Une récente étude américaine s’est intéressée à la présence d’antidépresseurs dans le cerveau des poissons des grands lacs. Mais comment est-ce possible ? Alors que des résidus de ces composants chimiques se retrouvent dans l’eau souillée rejetée dans les lacs et cours d’eau après filtration, ceux-ci s’infiltrent peu à peu dans la chaîne alimentaire, causant de graves dommages à la faune aquatique. Ou quand les poissons sont victimes des effets du Prozac…
Du pilulier jusqu’aux grands lacs : itinéraire des antidépresseurs
Une nouvelle étude pourrait bien s’ajouter aux raisons de s’indigner sur notre rapport peu délicat à la nature. Réalisée par des scientifiques de l‘Université de Buffalo aux États-Unis, cette étude révèle la présence en quantités conséquentes de divers antidépresseurs dans le cerveau des poissons des grands lacs. Si les quantités observées ne seraient pas suffisantes pour avoir un quelconque effet sur un métabolisme humain, elles le sont cependant assez pour affecter le mode de fonctionnement des divers poissons étudiés. Parmi les espèces concernées, on retrouve notamment plusieurs types de bar et de truites, mais aussi la perche noire ou encore le black-bass à petite bouche, toutes étudiées dans les eaux de la rivière Niagara, qui relie le Lac Érié au Lac Ontario, tout près des fameuses chutes.
Présents dans les eaux usées, les antidépresseurs ingérés par les humains se retrouvent donc dans l’eau des grands lacs, et ce quand bien même l’eau rejetée a été filtrée et nettoyée. En effet, les stations d’épuration, si elles sont aptes à débarrasser l’eau de certaines bactéries comme l’E.Coli, n’éliminent cependant pas tous les résidus microscopiques, par exemple médicamenteux, qui finissent dans l’eau une fois la chasse d’eau tirée. Ils sont donc toujours présents dans l’eau qui est rejetée dans les lacs et rivières. Une eau souillée de manière invisible dans laquelle nagent de nombreuses espèces de poissons d’eau douce, aujourd’hui touchées par ce changement dans leur environnement.
La biodiversité menacée, une fois de plus
Et ces changements inquiètent les chercheurs. En effet, les différentes espèces aquatiques soumises à ce régime intensif, nageant 24h/24 dans une eau contaminée au Zoloft, au Prozac, ou encore au Celexa ou au Sarafem (les antidépresseurs les plus répandus aux USA), ont diverses façons d’y réagir. Ces antidépresseurs seraient ainsi en cause dans le développement de comportements « suicidaires » chez certains types de crevettes : celles-ci nageraient alors en direction de la lumière au lieu de s’en éloigner, se transformant en proies faciles pour les oiseaux et autres prédateurs. De quoi profondément perturber l’équilibre naturel. Pour d’autres espèces de poissons, l’absorption d’antidépresseurs va donner lieu à une modification de leur comportement alimentaire, ou encore altérer leur instinct de survie. Ainsi, c’est tout un pan de l’écosystème des grands lacs américains qui pourrait aujourd’hui disparaître des suites des effets de notre incapacité à éradiquer les résidus médicamenteux de nos eaux usées.
Autre fait intéressant : les concentrations d’antidépresseurs trouvées dans les poissons n’augmenteraient pas au fil de la chaîne alimentaire, ce qui implique une absorption de ces molécules non pas au travers de l’alimentation, mais par le simple contact avec une eau contaminée. Les gros poissons ne sont donc pas plus touchés par cette contamination que les plus petits organismes aquatiques. Et plus la durée d’exposition à ces eaux est longue, plus la concentration de molécules comme la sertraline et la norsertraline — notamment présentes dans le Zoloft — est élevée.
Une consommation qui va grandissant
La préoccupation des scientifiques concernant la contamination pharmaceutique des lacs et des rivières a augmenté ces dernières années avec la capacité technologique émergente à détecter les médicaments en très petites quantités dans les plans d’eau. En parallèle, l’utilisation de médicaments sur ordonnance a explosé. Le pourcentage d’Américains prenant des antidépresseurs a par exemple augmenté de 65% entre 2002 et 2014. En Europe, la tendance n’est pas vraiment plus joyeuse : entre 2000 et 2011, la consommation d’antidépresseurs a augmenté partout, allant jusqu’à doubler ou tripler dans certains pays comme le Danemark, l’Italie ou encore la Slovaquie. Si le moral de la population occidentale semble vaciller depuis quelques temps, ce n’est pas en tournant le dos à la crise environnementale qu’elle s’améliorera.
Sources : Pubs.ACS.org / Freep.com / Arte.tv