Vous faites confiance à une « célébrité instagram » au prétexte qu’elle est populaire et parait vraiment trop cool et sympa sur les photos, donc foncièrement honnête ? Vous devriez y repenser à deux fois… Quand il est question de gagner sa vie à travers des clics, tous les coups semblent permis, sur le web comme ailleurs. Le culte de la personnalité mène certaines stars du web à travailler avec des entreprises sans scrupule pour piéger leurs abonnés, en particulier les plus jeunes, en les poussant à acheter des produits « low-cost » à prix élevé via Drop-shipping.
Il y a quelques années, quand on parlait d’arnaques sur Internet, on pensait directement à ces mails frauduleux envoyés depuis un anonyme à l’autre bout du monde dans l’intention de vous soutirer de l’argent. Aujourd’hui, ce « marché » de la misère intellectuelle laisse place à des manipulations plus pernicieuses, beaucoup plus proches de nous, dans les flux d’actualité de nos réseaux sociaux préférés. Le drop-shipping en partenariat avec des « influenceurs » 3.0 très connus en fait désormais partie. Si la pratique a déjà été signalée et médiatisée par le passé sans vraiment attirer l’attention des masses, le youtubeur « LE ROI DES RATS » vient d’éditer une vidéo stupéfiante résumant l’ampleur du phénomène loin d’être isolé. Des dizaines de milliers de personnes en sont potentiellement les victimes.
Le dropshiquoi ?
Drop-shipping signifie livraison directe (sans intermédiaire) en Français. Le plus souvent, il s’agit d’un système de sites marchands qui proposent des produits déjà en vente sur les sites d’autres fournisseurs, mais en gonflant les prix. Pour donner une image claire : imaginez un magasin Lidl. Juste à coté, un second magasin ouvre ses portes avec un nom prestigieux et vend des produits 10 fois plus chers. Sauf les produits en question sont strictement identiques et viennent directement du Lidl à coté. Caricatural ? C’est pourtant comme ça que fonctionne ce système, à l’exception près que le consommateur ignore l’origine réelle, et donc la qualité, du produit. Cette information lui est volontairement cachée pour pouvoir générer une marge sur base d’un vide : une zone d’incertitude.
Ces « faux sites » – souvent beaux sur la forme pour créer de la confiance – génèrent ainsi des profits en créant une nouvelle marge entre le véritable marchand et le client, sans stock, ni locaux, ni outil de production, ni système de livraison. Marge qui ne profitera donc ni aux travailleurs, ni à l’entreprise qui a fabriqué le produit. Si on voulait créer de l’or à partir du bronze, on ne s’y prendrait pas mieux. À ce stade, d’aucun dira que le modèle capitaliste marchand est déjà fondé sur cet accaparement de richesse tout à fait légal aussi immoral soit-il. Et effectivement, il s’agit d’une « marchandisation » au sens le plus primitif du terme : prendre à « X » et vendre à « Z » en réalisant au passage une plus-value déterminée uniquement par la capacité du « drop-shippeur » à manipuler le consommateur par de fausses informations interdites dans le commerce classique.
À titre d’exemple, votre regard est attiré par une publicité qui propose une offre en or : -70% de réduction sur une montre suisse de qualité supérieure ! 30 euros seulement, au lieu de 100 ! Une aubaine… Du moins, c’est ce que raconte le site qui semble parfaitement professionnel sur la forme. Une fois la vente conclue, le site vous fait directement livrer la montre via le véritable marchand, le plus souvent chinois. Le fameuse montre low-cost ne coûtera en réalité 3 ou 5 euros à peine. Bénéfice : 27 euros net, une fois encore, sans n’avoir rien à faire. Il est ainsi possible, avec un investissement mineur, de générer des bénéfices colossaux sans rien produire, sans gestion de stock, sans devoir de livraison ou de garantie sur la qualité du produit, avec un minimum de connaissances en informatique pour gérer un tel site, et surtout une communauté à pigeonner…
La pratique, qui repose sur l’esprit capitaliste le plus pur, fonctionne si bien qu’on assiste à un véritable engouement d’initiés. Poule aux œufs d’or de la mondialisation concentrant à la fois le mépris pour toute forme de morale élémentaire et pour l’environnement, on trouve aujourd’hui une panoplie de tutoriels sur Youtube, souvent présentés par de très jeunes entrepreneurs 3.0, vous promettant de devenir riche en un temps record sans faire d’effort. Voilà qui est bien dans l’air du temps… Bien entendu, il vous faudra mettre toute éthique élémentaire de côté pour devenir un « requin de cordée » de la start-up nation. À noter que nous parlons bien ici du drop-shipping automatisé et mensonger via des marchands « low-cost » qui ne sont souvent même pas au courant de la manœuvre. La vente de produits locaux ou éthiques à prix juste en toute connaissance du producteur n’est pas concernée.
C’est ici que les « influenceurs » entrent en jeu
Reste une question. Comment piéger un maximum de gens et les faire venir sur votre site fantôme plutôt que les laisser acheter sur Aliexpress ? Comment vendre un objet 50 euros quand celui-ci en vaut 3 ? Qui serait assez bête pour tomber dans le panneau ? Personne, pensez-vous ? Pas si vite. C’est ici que les « influenceurs » les moins scrupuleux, des stars du web parfois suivies par des millions d’abonnés, rentrent en jeu. En pratique, des entreprises de drop-shipping prennent contact avec eux en leur promettant de générer des sommes importantes d’argent en peu de temps. Certains y résistent. D’autres pas. La suite est cousue de fil blanc.
