolescentes « pauvres » de vouloir pratiquer un avortement.

Une cause plus perverse et difficile à combattre est que les grossesses adolescentes ont aussi un fort lien avec la vision que les jeunes filles ont de leur avenir. Dans un pays très catholique comme le Chili, les rôles de genre sont encore particulièrement marqués. Par conséquent, une majorité de filles vont imaginer que leur vie consiste uniquement à être mère et à s’occuper de la maison. Une fonction non pas vécue comme un projet de vie assumé – ce qui ne pose aucun problème en soi – mais comme une injonction morale et institutionnelle patriarcale. Leur projet de vie et leur aspiration sont conditionnés par leur environnement familial et l’adolescente enceinte entre déjà dans la vie adulte avec l’arrivée de son premier enfant. En outre, les très jeunes filles enceintes, celles qui ont moins de 12 ans, sont fortement liées à la violence, en particulier sexuelle, dans une société chilienne particulièrement dominée par les hommes. Lorsqu’ils accèdent à des services de santé liés à leur santé sexuelle, certains adolescents font face à des attitudes paternalistes et qui ne garantissent pas la confidentialité et un climat serein pour la mère.

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Lutter contre le problème par l’accès à l’information, à la contraception et à l’autonomie

La baisse du taux d’adolescentes enceintes implique l’amélioration des aspirations libres des filles et de profonds changements dans l’accès à l’information et aux services de santé. Le Plan pour la prévention de la grossesse chez les adolescentes (PLANEA) a mis en évidence quatre points stratégiques avec lesquels travailler. Le premier est la nécessité de mieux identifier le problème, d’adapter les solutions et de contrôler leur efficacité. Ensuite, il faut renforcer la coopération technique horizontale pour éliminer les obstacles à l’accès dans les institutions. Les adolescents doivent pouvoir être actifs et maîtres de leur sexualité, en encourageant leur participation et en échangeant des idées et des expériences entre eux. Enfin, c’est la société dans son ensemble et le monde politique qui doivent former une alliance et participer ensemble aux solutions. Avec ces bonnes résolutions, les programmes de santé destinés aux jeunes devraient prendre en compte le fait que la sexualité fait partie des attributs de l’être humain et qu’elle inclut également des concepts d’amour, de sentiments, d’émotions, d’intimité et de désir. Pas simplement de sexualité par soumission et de reproduction. Par conséquent, cela devrait englober un accès simple et abordable aux contraceptifs tels que les préservatifs, les pilules, les implants, mais également à la contraception d’urgence telle que la pilule du lendemain. Il est également nécessaire de fournir des informations pour l’utilisation de dispositifs contraceptifs, une sexualité équilibrée, et travailler sur la notion de consentement à l’adolescence.

Afin de réaliser tout cela, les lois doivent évoluer. Par exemple, les programmes d’éducation sexuelle de base devraient idéalement intégrer le programme scolaire et être accessibles à tous, quels que soient leur contexte socioculturel ou leur type d’établissement. Le tout sous le regard d’experts sociaux afin de proposer un programme équilibré et adapté. En outre, les adolescents, filles et garçons, devraient avoir le droit de choisir ce qu’ils veulent pour leur avenir. En Amérique latine, l’avortement clandestin est responsable de 12 % des décès maternels. Les femmes ont toujours avorté et continueront à le faire, avec ou sans encadrement, et les lois contre l’avortement n’y changent rien, si ce n’est de mettre en péril inutilement des vies.

Les jeunes filles chiliennes restent dans l’attente d’un changement structurel qui limite la reproduction des inégalités sociales et de la misère. Ceci ne sera pas sans un changement profond de structure mais aussi des mentalités toujours largement influencée par le religieux, afin que les adolescents trouvent leur place en tant qu’acteurs à part entière de leur propre vie et de leur environnement, et qu’ils soient capables de prendre des décisions éclairées. Sans oublier que les jeunes qui doivent aujourd’hui vivre avec des grossesses non souhaitées sont également les acteurs du développement du pays de demain.

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Références :

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Salinas, M. G. (2017). La compleja y triste historia de la educación sexual en Chile. Visto en https://www.eldinamo.cl/educacion/2017/08/23/la-compleja-y-triste-historia-de-la-educacion-sexual-en-chile/

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