Le documentaire de Jean-Robert Viallet « L’Homme a mangé la Terre », raconte la grande accélération des deux derniers siècles, lorsque les sociétés humaines commencent à exploiter de manière massive les hydrocarbures, bouleversant les écosystèmes à une échelle inédite.
Dans L’Homme, destructeur de la Terre (France, 2019, 1h39mn), Jean-Robert Viallet propose « un décryptage minutieux de la course au développement qui a marqué le point de départ de l’ère de l’anthropocène (ou l’ère de l’Homme) et de la détérioration continue de la planète ».
En une fraction de l’histoire humaine, les sociétés thermo-industrielles ont transformé de manière définitive l’écologie de la planète terre. « L’impact de l’Homme sur la nature est telle que nous serions entrés dans une nouvelle époque de l’Histoire de la terre, une nouvelle époque géologique. Et changer d’époque géologique, c’est peu fréquent », rappelle le narrateur. Nous ne traversons pas seulement une crise écologique, mais un bouleversement majeur à l’échelle de la planète, et irréversible à l’échelle de vie humaine.
L’Anthropocène, l’âge de l’Homme
S’il est difficile de dater précisément l’entrée dans cette époque, les êtres humains transformant leur environnement depuis des millénaires, le début de l’exploitation massive des énergies fossiles, d’abord la houille puis le pétrole, à partir de la seconde moitié du 19e siècle, marque sans aucun doute un tournant. Mais ce moment s’inscrit déjà dans une continuité, qui est déjà celle de la surexploitation, nous rappelle Jean-Robert Viallet : « à la fin du 18e siècle, le prix du bois s’envole partout en Europe occidentale. Les forêts exploitées toujours plus intensément pour approvisionner les foyers les forges, les ateliers, les petites industries de l’époque n’y suffisent plus. Les forêts déprissent, les savants s’alarment : que faire face à la pénurie de bois ? Comment lutter contre la déforestation et son cortège de désastres, érosion, glissement de terrain, inondation et même déjà changement climatique ? » Ironie du sort, dans ce contexte, l’exploitation des richesses du sous-sol s’impose comme « une mesure écologique » pour protéger cette nature en péril. C’est le début d’une révolution technologique, mais aussi du pillage systématique des pays d’Afrique et d’Asie, tant d’un point de vue humain que des ressources naturelles.
« Produire vite et plus »
L’entrée dans cette nouvelle ère est caractérisée par une transformation rapide et systématique de l’ensemble des activités humaines, depuis l’industrie jusqu’à l’art de la guerre en passant par l’agriculture. Les guerres seront la source de la massification de certains secteurs de l’économie, comme celui de l’automobile, dans une logique de production intensive pour conserver l’avantage sur l’ennemi. Mais si le lien entre pétrole et guerre est évident, le carburant modifie également profondément la vie quotidienne des individus. À partir de 1950, c’est le début de la consommation de masse, de la construction de maisons individuelles en lotissements, promesse d’un « bonheur tranquille, confortable et standardisé ».
Dans le même temps, le cercle vicieux, celui d’une demande énergétique qui ne cesse de croître avec les besoins, ne cesse de s’accentuer. Désormais, toutes les ressources sont exploitées, car aucune ne suffit à elle seule à assouvir les besoins industriels et la consommation des ménages. L’époque est marquée par une compétition exacerbée entre nations, entre course à l’armement et à la compétitivité. L’objectif : maintenir le niveau de vie de la propre population nationale, quand bien même cela se fait au détriment des voisins.
Au fond, à qui la faute ?
Inspiré de l’ouvrage L’événement Anthropocène. La terre, l’histoire et nous de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, Jean-Robert Viallet défend l’idée développée par ces auteurs que l’usage du pétrole serait avant tout une question de choix des industriels. Ainsi, il rappelle que la voiture s’est imposée aux États-Unis à la suite d’un lobbying important qui provoque le démantèlement des transports publics électrifiés en ville. Jean-Robert Viallet prétend également qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale le solaire aurait déjà pu être développé aux dépens des hydrocarbures.
Ainsi, le documentaire fait des grandes entreprises emblématiques comme Rockfeller ou Ford le moteur de l’histoire des deux siècles passés. Le développement des sociétés serait largement de leur ressort, car ces entreprises imposeraient les choix techniques à force de lobbying et de pressions politiques depuis de nombreuses décennies. Mais cette vision des choses obnubile très certainement une part de la réalité, au risque de faire des industriels des cibles faciles en oubliant de questionner les responsabilités individuelles des citoyens. Car si les industriels ont sans aucun doute d’importants intérêts financiers à défendre, leur fortune dépend des consommateurs qui eux aussi se tournent de manière générale vers les biens et services les moins chers, c’est-à-dire ceux qui ont été produits dans les conditions les plus efficaces d’un point de vue énergétique. Posons alors ce dilemme sous la forme d’une question réactualisée : aujourd’hui, 90 % des œufs consommés en France sont issus d’élevages intensifs : est-ce la faute des industriels, qui cherchent à investir encore et toujours les méthodes de production les plus concurrentielles, ou celle des consommateurs, qui se tournent vers les produits les moins chers en dépit des alternatives existantes ? Quid de l’État « régulateur » ? Selon quels critères et valeurs ? Inévitablement, cette danse macabre se joue à plusieurs.
Le reportage
https://www.youtube.com/watch?v=4LToxHsxJso
Synopsis : De la révolution industrielle à aujourd’hui, un décryptage minutieux de la course au développement qui a marqué le point de départ de l’ère de l’anthropocène (ou l’ère de l’Homme) et de la détérioration continue de la planète. Quelque 1 400 milliards de tonnes de CO2 sont aujourd’hui prisonnières de la basse atmosphère. Réchauffement climatique, déforestation, inondations, épuisement des ressources, pollutions, déchets radioactifs… : en deux siècles, la course au progrès et à la croissance a durablement altéré la planète, la crise environnementale se doublant d’une rupture géologique, avec l’avènement de l’ère anthropocène. Portée par l’exploitation des énergies fossiles – du charbon de la révolution industrielle en Angleterre au tout-pétrole de la domination économique des États-Unis –, l’industrialisation et ses corollaires, taylorisme et colonialisme, entraînent une exponentielle production de masse.
Un processus qu’accélère la Première Guerre mondiale, les firmes chimiques mobilisées pour tuer l’ennemi se reconvertissant dans la destruction du vivant avec les herbicides, insecticides et fertilisants de l’agriculture intensive. Alors que l’urbanisation s’étend, la voiture, qui sonne le glas du tramway, se généralise, et l’Amérique s’inspire du modèle autoroutier nazi. La Seconde Guerre mondiale engendre une nouvelle organisation du travail, laquelle devient la norme, et annonce l’ère nucléaire de la guerre froide. Dans sa démesure, l’homme rêve déjà d’usages civils de l’atome (y compris pour l’abattement de montagnes et la dissolution des calottes glaciaires !). Le plastique et le béton deviennent les piliers de la consommation de masse, dévoreuse de matières premières et antidote à la contestation sociale, jusqu’à la révolution numérique.
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