L’influenceur est donc invité en privé à faire croire à ses abonnés qu’il a bénéficié d’une offre incroyable : une paire de AirPods à 50 euros au lieu de 150, par exemple (sans préciser qu’il s’agit de copies de mauvaise qualité). Il doit donner à ses fans l’impression qu’il détient le secret d’une très bonne affaire. Un pourcentage des fans se précipitent sur l’occasion et atterrissent, sans le savoir, sur le site de drop-shipping. Convaincus du sérieux de la source partagée par leur influenceur préféré, les membres foncent tête baissée dans le piège. Ils recevront des copies d’AirPods made in china au son et à l’autonomie médiocres, dont la valeur ne doit pas dépasser les 8 euros. Admettons que l’influenceur possède 1 million de fans. Si seulement 0,5% d’entre eux tombent dans le piège, ce sont 5 000 pièces à 50 euros qui seront écoulées, soit un potentiel de 210 000 euros de CA avec un seul partage. Le marchand et l’influenceur peuvent se partager le pactole, bien que le marchand cherche le plus souvent à manipuler l’influenceur en lui proposant quelques milliers d’euros de gains.
Le Roi des Rats rappelle qu’il n’existe pas vraiment de législation contraignante à ce jour pour contrer le drop-shipping si ce n’est l’esprit critique. Il est beaucoup trop tôt et les autorités sont complètement dépassées par la réalité du web d’aujourd’hui. Il est donc tout à fait légal de vendre des produits disponibles sur d’autres plateformes de vente en ligne tout en se faisant 2000% de bénéfice au passage, tant que cette activité est naturellement déclarée. On peut même penser que c’est dans l’intérêt du système marchand actuel que de générer toujours plus de ventes, même sur du vide. Mais à l’image du capitalisme lui-même, la technique est amorale. Elle ne connaît aucune éthique, pas plus que les influenceurs qui la pratiquent. Mais peut-on s’en étonner ? Si c’est une appréciation toute personnelle du youtubeur, celui-ci rappelle que le top des instagrammeurs est conquis le plus souvent par des individus imbus d’eux mêmes, superficiels et faisant une fixation sur leur paraître (ce qui n’est pas sans conséquence sur la formation de l’identité des jeunes personnes les admirant). Ils sont généralement suivis par des adolescents et des enfants qui n’ont pas toujours conscience d’être manipulés pour de l’argent.
Là où le dropshipping devient illégal, c’est quand les marchands et les influenceurs n’hésitent pas à mentir sur la nature des produits pour mieux manipuler leur audience. À certains égards, on peut parler de fraude et d’abus de confiance. Dans certains cas, les produits sont d’une si mauvaise qualité que les utilisateurs peuvent en subir des conséquences sur leur santé. Mais plus globalement, la pratique repose une fois encore sur la promotion constante du système marchand, la création fictive des besoins et la production en Asie dans des conditions qu’on imagine à peine. Ce modèle reproduit, dans la plus laide forme qui soit, le modèle de la mondialisation triomphante qui détruit en ce moment même notre planète. Et il n’est plus possible aujourd’hui de rester silencieux face à ça.
Comment combattre cette pratique ?
Vu la popularité incroyable du réseau social TikTok et similaires chez les très jeunes (la fameuse génération Z), peu de doute que les discours des « millénials » blasés que nous sommes puissent les en détourner. Comment leur faire comprendre par les mots que cette course à la superficialité est une nouvelle porte ouverte au suicide planétaire qui se prépare et dont ils ne sont même pas à l’origine ? Comment leur faire réaliser que leur génération est la dernière à pouvoir changer de cap, au moment même où certaines de leurs idoles abusent littéralement d’eux pour fonder leur richesse sur leur dos pendant qu’ils le peuvent encore.
En pratique, toujours se méfier par défaut quand un influenceur du web promet de très grosses réductions sur un produit quelconque. Une telle offre n’est jamais sans condition. Dans la grande majorité des cas, l’influenceur reçoit de l’argent pour faire la promotion de ces produits. Les sites de drop-shipping eux-mêmes sont généralement truffés de réductions hors normes (-70% et plus…) mais fausses. Pour s’assurer de l’origine d’un produit, il suffit le plus souvent de faire une recherche inversée par image, par exemple, via Google image ou TinEye. Il est ainsi assez facile d’en retrouver la source et donc de détecter une fraude.
Mais le plus important c’est probablement de comprendre individuellement le principe de l’externalisation des coûts. Chaque chose physique supporte un coût que quelqu’un doit supporter. Avec la mondialisation contemporaine, nous baignons dans l’illusion que la qualité à petit prix est possible. C’est faux. Il n’y a pas de fait main, de local, de matière de qualité, à petit prix. Ça n’existe pas. Quelqu’un paye toujours la facture. Dans le cas des produits low-cost made in china, l’externalisation du coût se reporte autant sur la qualité que sur l’environnement ou les droits des travailleurs. L’art du drop-shipping est précisément de camoufler cette réalité pour nous vendre du rêve en faisant reporter le coût sur l’Humain et l’Environnement. C’est la nature même de l’oppression. Osons nous y opposer avec toute la fermeté qui s’impose.
Article sous Creative Commons par Mr Mondialisation. Nos travaux sont gratuits et libres du système marchand grâce à vous. Afin de préserver cette liberté, soutenez-nous aujourd’hui par un thé ☕